Economie

Les "Nouvelles Routes de la Soie" et l'innovation : une feuille de route sans projets ?

Le président chinois Xi Jinping porte un toast lors du banquet de bienvenue au Forum des Nouvelles Routes de la Soie, dans le Grand Hall du Peuple à Pékin le 14 mai 2017. (Crédits : AFP PHOTO / POOL / DAMIR SAGOLJ)
Le président chinois Xi Jinping porte un toast lors du banquet de bienvenue au Forum des Nouvelles Routes de la Soie, dans le Grand Hall du Peuple à Pékin le 14 mai 2017. (Crédits : AFP PHOTO / POOL / DAMIR SAGOLJ)
Du 14 au 16 mai se tenait à Pékin le premier sommet international consacré au projet de « Nouvelles Routes de la Soie », avec des chefs d’État de 29 pays dont le Russe Vladimir Poutine et l’Indonésien Joko Widodo. Lancée par Xi Jinping en 2013 depuis le Kazakhstan, l’initiative « One Belt One Road » (OBOR) vise à déployer 1 000 milliards de dollars d’investissements dans 65 pays. Il s’agit essentiellement pour la Chine de soutenir des projets d’infrastructures – autoroutes, train, ports mais aussi énergies – afin de rééquilibrer son développement économique intérieur, renforcer sa politique de voisinage et devenir la première puissance influente sur la zone, devant les États-Unis et la Russie.

L’innovation, jalon du discours d’ouverture de Xi Jinping

L’innovation dans ce projet tient une place particulière : prédominante dans la forme, peu substantielle dans le fond. Dans son discours d’ouverture, Xi Jinping l’aborde sous toutes ses coutures, parlant « d’apprentissage mutuel », mettant en avant le rôle historique des routes de la soie dans « l’échange de biens et de savoir-faire qui nourrissent de nouvelles idées ». L’initiative OBOR n’a pas pour objectif de « réinventer la roue » mais doit toutefois présenter les opportunités d’une « nouvelle révolution industrielle » et porter une vision « innovante, coordonnée, verte, ouverte et inclusive » du développement.
L’innovation apparaît donc clairement comme un objectif d’OBOR et Xi a précisé le contenu des projets le 14 mai dernier : création d’un « Belt and Road Science Technology and Innovation Cooperation Action Plan », composé d’une plateforme d’échange, d’un laboratoire commun et d’un parc scientifique de coopération et de transfert technologique. Si le contenu de ces initiatives n’est pour l’instant pas précisé, leurs annonces détonnent avec la « diplomatie des transports » pour l’instant privilégiée par la Chine. Comment faire le lien entre ces infrastructures lourdes et ces technologies de pointe ?

Un modèle chinois de rattrapage technologique

La primauté donnée aux infrastructures reste cohérente avec le modèle de développement que la Chine a pu entreprendre par le passé. Il est permis de penser qu’elle souhaite exporter via OBOR ce modèle qui se déploie en quatre temps : 1) le développement d’infrastructures; 2) l’acquisition de savoir-faire et de technologies via des joint-ventures; 3) la montée en gamme par la recherche et développement permettant de dégager de la valeur ajoutée; 4) des innovations en R&D proches de la frontière technologique. L’innovation dans ce modèle arrive bien dans un second temps.
Le questionnement est double. Portées par le « Belt and Road Science Technology and Innovation Cooperation Action Plan », les politiques de cluster ex nihilo ne permettent pas nécessairement de remonter la chaîne de valeur si la maturation technologique n’est pas suffisante. En la matière, les 64 pays d’OBOR attestent de degrés de développement variés (du Bangladesh au Kazakhstan en passant par le Sri Lanka), constat toutefois réductible aux avantages comparatifs de chaque économie.
Certes, la Chine est la première puissance en terme de dépôts de brevets si l’on considère leur quantité et non leur qualité d’innovation. Mais a-t-elle la stature nécessaire pour constituer un moteur d’innovation à l’échelle de l’Asie ? La projection « innovation » d’OBOR reste aujourd’hui parcellaire et il est difficile de voir si la diplomatie des voies ferrées et des routes permettra de développer une « Asia Inc. » menée par la Chine. On peut toutefois interroger l’effet d’opportunité pour Pékin de l’ensemble du projet et envisager plusieurs hypothèses. La première serait pour les Chinois d’utiliser les laboratoires OBOR afin d’employer sa main-d’œuvre qualifiée en accompagnant les pays bénéficiaires dans leur rattrapage technologique, à l’instar des ingénieurs occidentaux et japonais (cf. les « quality infrastructures » nippones) qui ont formé les ouvriers chinois, notamment dans le secteur des télécommunications dans la décennie 1990 (lire les recherches de Jean-François Huchet à ce sujet). Deuxième hypothèse, OBOR permettrait à la Chine de repérer au stade du développement, des technologies ou des start-ups qui bénéficieront de ses investissements. Ainsi, cette feuille de route « Innovation », pour l’instant peu substantielle, semble permettre le déploiement d’une géoéconomie de l’innovation dominée par la Chine, et qui laissera peu de place aux investisseurs étrangers.

