Culture
L'Asie dessinée

BD : du Tibet aux Philippines, du Vietnam à la Chine, cap sur l’aventure !

"Les hautes solitudes - Voyage en pays Golok tome 1", scénario Christian Perrissin, dessin Boro Pavlovic, Glénat. (Crédit : Glénat)
"Les hautes solitudes - Voyage en pays Golok tome 1", scénario Christian Perrissin, dessin Boro Pavlovic, Glénat. (Crédit : Glénat)
Rien de tel pour les vacances d’été que quelques bonnes bandes dessinées d’évasion. Au programme, de la fantasy en Chine, deux thrillers en Asie du Sud-Est et une exploration imaginaire du Tibet.
*Les hautes solitudes – Voyage en pays Golok tome 1, scénario Christian Perrissin, dessin Boro Pavlovic, 64 pages, Glénat, 15,50 euros.
Quoi de plus aventureux que les expéditions d’explorateurs à la découverte du Tibet et des régions himalayennes, à l’image notamment de celles d’Alexandra David-Néel ? Les hautes solitudes – Voyage en pays Golok* imagine l’odyssée vécue par deux frères, François et Gabriel de La Grézère, partis en 1939 à la découverte du quasi mythique pays des Golok en plein Tibet. Cette peuplade nomade était d’autant moins connue que, plutôt violente, elle avait la réputation de piller les caravanes et de tuer les étrangers qui s’aventuraient sur son territoire.
Couverture de la bande dessinée "Les hautes solitudes - Voyage en pays Golok tome 1", scénario Christian Perrissin, dessin Boro Pavlovic, Glénat. (Crédit : Glénat)
Couverture de la bande dessinée "Les hautes solitudes - Voyage en pays Golok tome 1", scénario Christian Perrissin, dessin Boro Pavlovic, Glénat. (Crédit : Glénat)
Le récit voit donc l’ethnologue François de La Grézère, « fasciné depuis toujours par le Tibet oriental et les Golok en particulier », monter une expédition pour étudier les mœurs et les traditions de ces derniers. Une aventure dans laquelle il est accompagné par son jeune frère Gabriel, au tempérament fort peu scientifique, lui. Radié de l’armée, il a une personnalité instable et tourmentée. Chargé du fait de sa maîtrise des armes d’assurer la sécurité de la petite troupe, il va susciter en fait bien des difficultés.
L’histoire commence dans la ville chinoise de Kangting à la lisière du Tibet, où les deux frères tentent de rassembler les hommes et l’équipement dont ils ont besoin. François y rencontre Alexandra David-Néel, alors en séjour dans la ville, qui lui donne quelques conseils pour mener à bien cette expédition risquée. De fait, la progression vers le pays Golok se révèle pleine d’embûches. Les deux Français et leur cuisinier chinois font route commune avec des muletiers, en une cohabitation qui s’avère difficile. Accident de mule, vol de chevaux ponctuent leur progression, tandis que la présence de l’armée chinoise qui « protège » le territoire se fait de plus en plus insistante et menaçante. En dépit de ces obstacles et d’un terrain très difficile, le petit groupe finit par pénétrer « dans le blanc de la carte ». Jusqu’à rencontrer les premiers Golok, quelques cavaliers armés accompagnant un troupeau d’une centaine de yaks. Un – à moins que ce ne soit « une » – mystérieux guerrier se propose comme guide avant de les abandonner en pleine montagne. Le premier tome de cette histoire laisse les aventuriers dans une situation quasiment désespérée : perdus à plus de 5 000 mètres d’altitude et pris sous le feu d’une troupe de Golok armés jusqu’aux dents.
Haletant, comme il sied à une telle aventure, le récit bénéficie d’une belle mise en image réaliste. Paysages de steppes ou de haute montagne, architectures des bourgades du centre de l’Asie, costumes et caravanes nous plongent dans un monde radicalement différent du nôtre – et largement disparu depuis. On attend avec intérêt le deuxième et dernier volume en espérant que nos aventuriers s’en sortiront, ce qui n’a rien de garanti : tout le récit est présenté comme issu du journal de voyage tenu par François, ce qui n’interdit pas de penser qu’il n’est peut-être jamais ressorti de ce pays Golok auquel il avait rêvé toute sa vie…
Couverture de la bande dessinée "L'or de Saïgon", scénario Jean Van Hamme, dessin Christian Denayer, 48 pages, Dargaud. (Crédit : Dargaud)
Couverture de la bande dessinée "L'or de Saïgon", scénario Jean Van Hamme, dessin Christian Denayer, 48 pages, Dargaud. (Crédit : Dargaud)
*L’or de Saïgon, scénario Jean Van Hamme, dessin Christian Denayer, 48 pages, Dargaud, 13,95 euros.
