Culture
L'Asie dessinée

BD : guerre de libération du Vietnam, l’envers du décor

Détail de la couverture du roman graphique "40 hommes et 12 fusils", scénario et dessin Marcelino Truong, Denoël Graphic. (Crédit : Denoël Graphic)
Détail de la couverture du roman graphique "40 hommes et 12 fusils", scénario et dessin Marcelino Truong, Denoël Graphic. (Crédit : Denoël Graphic)
Un épais roman graphique livre une plongée fascinante dans le processus d’endoctrinement des recrues de l’armée révolutionnaire de Hô Chi Minh dans les années 1950. Et une sélection de beaux livres à offrir pour les fêtes.
*40 hommes et 12 fusils, scénario et dessin Marcelino Truong, 296 pages, Denoël Graphic, 28,90 euros.
La guerre d’Indochine menée par le Viet-Minh contre les colonisateurs français, puis la guerre entre les deux Vietnam du Nord et du Sud, on a l’habitude de les voir traitées vues depuis le Sud, qu’il s’agisse de chroniquer la déroute de l’armée française ou, plus tard, celle de l’armée américaine. Il est beaucoup plus rare d’observer ces événements depuis l’intérieur du camp communiste : c’est précisément ce que fait avec maestria le gros roman graphique 40 hommes et 12 fusils*.
Couverture du roman graphique "40 hommes et 12 fusils", scénario et dessin Marcelino Truong, Denoël Graphic. (Crédit : Denoël Graphic)
Couverture du roman graphique "40 hommes et 12 fusils", scénario et dessin Marcelino Truong, Denoël Graphic. (Crédit : Denoël Graphic)
Cette fiction très solidement documentée raconte l’histoire de Minh. En 1953, ce jeune homme de bonne famille mène la belle vie à Hanoï. Artiste, passionné de peinture et de jazz, il est entièrement tourné vers l’Occident et ne s’intéresse pas à la guerre qui oppose les forces de Hô Chi Minh à celles des Français et de leurs alliés vietnamiens anticommunistes. Mais l’insouciance de Minh, dont la seule ambition est d’aller faire les Beaux-Arts à Paris, vole en éclats le jour où il reçoit son ordre d’incorporation dans l’armée (côté français). Pour le mettre à l’abri, ses riches parents l’envoient sur leurs terres dans une campagne isolée. Mauvaise idée : le voilà arrêté en chemin par les troupes du Viet-Minh. Pour survivre, il lui faut simuler son adhésion au communisme et intégrer l’Armée populaire de libération.
Le contraste avec sa vie d’avant est pour le moins violent. Le voici envoyé en territoire chinois pour recevoir la formation militaire dispensée par d’impitoyables instructeurs maoïstes. En sa qualité de peintre, Minh est affecté à une unité de propagande : quarante hommes et femmes artistes de toutes les disciplines, écrivains, poètes, dessinateurs, comédiens, musiciens, chargés de propager la bonne parole dans les campagnes. Pour les protéger et les encadrer, douze soldats en armes les accompagnent – d’où le titre du volume 40 hommes et 12 fusils. Le travail est rude et dangereux : un trait de travers, une pointe d’humour peuvent passer aux yeux des omniprésents commissaires politiques pour un acte de sabotage contre-révolutionnaire avec les conséquences immédiates et définitives qui en résulteraient… Le danger est d’autant plus grand pour Minh que celui-ci, même s’il cherche avant tout à survivre, ne peut empêcher son esprit frondeur et indiscipliné de se manifester de temps à autre. Heureusement pour lui, son grand talent artistique et son habileté aux armes en font un collaborateur précieux.
Au gré des pérégrinations de son équipe, Minh se trouve à participer au siège de Diên Biên Phu, dont la prise par les troupes de Hô Chi Minh signera la défaite finale de la France au Vietnam. Une blessure sérieuse met un terme à son effort de guerre. Ce qui lui permet, une fois l’armistice arrivée, de partir au Sud-Vietnam retrouver sa famille et sa fiancée.
Cette plongée à l’intérieur des forces révolutionnaires de Hô Chi Minh se révèle fascinante. Le jeune Minh décrit par le menu l’endoctrinement permanent, la langue de bois systématique, l’inculcation de la haine à haute dose, les mensonges de la propagande qu’il lui faut colporter, la discipline impitoyable… Rétif à tout embrigadement, il est horrifié par l’absence totale de liberté de penser et de s’exprimer qui prévaut dans le camp communiste. Et il ne partage pas un seul instant l’optimisme de certains de ses collègues artistes qui sont persuadés que ces contraintes sont justifiées par l’effort de guerre et disparaîtront dès la fin du conflit. Le puritanisme fanatique imposé à tous les combattants de la Révolution lui pèse particulièrement : des silhouettes féminines trouvées dans son carnet de dessins manquent de peu de lui valoir les pires ennuis. La peur est constante mais une vraie solidarité entre compagnons d’armes se développe également.
Tout au long des presque trois cents pages du volume, de multiples personnages font leur apparition : paysans frustes qui ne savent pas trop pourquoi ils sont là, militants convaincus, et différents soldats ou accompagnateurs et accompagnatrices qui cherchent avant tout à survivre. Un Français rallié à la Révolution et responsable de la propagande est spécialement intéressant : comme il lui faut constamment faire oublier son appartenance à la nation des colonisateurs, il se montre bien sûr plus intransigeant que tous les autres cadres.
Haletant, le récit est nourri d’innombrables détails qui font que l’on se demande en permanence s’il ne s’agit pas d’une authentique biographie. Le dessin, superbe, alterne entre pages en bichromie et pleines pages, voire doubles pages, en couleurs. L’ensemble est une réussite complète – qui ne plaira évidemment pas aux nostalgiques de la belle révolution communiste vietnamienne, s’il en existe encore.
Sur un thème similaire, on peut lire Vann Nath, le peintre des Khmers rouges : l’histoire d’un prisonnier des Khmers rouges qui n’a survécu aux camps de la mort que grâce à ses talents de peintre.
Couverture du livre "La cuisine vietnamienne illustrée", texte Nathalie Nguyen, dessin Mélody Ung, Mango Editions. (Crédit : Mango Editions)
Couverture du livre "La cuisine vietnamienne illustrée", texte Nathalie Nguyen, dessin Mélody Ung, Mango Editions. (Crédit : Mango Editions)
*La cuisine vietnamienne illustrée, texte Nathalie Nguyen, dessin Mélody Ung, 128 pages, Mango Editions, 13,95 euros.
Restons au Vietnam tout en changeant de registre : La cuisine vietnamienne illustrée* offre non seulement une large gamme de recettes mais aussi une véritable petite encyclopédie culturelle sur la gastronomie du pays. Intégralement illustré par les dessins plein de charme de Mélody Ung, le livre est structuré en courts chapitres qui traitent de sujets variés : les grands principes de l’alimentation vietnamienne, l’organisation des repas, les types de restauration, les caractéristiques des cuisines régionales… La composition des repas en fonction des événements et fêtes est également abordée. Une trentaine de recettes permettent enfin de passer de la théorie à la pratique. Un joli volume à offrir pour les fêtes aux amoureux du Vietnam, de la gastronomie ou, mieux encore, des deux !
Couverture de la bande dessinée "Quartier lointain", scénario et dessin Jirô Taniguchi, Casterman. (Crédit : Casterman)
Couverture de la bande dessinée "Quartier lointain", scénario et dessin Jirô Taniguchi, Casterman. (Crédit : Casterman)
*Quartier lointain, scénario et dessin Jirô Taniguchi, 410 pages, Casterman, 24 euros.
C’est loin d’être une nouveauté, mais cette réédition de Quartier lointain* de Jirô Taniguchi tombe à pic pour les cadeaux de fin d’année. Publié pour la première fois dans son sens de lecture d’origine (de droite à gauche), ce chef d’œuvre du maître mangaka bénéficie d’une très belle présentation en un gros volume cartonné. L’occasion de (re)découvrir ce roman graphique hors norme, l’histoire d’un père de famille qui se trouve renvoyé dans son passé à l’âge de ses quatorze ans. Un récit qui peut se lire à la fois comme un voyage dans le temps ou comme une plongée dans une histoire familiale douloureuse.
Couverture de la bande dessinée "Jonathan, Intégrale, tome 7", scénario et dessin Cosey, Le Lombard. (Crédit : Le Lombard)
Couverture de la bande dessinée "Jonathan, Intégrale, tome 7", scénario et dessin Cosey, Le Lombard. (Crédit : Le Lombard)
*Jonathan, Intégrale, tome 7, scénario et dessin Cosey, 104 pages, Le Lombard, 21,50 euros.
Encore un très bel album qui ravira les amateurs de bande dessinée classique et du monde himalayen : le septième tome de l’Intégrale* des Jonathan de Cosey. Ce volume reprend pour l’essentiel la dix-septième et ultime aventure du héros du dessinateur suisse, La piste de Yéshé, parue il y a un an de cela. Le principe des intégrales consiste à regrouper plusieurs albums en un fort volume joliment relié, ce qui n’était pas possible en l’occurrence puisqu’il n’y aura pas d’autre histoire de Jonathan. La piste de Yéshé y est donc complété par un dossier d’une quarantaine de pages centré sur un long texte de Nelly Rieuf Bista. Cette Française est une grande spécialiste de la restauration de l’art tibétain qui vit dans l’Himalaya (dans le Mustang au Népal puis au Ladakh en Inde) depuis de nombreuses années. Dans cette passionnante intervention, elle évoque son travail, parle de la vie quotidienne dans l’Himalaya et évoque ses relations avec Cosey. L’ensemble est accompagné, bien sûr, de multiples dessins, esquisses et photos réalisés par le dessinateur. Un régal pour les passionnés de la région et de l’œuvre de Cosey.

