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Expo photo : "Offrandes" de Gao Bo, du Tibet à Pékin

(Copyright : Gao Bo)
(Copyright : Gao Bo)
Ce n’est pas tous les jours qu’un photographe chinois est exposé « en grand » à la Maison Européenne de la Photographie (MEP). C’est même la première fois. Et à voir les œuvres de Gao Bo, dont la taille et le travail plastique excèdent de loin les dimensions habituelles du medium photo, l’exposition aurait même pu se tenir dans une autre institution artistique, un lieu dédié à l’art contemporain dans toute sa largeur.
Gao Bo n’est pas vraiment – ni seulement – un photographe. C’est un artiste et il en a le destin. Né en 1964, il eut l’enfance marquée par les événements de l’histoire avec un grand H, celle de la violence de la Révolution culturelle – période durant laquelle il assistait aux exécutions des « contre-révolutionnaires » comme nos enfants assistent au Guignol. Il ne fut pas épargné non plus par l’histoire intime, celle du suicide de sa mère alors qu’il avait seulement 8 ans. Ce parcours intense où la vie lui a autant pris qu’elle lui a donné, ne lui a ravi ni sa force créatrice, ni une certaine forme d’optimisme incarné dans le titre de l’exposition : « Offrandes », au travers de laquelle il rend hommage aux êtres qui ont marqué sa vie.

Initiation tibétaine

*Marque suédoise d’appareils photo argentiques et numériques, créée en 1941. **Secrétaire du Parti communiste chinois (1980-1987), limogé après des manifestations étudiantes pro-démocratie, sa mort le 15 avril 1989 est un déclencheur décisif du mouvement de Tian’anmen.
Au commencement du parcours artistique de Gao Bo, il y a le Tibet. Jeune étudiant en art à Pékin, c’est là qu’il part chercher l’aventure. Il y découvre à la fois l’altérité totale, un monde nu, minéral et grandiose, et sa vocation de photographe. En 1985, il y réalise une série de portraits avec l’Hasselblad* qu’il a gagné dans un concours des Arts Déco alors qu’il n’avait jamais pris un cliché de sa vie, fixant avec une grande profondeur les visages de ce peuple sans âge. « J’ai eu la chance d’aller au Tibet pendant les années où la Chine était vraiment ouverte, raconte Gao. Je ne veux pas dire ouverte au commerce mondial mais ouverte d’esprit. C’était sous Hu Yaobang**. Il régnait une atmosphère unique au sein de la jeunesse et de la jeune garde artistique que je n’ai jamais retrouvé depuis. »

Gao Bo a continué de se rendre fréquemment sur le toit du monde au cours des années 1980 et 90, capturant à sa manière les rites millénaires des moines et la vie quotidienne de ces montagnards, pas tant à des fins documentaires que pour nourrir sa quête existentielle. L’âme du pays traverse une grande partie de son œuvre comme en témoignent ses « Portraits Dualités », gigantesques portraits présentés sous forme de quadriptyques barrés de néons rouges repris dans « Offrande du Mandala ». Cette âme se retrouve dans « Précepte des Pierres », triptyque figurant un groupe de pèlerins, chaque pan comporte une pierre sacrée calligraphiée entremêlée de câbles d’acier et choisie par l’artiste pour représenter le poids de la religion qui devient un fardeau. Plus loin, une installation formée de milliers de visages imprimés sur des pierres, évoque les offrandes votives du bouddhisme tibétain. Les matériaux photographiques réalisés en vingt ans au Tibet sont autant de matière que Gao Bo réinterprète pour alimenter ses expérimentations plastiques et interroger des thèmes récurrents : l’apparition, la disparition, la nature immanente de l’être.

