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"Femmes de réconfort" : accord "inacceptable" pour les catholiques engagés en Corée du Sud

statue en bronze d'une jeune femme avec à l'épaule un oiseau symbole de paix et de liberté
En face de l'ambassade japonaise à Séoul, cette statue en bronze d'une jeune femme avec à l'épaule un oiseau symbole de paix et de liberté, rappelle le drame des "femmes de réconfort" qui servirent d'esclaves sexuelles à l'armée japonaise de 1937 à 1945. (Crédit : JUNG YEON-JE / AFP).
« Cet accord bilatéral est tout simplement inacceptable. » Telle fut la réaction de Theresa Kim Sun-shil, laïque catholique, en commentant, le 3 janvier dernier, l’accord sur les « femmes de réconfort » signé le 28 décembre 2015 entre la Corée du Sud et le Japon. Theresa est la coprésidente du « Conseil coréen pour les femmes enrôlées comme esclaves sexuelles par l’armée japonaise« , qui organise chaque mercredi, depuis le 8 janvier 1992, une manifestation pacifique devant l’ambassade du Japon à Séoul.
*Outres les femmes asiatiques, principalement coréennes, mais aussi chinoises, philippines, des femmes néerlandaises ont été victimes de cette prostitution forcée.
Euphémisme japonais, le terme de « femmes de réconfort » (en japonais, ian signifie réconfort et fu, femmes) désigne les femmes asiatiques* qui ont été victimes du système d’esclavage sexuel organisé dans des camps militaires japonais pendant les années 1937-1945. Alors qu’elles pensaient travailler dans des usines, ces femmes, principalement coréennes et très souvent mineures, étaient placées dans des « maisons de confort », et mises « au service » de l’armée japonaise. Les historiens estiment leur nombre à 200 000 ; 46 d’entre elles sont encore vivantes, leur moyenne d’âge étant de 89 ans.
Présenté comme « définitif et irréversible », l’accord du 28 décembre dernier sur « les femmes de réconfort », dossier qui envenime les relations entre la Corée du Sud et le Japon depuis des décennies (voir notre article), prévoit la création par le gouvernement sud-coréen d’une fondation qui recevra du Japon la somme d’un milliard de yens (7,5 millions d’euros). Selon le ministre nippon des Affaires étrangères, cette fondation servira à « restaurer l’honneur et la dignité de toutes les anciennes femmes de réconfort, et à soigner leurs blessures psychologiques ». Les deux pays s’engagent également à « ne pas se critiquer ou s’accuser sur cette question, au plan international ». Séoul promet de discuter avec les associations qui ont installé en 2011 une statue symbolisant les « femmes de réconfort » en face de l’ambassade du Japon dans la capitale sud-coréenne, afin que celle-ci soit retirée, condition sine qua non à l’accord, pour le Japon. Cette statue de jeune femme en bronze avec sur l’épaule un oiseau symbole de liberté et de paix, avait été installée en 2011 par le Conseil coréen pour les femmes enrôlées comme esclaves sexuelles par l’armée japonaise, à l’occasion de son 1000ème rassemblement.

Pour Mgr Lazzaro You Heong-sik, évêque de Daejeon (Taejon) et président de la Commission « Justice et Paix » de la Conférence des évêques catholiques de Corée du Sud, l’accord sur les « femmes de réconfort » « n’a pas été conclu en fonction des intérêts des victimes, mais seulement pour répondre aux besoins des gouvernements concernés ».

Interrogé par des médias le 1er janvier dernier, après avoir rendu visite à des anciennes victimes dans une maison d’accueil créée spécialement pour elles dans la banlieue de Séoul, Mgr You a précisé : « Si cet accord avait été conclu au nom des droits de l’homme pour réhabiliter l’honneur et la réputation de ces femmes brisées, aujourd’hui, elles seraient heureuses et soulagées, mais ce n’est pas le cas. Elles sont affligées et bouleversées. » L’Eglise catholique en Corée du Sud est engagée depuis des années dans un travail de réconciliation et de pardon réciproques avec l’Eglise catholique du Japon.

Dans une déclaration du 29 décembre 2015, le Conseil coréen pour les femmes enrôlées comme esclaves sexuelles par l’armée japonaise a fait savoir qu’en attribuant au gouvernement sud-coréen la propriété et la gestion de la fondation chargée de recevoir les fonds de compensation pour les victimes sud-coréennes, le gouvernement japonais s’exonérait de facto de ses propres responsabilités. Pour l’association, « l’attitude floue et incomplète du gouvernement sud-coréen dans cet accord est très choquante ».

D’autres associations critiquent le faible montant des compensations prévues, le budget de compensations financières ne prenant pas en compte les familles des « femmes de réconfort » aujourd’hui décédées. A ce jour, 46 « femmes du réconfort » sont encore en vie en Corée du Sud et leur âge moyen a dépassé les 89 ans.

« Moi qui travaille auprès de ces femmes, s’indigne Theresa Kim Sun-shil, je peux dire que cet accord est désastreux. Nous avions clairement dit et répété qu’il était essentiel pour les victimes que le Japon reconnaisse comme un crime de guerre son implication systématique dans l’esclavage sexuel des femmes coréennes, qu’il devait adresser une demande de pardon officiel et assumer ses responsabilités juridiques. »

C’est, en effet, lors d’un simple entretien téléphonique avec la présidente sud-coréenne Park Geun-hye, et non à l’occasion d’une déclaration officielle que le Premier ministre japonais Abe Shinzo avait présenté « ses excuses et ses remords sincères », le 28 décembre dernier. « Le chef de la diplomatie japonaise a lui-même précisé, dans une réunion séparée, que l’aide d’un milliard de yens attribuée à la Corée du Sud, ne devait pas être interprétée comme une compensation judiciaire », a souligné la co-présidente de la principale association des survivantes.

Si cet accord ne satisfait aucunement les victimes coréennes, il marque, pour le Premier ministre japonais, l’entrée des deux pays « dans une nouvelle ère ». Pour Séoul, le dossier des « femmes de réconfort » « était le principal obstacle à l’amélioration de ses relations avec le Japon » ; Park Geun-hye avait en effet rappelé l’importance du règlement de ce dossier lors du sommet du 2 novembre 2015 avec Abe Shinzo, première rencontre entre les deux dirigeants depuis leur prise de fonction. La présidente sud-coréenne avait clairement établi qu’elle souhaitait qu’une solution soit trouvée avant la fin de l’année, année du 50e anniversaire des relations diplomatiques entre les deux pays, et 70e anniversaire de la fin de la colonisation de la péninsule coréenne par le Japon.

Pour être définitif, le texte de l’accord devra encore être soumis aux deux gouvernements respectifs, ce qui ne sera pas facile compte tenu des élections à venir en 2016 : élections législatives en Corée du Sud et élections sénatoriales au Japon.

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