Quelques bandes dessinées parues cette année qui feront de parfaits cadeaux :

Pour les enfants : Les aventures du Roi Singe, un grand classique de la littérature chinoise (deux tomes parus).
Pour les adolescents : Le clan des Otori, une passionnante saga japonaise (trois tomes parus).
Pour les adolescents et leurs parents : Le printemps de Sakura, l’émouvante histoire d’une petite fille entre cultures française et japonaise ; Peleliu, la folle histoire de soldats japonais encore en guerre longtemps après 1945 (11 tomes) ; et Pierre rouge plume noire, superbe fantaisie dans une Chine médiévale mythique.
Par Patrick de Jacquelot

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Patrick de Jacquelot est journaliste. De 2008 à l’été 2015, il a été correspondant à New Delhi des quotidiens économiques La Tribune (pendant deux ans) et Les Echos (pendant cinq ans), couvrant des sujets comme l’économie, le business, la stratégie des entreprises françaises en Inde, la vie politique et diplomatique, etc. Il a également réalisé de nombreux reportages en Inde et dans les pays voisins comme le Bangladesh, le Sri Lanka ou le Bhoutan pour ces deux quotidiens ainsi que pour le trimestriel Chine Plus. Pour Asialyst, il écrit sur l’Inde et sa région, et tient une chronique ​​"L'Asie dessinée" consacrée aux bandes dessinées parlant de l’Asie.