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Les galeries interntationales
Manisha Gera Baswani : une artiste indienne et son installation - Cartes Postales de la maison
Manisha Gera Baswani est peintre et photographe. « J’ai toujours aimé photographier le monde de l’art, mes amis et les maîtres anciens dans leur atelier depuis plus de quinze ans.
Un jour m’est venue l’idée de photographier dans leur atelier 47 Artistes de l’Inde et du Pakistan, 47 artistes dont la vie fut bouleversée par la Partition en 1947. C’est un projet que j’ai conçu et réalisé entièrement par moi-même, sur plusieurs années. »
Quelle est plus exactement la genèse de votre projet ?
Manisha Gera Baswani : A l’origine, c’est une histoire de famille. J’ai toujours voulu rester connectée avec des artistes pakistanais, car mes propres parents sont originaires de villes qui sont aujourd’hui au Pakistan. Mon père avait 15 ans quand il est arrivé de Sargodha (Penjab), ma mère 8 ans en provenance de Quetta (Baloutchistan). Ils ont toujours gardé un souvenir ému de leur enfance. Ils m’ont toujours parlé de ces villages comme de « maison ». Ils me racontaient leurs souvenirs : « A la maison, nous faisions ci, nous faisions cela… » Cela m’a toujours beaucoup frappé d’entendre mes parents parler, bien qu’ils eussent tout perdu, de cette terre comme leur patrie, alors qu’on nous la présente à nous, Indiens, comme ennemie. En 2015, j’ai eu l’occasion d’aller au Pakistan pour une exposition solo. C’est là que j’ai demandé à mes amis pakistanais de m’emmener voir des artistes qu’ils connaissaient pour les photographier, comme je le faisais déjà en Inde. Mon projet d’origine s’appelait « Artistes sous l’objectif ». C’est alors que les conversations sont devenues vraiment intéressantes. J’ai en effet découvert que 80% des artistes pakistanais avaient une histoire avec l’Inde, à travers leurs parents ou grands-parents. C’était la même histoire que celle de mes parents : la nostalgie de l’autre pays, leur pays d’origine. C’est ainsi qu’est né mon projet « Carte Postale de la maison ».
Quel a été votre parcours artistique ?
M.G.B. : Mes parents sont arrivés du Pakistan en réfugiés de la Partition, ils n’avaient rien. Leur principale préoccupation a été de trouver du travail, un toit pour nous abriter. Ils n’avaient ni le temps ni l’éducation pour se préoccuper de culture et d’art. Pourtant, quand j’étais petite fille, je cherchais toujours à attraper un bout de papier pour griffonner ou colorier quelque chose. Ma mère a compris cela : elle a eu la générosité de ne pas me dire « non », elle m’a même encouragée. Plus tard, j’ai pu faire mes études d’art à l’université Jama Millia Islamia à Delhi. C’est là que j’ai appris la peinture avec mon maître A. Ramachandran, un grand artiste indien qui est toujours mon guru. Et voilà près de trente ans que je suis peintre.
J’ai obtenu aussi une licence en Français. J’ai eu la chance d’avoir une bourse d’un an offerte par le gouvernement français. C’était une bourse dite de voyage. Je suis arrivée en France et pouvais faire ce que je voulais, sans devoir m’inscrire quelque part. J’en ai profité pour faire un tour d’Europe, en faisant de Port Royal ma base ! A mon retour à Delhi, j’ai commencé par travailler au Centre Indira Gandhi pour les Arts, comme artiste graphiste, sur Geeta Govinda, un poème sanscrit du XIIIème siècle. C’est un poème célèbre qui a été repris partout en Inde, en littérature, au théâtre ou dans les miniatures indiennes. J’ai beaucoup aimé ce projet parce qu’il m’a permis de rencontrer un grand nombre de personnes, des historiens, des érudits, des poètes, des peintres. Depuis, mon inspiration artistique a toujours été ancrée dans la culture indienne. Et puis mes parents m’ont trouvé un atelier et j’ai commencé à travailler la peinture.
La photographie est venue plus tard, quand j’ai voulu documenter le travail de mon maître A. Ramachandran. Il me manquait après la fin de mes études. Je voulais garder un contact avec lui, revoir et m’inspirer de son travail. J’ai ainsi constitué sur A. Ramachandran une documentation importante, qui pourrait faire un jour un livre, voire un film documentaire. C’est de là que je suis partie photographier d’autres artistes dans leur atelier. J’allais partout avec une caméra, un appareil photo et un dictaphone. C’est ainsi que mon premier projet « Artistes dans l’objectif » est né.
Comment s’est concrétisé le projet « Cartes Postales de la maison » ?
M.G.B. : Quand je suis revenue du Pakistan avec les témoignages de tant d’artistes sur leur nostalgie de l’Inde, je ne savais pas quels artistes indiens avaient une histoire symétrique, liée à la Partition. Alors j’ai envoyé des messages à tous les artistes dont le nom était Penjabi ou Sindhi, c’est-à-dire venant du nord-ouest de l’Inde d’avant la Partition. Ces régions font maintenant partie du Pakistan. Et j’ai réussi à toucher pratiquement tout le monde. Grâce à la technologie, aux mails et à WhatsApp, je n’ai pas eu besoin de visas, pas eu besoin de traverser la frontière ! J’ai recueilli de chaque artiste une histoire, écrite par lui-même ou par un membre de la famille pour les plus vieux, ou un message vocal pour certains. Tous m’ont envoyé quelque chose ! Mon installation « Cartes Postales de la Maison » a été présentée pour la première fois à la Biennale de Lahore. Elle est maintenant à la Biennale de Kochi et aussi ici à l’IAF. L’installation comprend 47 sacs remplis de grains de riz, symboles des plaines fertiles du Penjab et du Sindh. En haut de chaque sac, j’ai placé des paquets de cartes postales – n fois 47 cartes. Chaque visiteur peut déambuler autour des sacs, s’arrêter, prendre une carte postale, regarder la photo de l’artiste dans son atelier et lire la petite histoire qui est au dos. Puis passer à un autre sac et se promener ainsi. Les ateliers se trouvent à Lahore, Karachi, Delhi, ou encore Calcutta, Bombay et parfois New York ou Londres. Les petites histoires sont authentiques, souvent surprenantes, parfois drôles, toujours pleines d’émotion. Chacun peut emporter avec soi les cartes qu’il souhaite emporter en souvenir.
Les propos de Manisha font penser à une tribune de Pankaj Mishra, publiée dans le New York Times du 19 janvier – « The Malign Incompetence of the British Ruling Class », dans lequel il fait un parallèle que seul un Indien vivant à Londres peut oser entre le Brexit et la Partition. « Avec le Brexit, déclare Mishra, la bande de copains élitistes et incompétents qui a toujours dirigé la Grande-Bretagne et a notamment élevé des murs de l’Inde à l’Irlande … est en train de goûter à son propre remède. Il y a soixante-dix ans, la classe dirigeante Britannique abandonnait brutalement le sous- continent Indien, créant en six semaines des frontières artificielles et déclenchant une tragédie d’un million de morts et plusieurs guerres successives. Aujourd’hui, la même bande élitiste a plongé la Grande-Bretagne dans un fiasco similaire, fiasco dont les conséquences pourraient aller jusqu’à une dislocation du Royaume-Uni. »
Avec son installation, Manisha Gera Baswani rappelle les conséquences tragiques de la Partition. Elle montre aussi que l’art transcende les frontières et rapproche des communautés qui ne sont pas – contrairement aux slogans politiques – ennemies.
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