La place de la femme en Indonésie
Deux des plus importants ministères du président Joko Widodo sont tenus par des femmes : Retno Marsudi pour les Affaires étrangères et Susi Pudjiastuti pour la Mer et la Pêche. Cette situation surprend la presse occidentale. La nomination de Retno* avait ainsi fait écrire au Guardian qu’ « elle était l’une des huit femmes du cabinet dans la nation à majorité musulmane la plus peuplée du monde ». Quant à Susi, le Financial Times en dit tout simplement : « Depuis qu’elle a pris ses fonctions en novembre, [cette femme] qui n’a pas terminé l’école secondaire et bâti à partir de rien une compagnie d’aviation qui vaut plusieurs millions de dollars, a transformé ce bastion technocratique peu connu en l’un des postes les plus importants du cabinet du nouveau président Joko Widodo. »
Dans un article paru dans Le Monde du 23 juin 2008 intitulé « Les femmes aux commandes… », Sylvie Kauffmann parlait des « trois […] femmes [qui tenaient alors] les leviers de l’économie indonésienne, démocratie de 225 millions d’habitants, premier pays musulman du monde » : Sri Mulyani Indrawati, ministre des Finances, Mari Pangestu, ministre du Commerce, et Miranda Goeltom, numéro deux de la Bank Indonesia, la banque centrale.
Faire référence à l’islam, c’est ignorer que la place de la femme dans une société est une question culturelle. Les traditions de l’ouest de l’Indonésie – qui rappelons-le, n’est pas un « pays musulman » – ont produit une proportion de femmes dirigeantes politiques bien plus élevée que dans la plupart des autres sociétés dans le monde* . Dans l’Indonésie moderne, outre les dames déjà mentionnées, on peut évidemment citer Megawati Soekarnoputri, devenue présidente en 2001 avec la destitution par le parlement indonésien d’Abdurrahman Wahid, dont elle était la vice-présidente.
Le monde indonésien est fondamentalement matrilocal – le couple vient habiter dans la famille de la femme – et matrilinéaire – la propriété va de la mère aux filles. Ainsi le pays minangkabau, dans l’ouest de Sumatra, est la plus grande société matrilinéaire et matrilocale du monde*. On compte en effet quelque cinq millions et demi de Minangkabau, répartis entre leur terre d’origine et une diaspora dans l’archipel ; auxquels on peut ajouter environ cinq cent mille descendants des Minangkabau qui ont fondé l’Etat malaisien du Negeri Sembilan au XVe siècle et ont gardé nombre de traditions de leur terre d’origine.
Chez les Minangkabau, les enfants portent le nom du clan de leur mère. Les biens, immeubles et meubles, sont transmis de mère en filles. L’homme qui compte dans la famille n’est pas le père mais le frère de la mère. C’est la famille de la fille qui vient demander le garçon en mariage. Le marié vient s’installer dans la famille de sa femme. La propriété de la terre et de la maison qui va de la mère aux filles se retrouve en Aceh dans le nord de Sumatra, et à Madura, où le jeune couple construit sa maison à côté de celle des parents de la fille. Chez les Bugis du sud de l’île des Célèbes, il n’y a pas de prééminence entre les lignages maternel et paternel*.
En Indonésie, le souverain peut être une femme. L’histoire est pleine d’exemples de reines, notamment de sultanes en Aceh dans le nord de Sumatra. En outre, ces reines ne répugnent pas à endosser le rôle de chef de guerre, comme la reine Kalinyamat de Jepara sur la côte nord de Java. A plusieurs reprises au XVIe siècle, elle attaquera Malacca conquise par les Portugais en 1511. Autre exemple historique : Cut Nyak Dhien, une aristocrate du sultanat d’Aceh dans le nord de Sumatra, dernière dirigeante de la lutte contre l’envahisseur hollandais, finalement capturée en 1905.
On trouve des femmes qui ont occupé des positions éminentes dans d’autres parties du monde austronésien*. Ainsi, les Philippines voisines ont déjà eu deux présidentes, Corazon Aquino (1986-1992) et Gloria Macapagal-Arroyo (2001-2010). Plus loin dans l’espace et dans le temps, Pomaré Vahine IV fut reine de Tahiti de 1827 à 1877, et Ravalano III fut la dernière reine de Madagascar de 1883 à 1897. Toutes les deux dûrent d’ailleurs accepter le protectorat français. Différentes études génétiques ont amené à la conclusion que les premières sociétés austronésiennes possédaient un système de résidence matrilocal, c’est-à-dire que les hommes mariés s’installaient dans la communauté de leur épouse*.
L’Indonésie fait donc partie d’un monde où la femme tient une place bien plus importante que dans la plupart des autres sociétés humaines.
Soutenez-nous !
Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.
Faire un don