Thaïlande : le clan des Shinawatra, passé et avenir
Contexte
Le pouvoir en Thaïlande est détenu par quelques grandes familles, explique Katja Rangsivek dans sa thèse intitulée Trakun, politics and the Thai State. Les Shinawatra et leurs proches représentent plus de 10% des Premiers ministres du pays dans la période 1932-2013 (3 sur 28). Un score qu’ils sont les premiers à atteindre. Le clan, déjà bien installé au rang des familles les plus importantes du pays, se place ainsi parmi les meilleures d’entre elles. De leurs débuts à leur chute en passant par l’acmé lors de l’élection de Thaksin, les Shinawatra ont mis leur puissance économique au service du politique et vice versa. Une stratégie gagnante mais qui les a aussi conduits à la perte du pouvoir.
Aux origines de la famille Shinawatra
Son fils Chiang, le grand-père du futur Premier ministre, est le second enfant et premier fils de Seng. Il naît en 1890. Après des études à l’Assumption School, il épouse Saeng, la fille de Nai Mun Somna, un riche propriétaire, commerçant et chef du village de Sankamphaeng. Le couple développe un commerce d’import-export de soie entre la Chine et la Birmanie, expliquent Pasuk Phongpaichit et Chris Baker dans leur livre Thaksin : The Business of Politics in Thailand (Silkworm Books, 2005). Si les Chinois ont plutôt bien été acceptés en Thaïlande au fil du temps, le régime au pouvoir à partir de 1938 mène une politique nationaliste. En octobre de la même année, le fils aîné de Chiang, Sak prend un nom à consonance thaï, Shinawatra, comme beaucoup d’autres immigrés chinois ou leurs descendants. Toute la famille l’adopte, y compris Loet, un autre fils de Chiang qui deviendra le père de Thaksin.
Les Shinawatra : les débuts du pouvoir
Loet se met à la politique dans les années 1960, quand il rejoint le parti « Chiang Mai Progress ». En trois ans, sa carrière décolle : élu au conseil local en 1967, il devient son président en 1968 et gagne le poste de député en 1969. Au Parlement, il rejoint un groupe d’hommes politiques sans étiquette de parti, businessmen pour la plupart. Des relations dont se souviendra Thaksin lorsqu’il sera au pouvoir : de ce groupe parlementaire, quatre députés ont eu des enfants ou des frères et soeurs qui sont devenus ministres dans ses gouvernements.
En 1975, alors que sa fortune décroît, Loet décide de passer la main à son frère, Suraphan qui occupera ensuite le poste de vice-ministre des Transports. Thaksin et Yingluck, deux des enfants de Loet et de son épouse Yindi iront encore plus loin dans cette ascension en devenant tous deux Premiers ministres.
Thaksin ou l’apogée de la famille Shinawatra
Mais pour les auteurs de Thaksin : the Business of Politics in Thailand, cela ne suffit pas à l’ambitieux Thaïlandais. Il perd de gros contrats face à des hommes d’affaires aux connections politiques plus fortes que les siennes, notamment un de trois millions de dollars en 2011. Nommé ministre des Affaires étrangères en 1994, Thaksin profitera de cette position pour négocier des contrats pour son propre groupe, confirme Sophie Boisseau du Rocher, spécialiste de l’Asie du Sud-Est et chercheure associée à l’IFRI (Institut Français des Relations Internationales). « En 1998, retrace la chercheure, Thaksin fonde son parti « Thai rak Thai » [les Thaï aiment les Thaï], dans lequel il investit une partie de sa fortune. Il mène sa campagne en visant les Thaïlandais de province plutôt que ceux qui vivent à Bangkok, une première. Et ça fonctionne. Il est élu très facilement en 2002, puis réélu en 2005 avec une majorité absolue et sans coalition, ce qu’aucun chef de gouvernement n’avait réussi à faire. »
La chute
Voilà une stratégie que les élites thaïlandaises désapprouvent fortement. A partir de 2006, Thaksin est mis en cause lors de la vente de Shin Corp, la société mère des Shinawatra. Les comptes rendus publics montrent que la valeur de l’entreprise a quadruplé en quelques années alors que le Premier ministre est censé arrêter toute activité privée pendant son mandat. Pis encore, alors que Thaksin se prévalait de défendre l’économie thaï, le peuple apprend que l’entreprise n’a jamais payé d’impôts. Se sentant menacé, il convoque des élections anticipées mais ses adversaires annoncent un boycott. La situation s’envenime à l’apparition de manifestations pour et contre le chef du gouverment.
D’un côté, les « chemises jaunes », couleur de la royauté en Thaïlande, rassemblent les citoyens anti-Thaksin, souvent issus des classes moyennes supérieures, et les intellectuels qui dénoncent la corruption dont est victime le pays. De l’autre, les « chemises rouges » regroupent les supporters de Thaksin, dont des citoyens des classes populaires. Fragilisé par des manifestations qui font 90 morts, mais aussi par les tensions avec la famille royale, Thaksin est renversé par un coup d’Etat militaire le 19 septembre 2006, pendant son voyage aux Etats-Unis à l’occasion de l’Assemblée générale des Nations Unies.
L’espoir Yingluck
La cadette des Shinawatra poursuit la politique de son frère, mais commet deux erreurs. La première est d’avoir lancé un programme qui subventionne les riziculteurs les plus pauvres en achetant leur riz au-dessus des prix du marché. Si cette mesure a séduit ses électeurs paysans, elle a déréglé l’économie du riz en laissant des stocks invendus à cause de leur prix. L’autre erreur de Yingluck fut de vouloir faire entériner une loi d’amnistie dont son frère aurait pu bénéficier, ce qui a éveillé la colère de manifestants. Loi que le Sénat a rejeté en novembre 2013 pendant que l’opposition était dans la rue. Yingluck Shinawatra est finalement destituée le 7 mai 2014 par la Cour constitutionnelle. C’est son vice-premier ministre qui lui succède par intérim : Niwatthamrong Boonsongpaisan est un homme d’affaires proche de Thaksin. Mais l’armée, sous la direction du Général Prayuth Chan-ocha annonce sur une chaîne de télévision un coup d’Etat quelques jours plus tard, le 22 mai.
Et demain ?
Que veut Thaksin aujourd’hui ? Dans une interview donnée au Financial Times, l’ancien Premier ministre exprime ses doléances face à la situation économique et politique de la Thaïlande : « Nous avons retardé notre développement de dix ans. Nous avons fait reculer notre pays plutôt que d’investir dans l’avenir. » Il se défend de vouloir reconquérir son ancien poste : « Je ne suis pas assez fou pour vouloir le pouvoir. »
Quant à Yingluck, elle a vu son procès pour négligence débuter en janvier dernier, au cours duquel elle a plaidé non coupable. La procédure devrait durer un an. La soeur de Thaksin est également interdite d’activité politique jusqu’en 2020. Pour Sophie Boisseau de Rocher, cela ne signe pas forcément la fin des Shinawatra au pouvoir, la famille étant très large. Il n’est pas improbable que la génération suivante revienne sur les devants de la scène politique thaïlandaise. Il faut faudrait néanmoins que la Thaïlande sorte de l’impasse autoritaire actuelle.
Soutenez-nous !
Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.
Faire un don