Formose sur verre et Chine au collodion
Thomson s’aventure dans les villages reculés à la découverte des coutumes des tribus des PePoHoans (des « sauvages des plaines »), un groupe de population indigène à demi-sinisé. En 1872, il rentre au Royaume-Uni avec sous le bras, des plaques de verre au collodion humide (une technique photographique permettant une résolution optimale de l’image, à l’époque la plus innovante et la plus performante), lesquelles sont depuis conservées à la Wellcome Library à Londres. Et il privilégie alors, en aval de la prise de vues, les tirages en phototypie, un procédé révolutionnaire du Français Poitevin, inaltérables, d’une finesse inégalée, avec des gammes de gris époustouflantes.
Entretien
Plus d’un siècle et demi après, deux expositions parisiennes présentent pour la première fois l’intégralité des clichés pris à Formose par John Thomson, soit une cinquantaine de tirages numériques au total (à la Maison de la Chine), ainsi que les 220 vues des 96 planches originales réalisées en Chine (à la Fondation Taylor). C’est Véra Su, une jeune photographe taïwanaise établie en France depuis quelques années, qui est à l’origine de l’organisation de ces deux évènements. Mais se profile derrière elle les trente années de travail qu’a consacrées René Viénet, historien de la Chine contemporaine, cinéaste et éditeur français, qui s’est inlassablement efforcé de faire connaître ce fonds photographique exceptionnel. Ce qu’il raconte à Hubert Kilian qui l’a rencontré à Taipei.
Bernard Marbot, qui est devenu un ami, m’a aussi permis de travailler avec lui dans les réserves du Département des estampes et de la photographie de la BNF. Il m’a montré les quatre volumes de « Illustrations of China and its people », le chef-d’œuvre de John Thomson. Puis il m’a emmené voir les collections de la Société de géographie, où il y avait une centaine d’albumens offerts par Elisée Reclus (1830-1905), [théoricien anarchiste de la Fédération jurassienne et écrivain prolifique]. J’ai vite fait le rapprochement avec les gravures parues en 1875 dans « le Tour du Monde », [la revue d’Edouard Charton qui a publié de 1860 à 1864, chez Hachette, les récits des voyageurs contemporains]. C’était des Thomson, de rarissimes originaux !
Par la suite, à la Wellcome Library de Londres, j’ai eu accès aux négatifs-verres ramenés par Thomson en 1872. J’ai pu commander l’ensemble des 450 vues sur la Chine et la cinquantaine de clichés de Formose en un tirage sur papier argentique. Grâce à Michael Gray, photographe, auteur et ancien conservateur du Fox Talbot Museum of photography en Angleterre, j’ai acquis un jeu complet, non relié, de phototypies connues sous le titre « Illustrations of China and its people » que j’ai faites encadrer. Depuis, Michael Gray et la Wellcome Library, ont scanné l’ensemble des 500 négatifs-verres sur la Chine en haute résolution. Je dispose ainsi d’une série complète de tirages numériques qui peuvent être utilement comparées aux phototypies de 1872 et aux albumens de la Société de géographie.
Véra Su et Michael Gray, qui est aussi historien des techniques photographiques, ont beaucoup fait progresser le dossier. Lequel avait été initié en 2006 à Taipei, lors du Salon international du livre de Taipei, par Françoise Zylberberg (1944-2010), professeur de français à l’Université nationale de Taïwan, fondatrice de la librairie française de Taipei et figure de la communauté française à Taïwan.
Il y a eu ensuite une exposition organisée par le Musée de Macao, avec un superbe et lourd catalogue publié en 2014. Cela donne une bonne idée de ce qui pourrait être fait en élargissant l’accrochage de 96 planches de phototypies originales (pour 218 vues) à un millier de « crochets ». Le Secrétariat à la Culture de Macao vient d’ailleurs de publier la traduction par Yen Hsiang-ju [pour les Editions René Viénet] d’un des gros livres de Thomson, Ten years Travels. Par ailleurs, les abondantes explications qui accompagnent les planches de Illustrations of China and its People ont été traduites par Yeh LingFang et sont aujourd’hui prêtes pour une édition bilingue.
De ce côté, le Musée de FuZhou a récemment refusé le prêt de collections comportant les plus anciennes vues du Fujian. Mais Betty Yao, membre de l’Asia Society et aujourd’hui à la retraite, avait réussi à monter quatre expositions de 149 tirages modernes de grandes dimensions (pas des originaux) de Thomson dans quatre villes chinoises, avec un catalogue très intéressant [China: Through the Lens of John Thomson (1868-1872), publié en décembre 1999 chez River Books, en anglais et chinois]. Il existe par ailleurs une édition chinoise en petit format de Illustrations of China and its People, à l’initiative d’un petit éditeur de Hong Kong, mais c’est à peu près tout. L’exposition à Macao a par contre rencontré un énorme succès avec plus de 100 000 visiteurs en trois mois, ce qui est un début encourageant.
En 2011, pour le centenaire de la République de Chine, le Musée des beaux-arts de Taipei a souhaité en présenter une vingtaine au milieu de 500 autres photos retraçant l’histoire de Taïwan. Puis, le Musée des Beaux-arts de KaoHsiung a exposé deux centaines de tirages numériques en octobre 2012, mais en refusant d’exposer les originaux que je mettais gratuitement à leur disposition.
Finalement, c’est You YungFu, un sympathique érudit, marchand de stylos à bille à ChiaHsien, une localité du sud de Taïwan où John Thomson s’était arrêté, qui a fait preuve du plus grand enthousiasme. Il est allé jusqu’à identifier, un à un, tous les endroits où Thomson a réalisé ses prises de vues. Les légendes qui figurent sous chaque tirage à la Maison de la Chine sont de lui. Et c’est également lui qui a remarqué le premier, que deux plaques des verre de Thomson devaient en fait être réunies pour former l’extraordinaire panorama de TaKou (KaoHsiung).
Après un siècle et demi, on approche enfin du moment où toutes les gravures d’époque et tous les textes de Thomson traduits en chinois pourront enfin être publiés en une seule fois. Cette perspective n’aurait jamais pu être envisagée sans les efforts conjugués des trois traductrices (Huang ShihHan, Yen HsiangJu, Yeh LingFang), de ceux de Bernard Marbot, du travail considérable de Michael Gray et de Vera Su. Il ne faut bien sûr pas oublier celui de la regrettée Françoise Zylberberg, qui, sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres, aura joué un rôle décisif pour rapprocher Taïwan de l’Europe. Et aujourd’hui, c’est vers le Dr Lin Wei-cheng qui dirige le « Musée Shung Ye des Aborigènes Formosans », situé face au Musée national du Palais à Taipei, qu’il faut se tourner avec la grande exposition des « Thomson de Formose » prévue à l’été 2016. Espérons qu’à ce moment-là le catalogue des premières photos de Taiwan sera enfin réédité.
Où voir les images de John Thomson ?
Deux expositions à Paris :
Les premières photographies de Formose, par John Thomson en avril 1871 à la Maison de la Chine (76 rue Bonaparte, métro Saint-Sulpice), du lundi 14 septembre au samedi 28 novembre 2015. Ouvert du lundi au samedi de 10h à 19h. Entrée libre.
Illustrations of China and its People, de John Thomson à la Fondation Taylor (1 rue La Bruyère, métro Saint-Georges), du jeudi 29 octobre au samedi 21 novembre 2015. Ouvert du mardi au samedi de 14h à 20h. Entrée libre.
Soutenez-nous !
Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.
Faire un don