Inde : la célébration d'Ayyanar en voie de disparition au Tamil Nadu
Terre cuite et dévotion
La réalisation des Kutirai est un acte sacré perpétré de génération en génération par les prêtres de la communauté des potiers Vellars, assistants d’Ayyanar. Le processus de cette création commence à la nuit lors d’une procession qui démarre de la maison du chef de village pour aller jusqu’au site du sanctuaire. La réalisation d’un cheval de belle taille prend une dizaine de jours. Les villageois mettent une attention particulière dans le style et la beauté des figures de terre cuite qu’ils offrent au Dieu.
Dans le village d’Aranthangi, les maîtres potiers réalisent chaque année un cheval de cinq à six mètres de haut en une seule pièce. Il est l’œuvre de toute la communauté des Vellars et requiert au moins un mois de travail. Il est offert par l’ensemble du clan au sanctuaire de Kutadivayal situé à 5 km. Lorsque les chevaux sont terminés, on prépare une cérémonie élaborée, à la fois folklorique et religieuse – le kutirai etuppu. Le déroulement d’un kutirai etuppu varie d’un village à l’autre et implique l’ensemble de la communauté du village.
De la terre à la terre, au cœur du KovilKaduu
Il suffit de pénétrer ces sites aux allées bordées de centaines de représentations de ces animaux puissants comme les chevaux aux gueules riantes, pour ressentir la présence du sacré où le Dieu bienveillant nous fait entrer dans un univers apaisant. Les figures de terre cuite disparaissent parfois au profit de la nature, les terres cuites recouvertes de lichen prennent l’aspect du végétal, certaines se délitent et s’effondrent pour revenir à la Terre, une tête patinée par les moussons émerge du sol, à moitié recouverte par un buisson.
Un sentiment étrange nous saisit car on voit d’un côté cette usure du temps qui n’est que l’expression d’un cycle, car on sait que ce qui disparaît revient chaque année avec les nouvelles offrandes, et de l’autre côté, ces lieux nous font pénétrer dans les temps anciens, comme si tout s’était arrêté depuis qu’Ayyanar avait choisi d’y établir son siège.
Sur les traces d’Ayyanar
Certains scientifiques s’accordent cependant à dire que les chevaux existaient au Tamil Nadu bien avant l’arrivée des envahisseurs brahmines. Le mot Aiyanar vient d’Ai en tamoul ancien, qui signifie aîné, chef du village. Selon le groupe de chercheurs, Ayyanar trouve ses origines dans la création de la société villageoise au Tamil Nadu. Marc Jarzombek, historien, DEAN au M.I.T., argumente sur la présence dans presque tous les villages au Tamil Nadu des arbres et des bois sacrés (kovilkaadu, temple forêt) liés aux sanctuaires dédiés à la divinité Mère, Kali, Mâri, Amman ou Ellai Pidaari qui est considérée comme la Shakti originelle, pouvoir féminin par qui a été créé Shiva, Vishnou et Brahma.
Le phénomène remarquable est l’adoration au moyen d’offrandes votives placées au pied des arbres sacrés, sculptures de terres cuites cylindriques d’environ 20 centimètres de haut, représentant un corps simplifié et surmonté d’une tête humaine ornée de grands yeux. Selon Jarzombek, ce type de dévotion date du 3ème millénaire avant notre ère et est particulier au Tamil Nadu. Cette statuaire votive est aujourd’hui très présente dans les sites d’Ayyanar. Si le culte d’Ayyanar est plus récent il a été interconnecté aux sanctuaires dédiés à la divinité Mère et est associé au paysage des arbres sacrés et des bois. Selon Jarzombek, il ne s’agit pas d’une fusion de l’ancien et du nouveau, mais d’une revendication du pouvoir du sacré ancien au profit d’un nouvel instrument de contrôle.
Naissance d’Ayyanar
L’un de ces phénomènes de réinvention date du 13ème siècle, au moment de l’émergence de l’hindouisme comme religion d’Etat, lorsqu’il est devenu la progéniture de Shiva et de Vishnou. La légende raconte que Vishnou aurait pris l’apparence féminine pour déjouer les nouveaux pouvoirs du démon pour venir en aide à Shiva. Shiva aurait en effet involontairement conféré de puissants pouvoirs au démon qui pourrait l’anéantir. Vishnou ayant pris l’apparence d’une créature féminine d’une rare beauté et sensualité, Mohini, reçut la semence de Shiva dans un désir incontrôlable. Ainsi, Ayyanar est le fils de dieux hindous majeurs, Shiva et Vishnou.
