Economie
Expert - Agro en Chine

10 ans après le scandale de la mélamine, la Chine continue de peser sur le marché du lait

La Chine, premier importateur mondial de produits laitiers, continue de peser sur les marchés mondiaux. (Source : CNBC)
La Chine, premier importateur mondial de produits laitiers, continue de peser sur les marchés mondiaux. (Source : CNBC)
Officiellement, le scandale du lait contaminé à la mélamine en 2008 a tué 6 nourrissons et rendu malade plus de 300 000 bébés en Chine. Une décennie plus tard, les séquelles sont toujours visibles et l’importance du pays, premier importateur mondial de lait, toujours déterminante sur le commerce international.
Historiquement, la production et la consommation de lait en Chine ont toujours été très limitées, à l’opposé de productions millénaires comme le porc. Jusqu’à 1911, la consommation de produits laitiers était réservée aux nourrissons, aux personnes âgées, aux malades et à la cour de l’empereur. Dès le début des années 1980, pour des raisons nutritionnelles, mais également de croissance économique, les autorités chinoises ont poussé au développement de la production et la transformation laitières, considéré comme un moyen d’augmenter les revenus des ruraux, de permettre l’émergence d’une nouvelle industrie pourvoyeuse d’emplois, mais également d’améliorer l’alimentation de la population.
Mais ce n’est qu’au début du XXIème siècle qu’une politique d’appui au secteur laitier a été véritablement mise en œuvre. La production laitière a alors bondi de 8 millions de tonnes en 2000 à 30 millions de tonnes en 2008. Soit presque une multiplication par 4 en huit ans, d’après les données officielles chinoises, hissant la Chine au rang de 4ème producteur mondial, derrière l’Union européenne, l’Inde et les États-Unis.
Cependant, cette croissance fulgurante a été stoppée nette en 2008 par le scandale de la mélamine qui ébranla tout le secteur. Conséquence, la Chine est devenue en quelques années le premier importateur mondial de produits laitiers. Dix ans plus tard, les séquelles sont toujours visibles, comme les répercussions sur le commerce international des produits agricoles.

Défiance envers les produits nationaux

En 2007, La hausse des prix et la rude bataille entre les transformateurs pour capter le lait ont incité des éleveurs laitiers et des collecteurs, avec la complicité de certaines entreprises à « mouiller » le lait. Pire, à ajouter de la mélamine dans le but de « tromper » les mesures en protéines. L’ingestion de poudres de lait infantile produites avec ce lait a officiellement entraîné le décès de 6 nourrissons et en a intoxiqué 300 000.
Outre le bilan humain, le scandale de la mélamine a mené à une défiance des consommateurs chinois envers les produits laitiers. L’intervention tardive des pouvoirs publics, le nombre élevé de transformateurs chinois impliqués et la répétition des scandales ont en effet détourné les consommateurs chinois des produits laitiers locaux, notamment les poudres de lait infantiles.
Depuis 2008, la production laitière chinoise est entrée en crise et n’a quasiment plus progressé. Confrontés à une demande en recul, de nombreux éleveurs ont en effet quitté le secteur tandis que d’autres ont vendu une partie de leur cheptel en attendant des jours meilleurs. Le gouvernement chinois a ainsi repris en main le secteur laitier avec l’objectif de relancer la production, de rassurer les consommateurs et de reconquérir les parts de marché perdues.
Si cette restructuration a permis de rationaliser les deux maillons de la filière, celle-ci se retrouve déséquilibrée. Le maillon production a subi une restructuration profonde au profit d’exploitations laitières de très grande taille, souvent intégrées verticalement, censées garantir la sécurité sanitaire et accroître rapidement la production nationale. Mais l’amont laitier souffre de coûts de production élevés (foncier, alimentation animale) qui rendent le lait chinois peu compétitif face aux importations. Les grands élevages de plusieurs milliers de vaches tardent à devenir rentables et les petits élevages familiaux quittent par milliers le secteur chaque année faute de perspectives. Confrontés à la défiance d’une partie de la population, le lait chinois se trouve face à des débouchés limités qui expliquent la stagnation de la production au cours des dix dernières années.
A l’inverse, les transformateurs laitiers ont pu en partie profiter de la hausse de la consommation à travers le développement des produits haut de gamme et l’innovation. Les deux grands leaders laitiers nationaux, Yili et Mengniu, qui se classent aujourd’hui respectivement aux 8ème et 9ème rangs des plus grandes entreprises laitières au monde, ont accru leur domination sur le secteur. Pour échapper à une confrontation directe, les entreprises de moindre envergure ont dû rechercher une segmentation du marché (lait pasteurisé, lait de chèvre, lait de yak). Les grands transformateurs chinois se sont aussi développés en investissant à l’étranger pour approvisionner le marché national en produits laitiers étiquetés « importés », afin de développer leur chiffre d’affaires. Mais cette stratégie internationale accentue le cercle vicieux dans lequel les importations croissantes freinent le développement de la filière chinoise, ce qui tire logiquement ces mêmes importations pour satisfaire la demande croissante.

