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"Nouvelles Routes de la Soie" : les armées privées de la Chine

Un stagiaire de la compagnie de sécurité privée Dewei Security lors d'une session d'entraînement dans la banlieue de Pékin, le 2 mars 2017. (Source : Asia Times)
Un stagiaire de la compagnie de sécurité privée Dewei Security lors d'une session d'entraînement dans la banlieue de Pékin, le 2 mars 2017. (Source : Asia Times)
Comment protéger les « Nouvelles Routes de la Soie » ? Le projet pharaonique de Xi Jinping est une formidable projection de puissance pour la Chine autant qu’une source d’opportunités multiples pour ses entreprises. Mais les « Routes » traversent de nombreux pays instables, sujets au terrorisme et aux réseaux criminels. Dans China’s Private Army, Protecting the New Silk Road, Alessandro Arduino décrypte les enjeux de la protection des intérêts économiques chinois à l’étranger et le développement d’entreprises nationales pour y faire face. Co-directeur du Centre international de gestion des crises et de la sécurité à l’Académie des Sciences Sociales de Shanghai, ce chercheur italien réussit à défricher et démystifier un sujet méconnu. La sécurisation des « Nouvelles Routes de la Soie » sera pourtant une des clés de voute de la réussite des ambitions chinoises dans de nombreux pays en développement.
Lorsqu’au début des années 2000, la Chine s’est lancée dans la conquête des marchés à l’exportation, elle a d’abord privilégié ceux désertés par les Européens, les Anglo-saxons et les Japonais. Ces pays – la Côte d’Ivoire, le Soudan ou le Pakistan – avaient toutefois été délaissés en raison d’une forte instabilité et insécurité. Prolongeant cette logique d’opportunité commerciale, les « Nouvelles Routes de la Soie » ont contribué à poursuivre le développement de la présence économique chinoise dans des pays dits « à risque ».
Le chercheur italien Alessandro Arduino. (Source : RSIS)
Le chercheur italien Alessandro Arduino. (Source : RSIS)
Dans China’s private army, Alessandro Arduino s’applique à tordre le cou aux clichés. Si les actes hostiles à la présence chinoise existent, comme à la mine d’Aktogay au Kazakhstan en 2015, les principaux risques sécuritaires pour les entreprises et ressortissants chinois à l’étranger sont les actes crapuleux (enlèvement pour demande de rançons, rackets, etc.) et les conséquences de crises géopolitiques. Le 20 novembre 2015, les trois employés de la China Railway Corp tués lors de l’attaque terroriste à l’hôtel Radisson de Bamako n’avaient pas été ciblés pour leur nationalité chinoise. Ils étaient simplement présents dans un hôtel de luxe où logeaient de nombreux étrangers.
Historiquement, pour les entreprises d’État chinoises, ce type de menace devait être géré par les autorités. Pékin négociait directement avec les gouvernements locaux pour que leur police ou leurs forces armées prennent en charge la sécurité de ses investissements. C’est notamment le modèle qu’a su habilement promouvoir pendant de nombreuses années la Chine en Afghanistan. Le pays de Xi Jinping, sans jamais s’engager militairement, s’est présenté comme un acteur investissant et aidant par la même occasion à relancer l’économie locale. Ce faisant, Pékin en retirait les bénéfices tout en laissant les forces locales, voire la coalition internationale, assumer le risque lié à la protection de ses investissements.
Présentes dans de nombreux pays instables, les entreprises chinoises ont toutefois été confrontées à l’impossibilité, voire au manque de volonté, de certaines autorités d’assurer leur sécurité. Découvrant avec stupeur les limites de l’influence du gouvernement chinois dans certaines zones du globe, face à la volonté de limiter au maximum l’interventionnisme militaire à l’étranger, les entreprises nationales ont dû s’organiser. Ce qui fut loin d’être simple, explique Alessandro Arduino, aussi bien pour des raisons culturelles que pratiques.
Le recours à des sociétés militaires privées (SMP) existe en Chine, mais il est difficilement envisageable pour une société chinoise de faire confiance à un prestataire étranger. Les ambassades n’embauchent, par exemple, que des ressortissants chinois ou locaux d’ethnie Han. A cela est venu s’ajouter la réputation sulfureuse des SMP, impliquées dans des incidents à répétition en Irak et en Afghanistan. Si les Anglo-saxons (Control Risks, G4S ou Frontier Service Group) profitent encore de l’absence d’acteurs chinois crédible dans le domaine, les SMP russes tirent leur épingle du jeu, notamment en Asie centrale.
Faute d’avoir eu à s’en occuper par le passé, les entreprises chinoises voient la sécurité comme un coût sec. Aussi ont-elles largement eu recours à des sociétés médiocres, choisies simplement pour leur prix attractif. Ce type de raisonnement a causé de nombreux soucis, confortant certaines entreprises dans une approche fataliste du risque sécuritaire.
Dans un panorama du secteur de la sécurité jamais lu en anglais auparavant, l’auteur montre la pauvreté du secteur en termes d’acteurs crédibles en Chine. En raison d’un strict contrôle des armes, et essentiellement orienté vers la protection de VIP, les sociétés chinoises de sécurité privées demandent simplement de la part de leurs employés une bonne maitrises des arts martiaux et des risques liés aux seules attaques à main nue et à l’arme blanche. Une approche largement insuffisante lorsqu’il s’agit d’aller opérer à l’étranger dans des zones où sévissent explosifs, tirs à larme légère voire lourde, barrage routier sauvage ou attaques terroristes. La faible maîtrise des langues étrangères, le manque de connaissances sur les zones d’opérations, et surtout le grand manque d’expérience opérationnelle outre-mer de l’armée chinoise, rend la ressource humaine compétente très rare.
Le secteur connaît toutefois une évolution rapide. Les grosses déconvenues comme en Libye ou actuellement au Vénézuela que plusieurs dizaines de milliers de chinois auraient fui en 2017, font peser une pression grandissante sur les autorités chinoises. L’Armée populaire de libération (APL) ne pouvant intervenir partout, le développement d’acteurs privés est désormais nécessaire.
Depuis quelques années, le gouvernement chinois opère des réductions drastiques dans les rangs de l’APL : elle doit passer de 2,3 millions de soldats en 2015 à moins d’1 million en 2020. Pour Arduino, Pékin « est inquiet du fait qu’un grand nombre de soldats démobilisés puisse rejoindre les rangs de gangs criminels, en utilisant les compétences militaires dans des activités criminelles ». Si le danger est moins important qu’en Russie, en raison d’une expérience opérationnelle bien moindre, la Chine verrait d’un bon œil l’émergence d’un secteur privé absorbant utilement ces anciens soldats. Le développement du secteur est également marqué par un transfert de compétences en provenance des acteurs étrangers et par un coût d’apprentissage réduit des acteurs chinois, qui peuvent tirer les leçons des échecs de certaines entreprises étrangères.

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A propos de l'auteur
Vivien Fortat est spécialisé sur les questions économiques chinoises et les "Nouvelles routes de la soie". Il a résidé pendant plusieurs années à Tokyo et Taipei. Docteur en économie, il travaille comme consultant en risque entreprise, notamment au profit de sociétés françaises implantées en Chine, depuis 2013.