L’innovation, une géopolitique comme une autre

Que doit développer OBOR ? Le discours de Xi Jinping fait la liste des sujets (économie numérique, intelligence artificielle, nanotechnologie, calcul quantique), des secteurs (notamment les technologies vertes) et des procédés, qui doivent être incrémentaux, reposant sur les pools de connaissances et les écosystèmes entrepreneuriaux. Pour l’instant, les deux projets innovation les plus aboutis dessinent davantage une géopolitique de l’innovation à l’encontre de l’Inde, avec le lancement de satellites de télécommunication. Sur un marché de l’aérospatial dominé par les technologies occidentales et les situations de monopoles, l’Inde et la Chine tentent de disrupter les chaînes de valeur pour diminuer les coûts de lancement et démocratiser leurs usages. Il est donc stratégique pour elles d’exporter leur savoir-faire afin d’atteindre une légitimité internationale.
Le Livre Blanc du 28 décembre 2016, consacré aux activités spatiales chinoises, mentionne directement le projet OBOR comme un « moyen de déployer les services basiques de communication pour les pays le long de la route de la soie terrestre et maritime d’ici 2018, à travers un réseau constitué de 35 satellites mis en service d’ici 2020 ». Ces nouvelles technologies de communication spatiale viennent concurrencer une diplomatie d’influence initiée par l’Inde en 2014 lors du sommet de la SAARC (South Asian Association for Regional Cooperation). Le sommet englobait 6 pays (Afghanistan, Bangladesh, Bhoutan, Maldives, Népal et Sri Lanka) afin de connecter les réseaux, mais également de développer la télémédecine dans les régions rurales. La Chine a, quant à elle, aidé le Pakistan et le Sri Lanka à lancer des satellites et est en négociation avec les Maldives, le Bangladesh, l’Afghanistan et le Népal pour de futures opérations.
Cette géopolitique de l’innovation via OBOR est corroborée par la place prédominante donnée aux technologies vertes et à l’adaptation au climat dans le discours de Xi Jinping. Le président chinois souhaite ainsi développer une « coalition internationale du développement vert » et accompagner les pays d’OBOR dans « l’adaptation au changement climatique ». Face à une nouvelle administration climato-sceptique à Washington, la Chine a, encore une fois, saisi l’opportunité qui s’ouvrait à elle.

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A propos de l'auteur
Ancienne directrice Asie au sein d'Open Diplomacy, Alisée Pornet a travaillé pour "le Monde" depuis Shanghai où elle a couvert les transitions sociales de la Chine. Ancienne élève de L’École Normale Supérieure de Lyon, agrégée de géographie, elle a ensuite rejoint l'équipe de recherche COP21 pour suivre le dossier indien. Elle se spécialise aujourd'hui sur l'étude de la "Belt and Road Initiative" (Les "Nouvelles Routes de la Soie") ainsi que sur l'évolution des sujets innovation et numérique en Asie, et plus particulièrement en Chine.