La Chine, premier importateur mondial de produits laitiers

Considérés comme plus sûrs, les achats de produits importés ont en effet explosé, facilités par les faibles barrières à l’entrée. Malgré une volonté toujours affichée de retrouver une indépendance laitière, les autorités chinoises ont dû se résoudre à accepter les importations de produits étrangers, afin de satisfaire une consommation chinoise de produits laitiers en constante progression, même si par habitant elle demeure encore faible, représentant un tiers de la moyenne mondiale. Cette consommation se diversifie des laits liquides vers les produits fermentés qui connaissent une croissance fulgurante. Ainsi, le marché chinois des produits laitiers devrait devenir le premier marché mondial en valeur en 2022, devant celui des États-Unis.
Depuis le scandale de la mélamine en 2008, les importations chinoises ont donc progressé très rapidement, hissant le pays au rang de premier importateur mondial de produits laitiers à partir de 2011. Evalués à plus de 8 milliards d’euros, les importations ont été multipliées par 9 en neuf ans, pour représenter 18 % du commerce mondial en valeur et 20% en volume. Ces achats ont placé la Chine devant la Russie et le Mexique, qui ne réalisent chacun que le tiers des importations chinoises. Imposants sur le marché mondial, ces achats le sont également dans le pays puisqu’ils représenteraient entre 25 et 30 % de la consommation chinoise. Les produits laitiers sont également le 3ème poste d’importation de produits agricoles, derrière le soja et les viandes, montrant leur importance dans la balance commerciale agricole chinoise.
Afin de diversifier ses approvisionnements et de contenir les prix, la Chine a conclu deux accords de libre-échange avec des pays exportateurs de produits laitiers, l’un avec la Nouvelle-Zélande entré en vigueur le 1er octobre 2008, à l’époque du scandale de la mélamine, l’autre avec l’Australie, conclu en 2015 et qui accorde aux exportateurs australiens les mêmes avantages qu’aux Néo-zélandais, mais avec 7 ans de retard. La Nouvelle-Zélande est ainsi devenue le premier fournisseur de produits laitiers de la Chine.
En volume, les importations chinoises sont majoritairement constituées d’ingrédients laitiers, tels que les poudres grasses et maigres ainsi que des poudres de lactosérum. En valeur, les poudres de lait infantiles, à cause du scandale de la mélamine, représentent à elles seules la moitié des importations chinoises.
Mais le développement de la restauration occidentale et des pâtisseries-viennoiseries a depuis quelques années tiré les importations chinoises de beurre, crème et fromages. Les fromages qui sont utilisés dans leur immense majorité comme ingrédients dans la restauration rapide, comme les pizzas.

Une interdépendance entre la Chine et les grands bassins exportateurs

La croissance de la demande devrait profiter en grande partie aux laits étrangers, l’écart grandissant entre production et consommation devant être comblé par des importations. La Chine devrait ainsi amplifier sa dépendance vis-à-vis des marchés internationaux. La place croissante de du pays sur le marché mondial des produits laitiers devrait accroître les opportunités pour les pays exportateurs, mais également les risques liés aux aléas du marché intérieur chinois et la versatilité des autorités de Pékin.
Rappelons que le retrait de la Chine du marché international en 2014 a coïncidé avec la hausse de production anticipant la suppression des quotas laitiers dans l’Union européenne. Ces volumes supplémentaires avaient accru l’offre mondiale, également abondée par les autres grands bassins exportateurs comme l’Océanie et les États-Unis. La combinaison de la hausse des volumes produits et de la baisse de la demande du 1er importateur mondial a causé la chute du prix du lait dans les grands bassins exportateurs, entraînant les éleveurs laitiers de nombreux pays, dont la France, dans une crise dont ils se relèvent à peine.
Au cours des prochaines années, les marchés internationaux des produits laitiers continueront donc à dépendre toujours plus de la demande chinoise et des décisions des autorités du pays. Pour le meilleur comme pour le pire.

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A propos de l'auteur
Jean-Marc Chaumet est agroéconomiste à l'Institut de l'Elevage. Co-auteur du livre "La Chine au risque de la dépendance alimentaire" (Presses universitaires de Rennes, 2017), il est aussi rédacteur en chef de la lettre de veille Chine Abcis sur les produits agricoles chinois, en particulier les produits animaux.