Culture
Photographes d'Asie

Portfolio : l'identité perdue de Hong Kong dans l'objectif de Dick Chan

Extrait de la série "Temples" par Dick Chan : la nuit, les images des deux dieux du temple apparaisse plus clairement sur la porte. Hong Kong, 2017. (Copyright : Dick Chan)
Extrait de la série "Temples" par Dick Chan : la nuit, les images des deux dieux du temple apparaisse plus clairement sur la porte. Hong Kong, 2017. (Copyright : Dick Chan)
Hong Kong change. Hong Kong ne se ressemble plus. Que deviendront ces vieux bâtiments de cinq étages aujourd’hui dévorés par les tours HLM et les gratte-ciels ? Ces buildings communautaires où logeaient plusieurs dizaines de familles par étage et où le toit plat servait tout aussi bien à faire sécher les poissons, jouer au mah-jong ou donner des cours de danse. Qui apprécie encore les dieux de la porte qui deviennent visibles la nuit tombée ? C’est autant de symboles que le photo Dick Chan a voulu « capturer » alors que le développement urbain incessant transforme l’ancienne colonie britannique à l’image du continent chinois, craint-il. Ses photos sont exposées ce vendredi soir dans un espace privé chez Mai et Jean-Marc Chalot-Tran au 21 rue Béranger à Paris. Pour Asialyst, Dick Chan raconte trois de ses portfolios.

Contexte

Né en 1969 à Hong Kong, Dick Chan a commencé sa carrière en tant que journaliste. Il est ensuite devenu chef du département de la photographie dans divers journaux chinois. Avec sa passion pour l’humanitaire, il a travaillé comme coordinateur de projet pour l’Armée du Salut, lui donnant une première rencontre avec la pauvreté, le travail de secours aux sinistrés et diverses questions sociales en Chine et en Asie du Sud. Ses travaux se concentrent sur les personnes, la société et l’environnement, avec des sujets couvrant du cancer infantile à la protection de l’environnement.

« Le concept de ces séries est né après la rétrocession de Hong Kong à la Chine en 1997, confie Dick Chan. A cette époque, la ville était plus développée que la Chine continentale. Tout le monde s’attendait à ce que Hong Kong change beaucoup après son retour à la Chine. Aujourd’hui, Hong Kong va encore changer de paysage urbain dans les dix années à venir, sans compter le grand changement politique qui s’opère actuellement. Même notre vie quotidienne change. Quand j’étais petit, lorsque j’allais à l’école, je n’étais pas obligé de rendre hommage au drapeau de la Grande-Bretagne ou même de la Chine. Lorsque nous apprenions l’histoire chinoise, l’histoire occidentale, je ne me souciais pas de tout cela : nous étions si loin de la Chine communiste. Nous étions d’accord pour nous dire tous chinois, mais nous ne partageons que les origines, pas l’histoire récente de la Chine dont nous ne sommes pas très familiers.

« Aujourd’hui, même ma plus jeune fille doit apprendre l’hymne national et rendre hommage au drapeau chinois. Notre vie devient de plus en plus similaire à celle de la Chine continentale. A la télévision, nos dirigeants hongkongais s’expriment de plus en plus en mandarin, dont nous ne sommes pas très familiers, alors que notre langue maternelle, c’est le cantonais ! De même à l’école, les enfants apprennent le mandarin au lieu du cantonais. Toutes ces choses font que Hong Kong deviendra une autre ville, que les gens de ma génération ne reconnaîtront plus dans une décennie. Les jeunes ne sauront plus ce que fut le vieux Hong Kong. Nous perdons notre identité. Donc j’ai voulu utilisé mon appareil photo pour capturer mes souvenirs de cette ville avant qu’ils ne disparaissent du paysage. »

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Extrait de la série "Roof" de Dick Chan : les anciens immeubles accueillaient des ateliers textiles, dans le quartier de To Kwa Wan dans la péninsule de Kowloon à Hong Kong. (Copyright : Dick Chan)

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Extrait de la série "Roof" de Dick Chan : "Dans ce hangar quelconque sur le toit avait lieu des cours de danse, c'était pratique et moins cher pour les artistes désargentés." Péninsule de Kowloon à Hong Kong. (Copyright : Dick Chan)

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Extrait de la série "Roof" de Dick Chan : "Ici, la végétation urbaine pousse toute seule sur les toits, au gré des oiseaux qui sèment les graines." Péninsule de Kowloon à Hong Kong. (Copyright : Dick Chan)

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Extrait de la série "Roof" de Dick Chan : "Des poissons en train de sécher sur les toits." Péninsule de Kowloon à Hong Kong. (Copyright : Dick Chan)

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Extrait de la série "Roof" de Dick Chan : la table de mah-jong, dans la péninsule de Kowloon à Hong Kong. (Copyright : Dick Chan)

 
 
« Roof », Une série photo réalisée par Dick Chan à Hong Kong en 2017.

Toits

Dick Chan : « Toutes ses photos ont été prises sur les toits des anciens bâtiments, les « Tang buildings » (Tang Lou). Ils étaient appelés ainsi car c’était les Chinois en grande majorité qui y habitaient, pas les Britanniques. C’était généralement des bâtiments en béton de 5 étages, parfois allant jusqu’à 10 étages, construits à partir du début du XXème siècle jusque dans les années 1950 et 60. Ils représentaient la majorité de l’habitat urbain à Hong Kong il y a 40 ans encore. Désormais, ils sont remplacés par des tours HLM.