(Copyright : Gao Bo)
(Copyright : Gao Bo)

Vies antérieures

Entre les hauts plateaux tibétains et la MEP, Gao Bo a vécu plusieurs vies, toutes sous-tendues par la création et la transformation. Une vie de bohème à Pékin, d’abord, immortalisée dans le film Bumming in Beijing : The last dreamers. Dans ce premier documentaire de Wu Wenguang tourné entre 1989 et 1990, on découvre Gao Bo en jeune artiste vivant dans les faubourgs de Pékin avec d’autres compagnons, metteurs en scène, peintres (dont Zhang Dali), poètes, avides de liberté. Vingt-sept ans plus tard, Wu Wenguang, considéré depuis comme le pionnier du cinéma documentaire indépendant en Chine, signe pour son vieil ami « Gao Bo, entre Pékin et Paris », diffusé à la MEP tout le temps de l’exposition.

Une deuxième vie de photographe reporter commence dans le fracas de l’année 1989 lorsque Gaobo se rend en France après la répression de juin, prendre possession de l’œil d’Or gagné lors de la première édition de Visa pour Perpignan. On ne tarde pas à lui proposer le statut de réfugié politique et la nationalité française qu’il refuse. Il devient le premier photographe chinois signé par l’agence Vu et côtoie les grands comme William Klein ou Betthina Rheims.

« Je n’ai jamais voulu changer de nationalité, ni rien changer en moi. On m’a souvent demandé ce que je voulais être : j’ai répondu que le statut d’être humain, naturel et sauvage me convient. Je n’aspire à rien d’autre », ajoute Gao Bo dont les allers-retours fréquents entre Paris et Pékin ont malgré tout façonné la personnalité.

Gao a aussi eu une vie d’architecte au début des années 2000, après avoir réalisé une commande pour Leoh Ming Pei qui le familiarise avec le volume et la matière déclinés en trois dimensions. C’est au terme de cette rencontre qu’il construit l’atelier-maison de Pékin dans lequel il élabore toutes ses créations depuis.

« A l’époque, j’avais abandonné le monde de l’art en Chine dans lequel je ne me retrouvais plus du tout. C’était le moment où les artistes se ruaient vers le marché de l’art. Leurs ateliers étaient vides, même la moindre esquisse avait été vendue. Alors j’ai choisi de faire des maisons. Et jusqu’ici, elles sont toujours debout ! Les fonds accumulés pendant cette période m’ont permis de me consacrer à mon art en marge du marché et de prendre le temps de réfléchir. Cela m’a pris sept ans. »

(Copyright : Gao Bo)
(Copyright : Gao Bo)

Le Dao de la création

La réflexion est palpable dans tout ce que touche Gao Bo, qui est aussi imprégné des thèses taoïstes que de celles de Duchamp et dont chaque œuvre est vécue comme un acte à la fois créateur et destructeur. Son travail est à mille lieux de l’instantanéité de la photographie et il reconnait lui-même ne pas pouvoir se contenter d’elle comme médium. Si elle est le point de départ de son cheminement créatif, elle n’en est qu’une étape. A ce titre, « Offrandes » rend très bien compte de l’évolution de son œuvre, de la pellicule à la matière : métal, résine, peinture, sang.

Dans les salles de la MEP dont on voudrait parfois pousser les murs, se succèdent les travaux de plus en plus plastiques de Gao Bo, preuve de son acharnement à faire disparaitre la prise de vue derrière l’écriture (automatique), l’enchevêtrement, la rature ou la brûlure. Ainsi dans la série « Disparition de la figure », où s’exposent seulement les traces calcinées de portraits de condamnés à mort. Ainsi dans ses installations en forme de mausolées, dédiés à Beckett ou à sa mère défunte.

A voir

« Offrandes » de Gao Bo, à la Maison européenne de la photographie, 5/7 rue de Fourcy, Paris 4e. Jusqu’au 9 avril 2017.

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A propos de l'auteur
Basée en Chine pendant 16 ans où elle a passé sa post adolescence au contact de la scène musicale pékinoise émergente, Léo de Boisgisson en a tout d’abord été l’observatrice depuis l’époque où l’on achetait des cds piratés le long des rues de Wudaokou, où le rock était encore mal vu et où les premières Rave s’organisaient sur la grande muraille. Puis elle est devenue une actrice importante de la promotion des musiques actuelles chinoises et étrangères en Chine. Maintenant basée entre Paris et Beijing, elle nous fait partager l’irrésistible ascension de la création chinoise et asiatique en matière de musiques et autres expérimentations sonores.