Inde : retour aux sources pour la droite nationaliste ?
Contexte
Le Bharatiya Janata Party ou BJP (parti du peuple indien) du Premier ministre Narendra Modi peut compter sur une nébuleuse très étendue d’organisations culturelles, étudiantes, syndicales ou paysannes. Chacune a son agenda, mais toutes servent la stratégie globale du Sangh Parivar, terme désignant le regroupement des mouvements de l’hindutva, le nationalisme hindou. Or cette stratégie ressemble assez à la variante hindoue de l’islamisme politique dans le monde musulman : hindouiser la société indienne à tous les niveaux, afin de créer une nation nouvelle, un « Hindu Rashtra » ou État hindou, dans tout le sous-continent indien.
Dans cette entreprise totale de longue haleine, le BJP, aussi puissant qu’il soit actuellement sur le plan politique, n’est que la courroie de transmission de la maison mère du nationalisme hindou, Le Rashtriya Swayamsevak Sangh ou RSS (Organisation des volontaires nationaux), fondé il y a plus de quatre-vingt-dix ans et travaillant depuis à la création d’une « société hindoue régénérée ».
Activisme diplomatique et déceptions économiques
Sur l’économie, le Premier ministre et le parti au pouvoir, le BJP (Parti du peuple indien), avaient promis beaucoup. Pour réformer l’éléphant indien, la patience est de rigueur. Si le gouvernement ne dispose pas de toutes les marges de manœuvre politique pour passer des lois, notamment en raison d’un blocage législatif à la chambre haute du Parlement, l’économie indienne n’en reste pas moins très loin du big bang promis lors des élections de 2014. Certes, les chiffres de la croissance sont supérieurs à ceux de la Chine – plus de 7% depuis l’entrée en fonction du gouvernement Modi. Mais déjà certains remettent en cause les méthodes de calcul du PIB et arguent du caractère conjoncturel et fortuit de cette forte croissance (notamment en raison de la baisse du prix du baril).
Les investisseurs et entrepreneurs espèrent toujours les réformes structurelles qui pourraient débrider le tigre indien, mais celles-ci se font attendre : tant l’uniformisation de la TVA au niveau national que la loi sur les acquisitions foncières, la réduction des entraves bureaucratiques ou la refonte du secteur éngrétique. Les chantiers ne manquent pas et le gouvernement, à défaut de changer l’environnement des affaires, semble déterminé à créer des emplois, notamment à travers son programme phare d’industrialisation à marche forcée, « Make in India », visant à transformer le pays en nouvel atelier du monde.
Succès politiques et mainmise du RSS
Le RSS permet ainsi au BJP de revenir au premier plan après de lourdes défaites fin 2015, notamment à Delhi et au Bihar, où Narendra Modi s’était pourtant personnellement impliqué dans la campagne. Aujourd’hui, le BJP n’a ainsi jamais été aussi puissant sur le plan politique, contrôlant directement près d’un tiers des États indiens (neuf sur vingt-neuf), qui représentent 35 % de la population du pays, là où le Congrès ne dirige plus que six États, soit deux fois moins qu’après sa victoire aux législatives de 2009. En outre, si l’on excepte le Karnataka, les Etats conquis par le parti des Nehru-Gandi sont des « confettis », rassemblant à peine plus de 7 % de la population nationale alors qu’en 2009 le Congrès dirigeait des États-clés tels que le Maharashtra – 115 millions d’habitants – ou encore l’Andhra Pradesh – 85 millions.
Le changement historique tient dans le fait que pour la première fois depuis l’indépendance, le BJP possède la majorité absolue à la Lok Sabha, permettant au RSS de disposer des coudées franches pour réaliser pleinement son projet d’hindouisation de la société. Cet agenda peut désormais se dérouler sans la crainte d’une répression étatique, car élections et « modimania » passées, le BJP est redevenu ce pour quoi il a été conçu : la façade politique du RSS.
L’agenda de fond : l’hindouisation de la société indienne
En matière de culture et d’éducation, les changements opérés dans les programmes scolaires s’appliquent à mettre en avant les mythes fondateurs de l’hindouisme et à marginaliser l’apport à l’histoire nationales des autres cultures. La promotion d’un « patriotisme hindou » se propage via la célébration politique du yoga ou la diffusion de chants nationalistes hindous dans l’espace public. Quant aux institutions culturelles rétives à porter cet agenda, elles sont mises au pas : des universités aux instituts de recherche, en passant par les milieux du cinéma. Les militants opposés au projet de l’hindutva subissent toutes les intimidations. Plus grave, le mouvement a encouragé les assassinats d’activistes dissidents qui indisposaient certaines franges du Sangh Parivar. S’ajoute à tout cela l’indulgence judiciaire dans des procès mettant en cause des actes de « terrorisme » hindou (appelé « terreur safran »), notamment lors des pogroms de 2002 au Gujarat lorsque Modi en était le ministre-en-chef, ou sur les attentats à la bombe commis entre 2006 et 2008.
Dans toutes ces entreprises politiques, le Sangh Parivar fonctionne sur le principe de la « courroie de transmission » cher aux communistes, où le RSS impulse et les organes affiliés exécutent : ABVP sur les campus, BMS dans les usines, VHP pour l’aspect religieux, Bajrang Dal pour les opérations « coup de poing ». Au total, ce sont plus d’une trentaine d’organisations qui se mobilisent pour faire avancer les idées de l’hindutva. Parmi elle, la plus récente a été créée en début d’année et vise spécifiquement les chrétiens (une organisation similaire existe déjà pour les musulmans). Le Sangh Parivar entend ainsi se présenter comme l’organisation de tous les Indiens, tendant la main aux ennemis naturels de l’hindutva dans l’espoir de mieux les intégrer.
La longue lutte vers une nation hindoue est sûrement en train de prendre un tournant décisif : le RSS est plus puissant qu’il ne l’a jamais été au cours de ses neuf décennies d’existence, mais sa mission est loin d’être achevée. La prochaine étape, d’ici le centenaire de l’organisation en 2025, est de faire sentir la présence du Sangh Parivar dans chaque village et dans chaque communauté du pays. Il s’agit également de passer à la vitesse supérieure sur le plan institutionnel. Cantonné jusqu’à présent aux aspects culturels et sociétaux, le RSS entend bien dans un avenir proche s’attaquer à un pilier jusqu’alors inébranlable de l’Inde moderne : sa Constitution. Si un véritable État hindou doit voir le jour, la constitution indienne telle qu’elle existe aujourd’hui, garante d’un État séculier et d’une égalité de traitement entre citoyens, doit laisser place à un texte faisant référence aux écrits sacrés hindous et actant la nature supérieure des hindous sur les autres communautés.
Naturellement, cet objectif nécessite les efforts constants du BJP pour se maintenir au pouvoir dans un futur proche et pour consolider sa présence dans les gouvernements régionaux. Pour les organisations du Sangh Parivar, il s’agit de ne pas se dévoyer dans une violence aveugle et incontrôlée mais de continuer leur travail de sape, à visage découvert désormais. Pour les autres, démocrates, libéraux, minorités religieuses ou simples citoyens, il ne reste plus qu’à contempler la descente de leur pays vers le sectarisme et l’ethnodémocratie. Et avec, la perte d’une certaine idée de l’Inde.
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