« Ces « Tang buildings » représentent une grande part de l’identité et des souvenirs des Hongkongais. Ils ne signifient rien pour les Occidentaux, mais pour nous, cela représente les communautés où nous avons vécu jusque dans les années 1970. Je suis né en 1969 dans l’un de ces buildings. Quand j’étais petit, je devais monter et descendre 7 étages tous les jours pour aller à l’école ou pour aider ma mère à ramener tout un tas de choses à la maison. Presque tous les Hongkongais étaient pauvres à cette époque. Ma mère allait à l’usine pour prendre des vêtements et les ramener à la maison faire de la couture ou de la confection, puis rapporter le produit fini à l’usine. Celle-ci se trouvait dans le même type de bâtiments. Mon père était ouvrier dans une manufacture, où il fabriquait des bracelets de montres de luxe pour Rollex. Les Hongkongais étaient bien formés et très qualifiés. Dans les années 1980, Hong Kong produisait près de 80% des montres dans le monde ! Aujourd’hui, toutes ces usines n’existent plus ici, elles ont déménagé sur le continent chinois. Et les bâtiments qui restent sont utilisés comme entrepôts ou espaces de bureaux. Ce type de paysage urbain se raréfie à mesure que la ville devient un « hub commercial » et se nappe de tours et de gratte-ciel. »

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Extrait de la série "Temples" par Dick Chan : la nuit, les images des deux dieux du temple apparaissent plus clairement sur la porte. Hong Kong, 2017. (Copyright : Dick Chan)

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Extrait de la série "Temples" par Dick Chan. Hong Kong, 2017. (Copyright : Dick Chan)

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Extrait de la série "Temples" par Dick Chan. Hong Kong, 2017. (Copyright : Dick Chan)

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Extrait de la série "Temples" par Dick Chan. Hong Kong, 2017. (Copyright : Dick Chan)

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Extrait de la série "Temples" par Dick Chan. Hong Kong, 2017. (Copyright : Dick Chan)

 
 
« Temples », Une série photo réalisée par Dick Chan à Hong Kong en 2017.

Temples

Dick Chan : « Avant la cession de Hong Kong aux Britanniques en 1842, ce n’était qu’un petit village d’à peine 6000 habitants. Un tiers d’entre eux étaient des pêcheurs et les autres étaient des fermiers. Personne alors ne pouvait imaginer que Hong Kong se transformerait en cité internationale comme aujourd’hui. Cette série sur les Temples reflète ce qu’était Hong Kong lorsqu’elle a commencé à devenir une vraie ville. Ce sont des temples dédiés à Tin Hau, la déesse de la mer, typiques de la Chine du Sud. A l’origine, ces temples étaient bâtis le long du littoral, mais au fur et à mesure, d’autres ont été construits dans les terres, et se retrouvent coincés aujourd’hui entre les gratte-ciel.

« La raison pour laquelle j’ai pris ces photos de nuit est parce qu’on ne peut bien voir tous les détails des temples qu’après le coucher du soleil lorsqu’ils sont fermés au public. Regardez sur mes clichés l’entrée principale : vous verrez les images des deux dieux protégeant le temple, que nous appelons les Dieux des Portes. Vous ne les voyez pas le jour. Aux yeux des étrangers, cela n’a rien de particulier, mais pour nous, les Hongkongais, c’est une caractéristique unique. »

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Extrait de la série "Nights" par Dick Chan : le renouvellement urbain infini risque de faire perdre son âme à Hong Kong. Péninsule de Kowloon, 2017. (Copyright : Dick Chan)

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Extrait de la série "Nights" par Dick Chan : les lumières de Hong Kong sont plus éclatantes la nuit qu'à Paris ou Londres, mais ça ne suffit jamais, il en faut toujours plus. Ile de Hong Kong, 2017. (Copyright : Dick Chan)

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Extrait de la série "Nights" par Dick Chan : à Hong Kong, ce ne sont plus les temples qu'on vénère, mais le développement urbain. Ile de Hong Kong, 2017. (Copyright : Dick Chan)

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Extrait de la série "Nights" par Dick Chan. Ile de Hong Kong, 2017. (Copyright : Dick Chan)

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Extrait de la série "Nights" par Dick Chan. Ile de Hong Kong, 2017. (Copyright : Dick Chan)

 
 
« Nights », Une série photo réalisée par Dick Chan à Hong Kong en 2017.

Nuits

Dick Chan : « Au début, Hong Kong était un petit village croyant aux forces de la nature, à sa culture et à ses religions. Aujourd’hui, nous sommes une grande ville, nous vénérons de plus en plus le développement. Je ne dis pas que Hong Kong est un cas particulier sur ce point. C’est le cas aussi en Chine continentale où les nouvelles villes vénèrent aussi tellement le développement. Ce qui est très différent des villes occidentales, qui bien sûr, se développent encore, mais chérissent leur culture traditionnelle et leur héritage. A Hong Kong, le développement passe par la démolition des anciens bâtiments et du paysage originel. Même dans la zone urbaine déjà peuplée de buildings, les nouveaux remplacent les anciens. Alors que notre cité a une histoire d’à peine plus de cent ans, elle s’est « re-développée », reconstruite, trois ou quatre fois déjà !

« Regardez cette quantité de lumière qui jaillit des buildings. Même à Paris ou à Londres, qui est une ville très développée et très avancée, on ne voit pas une lumière pareille. Mais peu importe : à Hong Kong, il nous faut encore davantage de méga-structures ! »

Propos recueillis par Joris Zylberman

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A propos de l'auteur
Joris Zylberman est directeur de la publication et rédacteur en chef d'Asialyst. Il est aussi chef adjoint du service international de RFI. Ancien correspondant à Pékin et Shanghai pour RFI et France 24 (2005-2013), il est co-auteur des Nouveaux Communistes chinois (avec Mathieu Duchâtel, Armand Colin, 2012) et co-réalisateur du documentaire “La Chine et nous : 50 ans de passion” (avec Olivier Horn, France 3, 2013).