Kutirai Etuppu, rencontre avec Dieu
Des rituels vont se dérouler chaque jour. Ils varient selon chaque village.
Dans le village de Kothamangalam, le deuxième jour fait l’objet de quelques rituels dont le plus important est le conseil des pujaris pour décider de la prise de fonction de chacun d’eux dans les trois sanctuaires du village. Kothamangalam est en effet remarquable car doté d’un sanctuaire au sud, à l’entrée du village, le Chithakattan Ayyanar, un autre appelé Adaikalamkattan Ayyanar, situé à l’ouest près du grand lac (kanmoi) et le sanctuaire de Vedathalai Ayyanar, le Kovilkaadu situé à l’est en dehors du village. Selon les villageois, le sanctuaire de Chithakattan Ayyanar est le plus puissant. C’est là qu’on trouve le plus de Kutirais. Le conseil se termine par la danse des Samy, le Samyattam.
Le troisième jour est dédié à une cérémonie toute particulière au village. Sept mâles d’une famille vont se grouper dans un trou creusé en forme de cercle pour l’occasion, Pani Kuzhi, ou fosse aux cochons, recouverte de feuillage. Ils vont rester là nus jusqu’à ce que les Pujaris, entourés des villageois, fassent trois fois le tour du cercle, puis attrapent l’un d’eux qui sera considéré comme impur pendant toute une année. L’ensemble des participants iront alors jusqu’au kanmoi, le lac proche, pour se purifier. La marche est dirigée par les Pujaris qui accompagnent le « cochon » impur.
A Kothamangalam, ils sont au nombre de huit. Ceux sont des hommes que l’on croise tous les jours dans les rues du village, des hommes aux apparences ordinaires, mais qui assurent la fonction divine de recevoir le dieu en eux. Certains reçoivent le puissant Ayyanar, d’autres, l’un de ses compagnons, comme Karupah, le chef guerrier. Le grand rituel de Kutirai Etuppu est le rendez-vous des villageois avec le divin. Les villageois viennent consulter l’homme Dieu, le remercier, le prier, l’implorer, l’écouter individuellement ou collectivement pour suivre ces préceptes et ses recommandations.
La fête avance en heure et les Samy se rassemblent pour le rituel le plus important, celui durant lequel les kutirais vont prendre vie. Un coq est saigné, son sang est appliqué entres yeux du kutirai pour lui donner vie. Il devient alors réellement divin. Plus tard dans la soirée, la procession démarre, dirigée par les Dieux vivants, certains chevauchent les offrandes sacrées. Les kutirais se mettent en route, portés par les dévots, traversent les ruelles du village dans une cavalcade effrénée, entourés de tous les villageois pour se diriger vers les sanctuaires. Après un arrêt devant le temple de Ganeshan, les Kutirais sont déposés dans l’espace sacré du sanctuaire. Tard dans la nuit, les anciennes offrandes, usées par le temps, vont être déplacées vers l’arrière du périmètre sacré pour laisser la place aux nouveaux arrivants.
A Kothamangalam, un autre groupe conduit par Karupah Samy prend le chemin du Vedathalai Ayyanar, le kovilkaadu situé à l’est du village et gardé par ses Paparappans à l’entrée du site. Là, à la lueur des torches seront présentées les offrandes aux habitants célestes du bois.
Adieu Ayyanar
Pourtant, les prêtres potiers nous racontent aujourd’hui qu’ils seront les derniers à perpétrer ces rituels, car leurs enfants sont partis vers les grandes villes ou à l’étranger, pour trouver de nouveaux débouchés économiques. Le métier de potier ne semble pas pouvoir faire vivre les jeunes générations qui aspirent à la modernité et au pouvoir d’achat, à tel point qu’ils ont perdu l’intérêt de leurs anciens pour remplir ces tâches héréditaires.
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