Après cette histoire ancrée dans la réalité, place au pur romanesque avec la quatorzième et ultime aventure de Wayne Shelton, baroudeur imaginé par le fertile scénariste Jean Van Hamme. Un peu moins connu que le célébrissime XIII du même auteur, Shelton a vécu depuis 2001 de multiples aventures dans un registre relativement proche. Dans L’or de Saïgon**, Shelton, arrivé à l’âge de la retraite, se trouve amené à replonger dans ses souvenirs de la guerre du Vietnam. Alors lieutenant dans les Bérets verts et spécialiste des missions délicates, Shelton avait été chargé, lors de la chute de Saïgon, de mettre à l’abri le fourgon blindé renfermant vingt tonnes d’or de la banque centrale du Sud Vietnam. Une opération qui s’était fort mal terminée : l’avion transportant le fourgon avait été abattu en territoire contrôlé par les Khmers rouges.
Et voilà que près de cinquante ans plus tard, Shelton, qui est le seul à pouvoir identifier l’endroit où le fourgon a pu s’écraser dans la jungle, se voit proposer de partir à la recherche de ce fabuleux trésor. Ce qui ne va pas se passer facilement comme on peut l’imaginer.
Grand maître du thriller, Van Hamme nous emmène dans une de ces intrigues captivantes dont il a le secret. Les flashbacks font revivre le chaos de la chute de Saïgon, période propice aux magouilles les plus ahurissantes. Le dessin réaliste ultra dynamique de Christian Denayer met superbement en images les (quasiment incessantes) scènes d’action et nous promène des rues de Saïgon en 1975 à la jungle cambodgienne, du Vietnam d’aujourd’hui à la mer de Chine. Du grand spectacle !
Couverture de la bande dessinée "Ballade de la mer de Sulu", scénario Matz, dessin Philippe Xavier, 56 pages, Le Lombard. (Crédit : Le Lombard)
Couverture de la bande dessinée "Ballade de la mer de Sulu", scénario Matz, dessin Philippe Xavier, 56 pages, Le Lombard. (Crédit : Le Lombard)
*Ballade de la mer de Sulu, scénario Matz, dessin Philippe Xavier, 56 pages, Le Lombard, 15,95 euros.
Toujours dans le registre du grand romanesque, l’aventurier Tango nous avait emmenés à la fin de l’année dernière à la recherche du casque et de la flèche de Magellan aux Philippines dans La flèche de Magellan. Conçue en deux tomes, cette histoire vient de s’achever avec la parution de Ballade de la mer de Sulu*. La quête de ces vestiges archéologiques inestimables suscite bien des convoitises, notamment de la part des triades, et elle n’ira pas à son terme sans une accumulation de morts… Menée à un rythme d’enfer, elle nous offre en toile de fond de superbes images de la mer de Sulu, entre Bornéo et les Philippines, mais aussi de Manille et de ses bidonvilles. Autant de régions d’Asie que l’on a peu souvent l’occasion de voir en bande dessinée.
Couverture de la bande dessinée "Les brumes écarlates", tome 2, scénario et dessin Wu Qingsong, Glénat. (Crédit : Glénat)
Couverture de la bande dessinée "Les brumes écarlates", tome 2, scénario et dessin Wu Qingsong, Glénat. (Crédit : Glénat)
*Les brumes écarlates, tome 2, scénario et dessin Wu Qingsong, 200 pages, Glénat, 22,50 euros.
Il aura fallu attendre deux ans et demi après la parution d’un premier volume très remarqué pour voir sortir le deuxième tome des Brumes écarlates*. On replonge dans cette Chine médiévale de fantasy, grouillante de guerriers, de mages, de monstres et autres objets magiques. Menacés en permanence par ces brumes mystérieuses qui tuent tout sur leur passage quand elles se déploient, plusieurs royaumes rivaux s’affrontent pour trouver la « pierre aux cinq couleurs » qui permettrait de contrôler les brumes.
De la fantasy de série quant au scénario et l’intrigue, à dire vrai, est bien difficile à suivre. Mais cette bande dessinée chinoise vaut par son graphisme. Monstres, armures, architectures, paysages sont plus impressionnants les uns que les autres. Sans parler des incessantes scènes de combat qui font exploser les pages. L’auteur/dessinateur Wu Qingsong confirme sa capacité à mettre en scène une histoire conforme aux canons modernes tout en s’ancrant dans une tradition esthétique bien chinoise. Une suite est annoncée.
Couverture de la bande dessinée "Peleliu Gaiden, tome 2", scénario et dessin Kazuyoshi Takeda, Vega Dupuis. (Crédit : Vega Dupuis)
Couverture de la bande dessinée "Peleliu Gaiden, tome 2", scénario et dessin Kazuyoshi Takeda, Vega Dupuis. (Crédit : Vega Dupuis)
*Peleliu Gaiden, tome 2, scénario et dessin Kazuyoshi Takeda, 224 pages, Vega Dupuis, 8,35 euros.
Retour au monde réel avec la parution du deuxième volume de Peleliu Gaiden* après un premier tome paru en mars dernier. Rappelons qu’il s’agit d’une série dérivée du manga principal, Peleliu, qui raconte l’histoire folle de soldats japonais ayant continué la guerre dans une petite île du Pacifique bien après la fin officielle du conflit en 1945. Cette extraordinaire série, l’un des meilleurs mangas de ces dernières années, s’était étendue sur onze volumes et 2 200 pages. Mais son auteur Kazuyoshi Takeda n’avait pas pour autant épuisé le sujet… Avec Peleliu Gaiden, il livre une série de très courts récits approfondissant tel ou tel personnage ou tel ou tel incident de l’histoire principale. Dans ce volume, on découvre entre autres le portrait de soldats américains complètement déboussolés par leur plongée dans l’enfer de Peleliu, la façon dont différents petits groupes de soldats japonais organisent leur vie cachée dans la jungle, de la discipline impitoyable jusqu’au relâchement complet, ou encore la découverte vingt ans plus tard de l’histoire de la guerre par le fils d’un soldat rescapé du désastre. Toujours aussi poignant, toujours aussi captivant, Peleliu Gaiden ne peut être apprécié que par les lecteurs familiers de la série principale.
Couverture de la bande dessinée "Pour Sanpei", Fumiyo Kouno, Kana. (Crédit : Kana)
Couverture de la bande dessinée "Pour Sanpei", Fumiyo Kouno, Kana. (Crédit : Kana)
*Pour Sanpei, Fumiyo Kouno, 282 pages, Kana, 15,50 euros.
La mangaka japonaise Fumiyo Kouno est l’auteure d’une œuvre tout à fait remarquable, fine et sensible. On lui doit notamment Dans un recoin de ce monde et Le pays des cerisiers, superbes évocations des conséquences de la bombe d’Hiroshima sur la population civile. Son éditeur Kana poursuit la réédition de ses œuvres des deux décennies écoulées avec cette fois Pour Sanpei*.
Très loin de l’aventure, ce volume offre une plongée dans la vie quotidienne d’une famille japonaise. Sanpei est un presque vieux monsieur. Venant de perdre son épouse, il va s’installer chez son fils, sa belle-fille et sa petite-fille. D’un tempérament plutôt ronchon et solitaire, il lui faut s’adapter à sa nouvelle vie. Pour ce faire, il bénéficie d’une aide immense : un cahier laissé par son épouse à son intention dans lequel elle lui prodigue toutes sortes de conseils portant à la fois sur ses relations avec son entourage et les menus détails de la vie matérielle. Cela lui permet de prendre progressivement en charge le fonctionnement de son nouveau foyer, donnant ainsi à sa belle-fille la possibilité de reprendre le travail dont elle rêvait. Le vieil homme bon à rien dans la maison se transforme petit à petit en fée du logis ou presque. Plus important, il devient capable de nouer des relations sereines avec sa famille et même d’envisager une idylle avec une femme beaucoup plus jeune que lui.
Simple et touchante, cette histoire présente une grande originalité : celle d’inclure de multiples conseils de vie pratique. Fumiyo Kouno explique en détail et en images comment recoudre un bouton, faire de la soupe de riz, aérer les futons, repasser une chemise, fabriquer une boîte en papier plié, et même tricoter avec les doigts. De quoi pénétrer dans le quotidien le plus ordinaire d’une famille japonaise ! Un manga porté évidemment par le dessin toujours aussi charmant de Fumiyo Kouno.
Par Patrick de Jacquelot

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A propos de l'auteur
Patrick de Jacquelot est journaliste. De 2008 à l’été 2015, il a été correspondant à New Delhi des quotidiens économiques La Tribune (pendant deux ans) et Les Echos (pendant cinq ans), couvrant des sujets comme l’économie, le business, la stratégie des entreprises françaises en Inde, la vie politique et diplomatique, etc. Il a également réalisé de nombreux reportages en Inde et dans les pays voisins comme le Bangladesh, le Sri Lanka ou le Bhoutan pour ces deux quotidiens ainsi que pour le trimestriel Chine Plus. Pour Asialyst, il écrit sur l’Inde et sa région, et tient une chronique ​​"L'Asie dessinée" consacrée aux bandes dessinées parlant de l’Asie.