Inde : "Treize hommes", une enquête sur le viol collectif au pays des Santal
Baby a osé braver la tradition, et ce à plusieurs reprises. Sûre d’elle, brillante, partie à la ville pour gagner plus d’argent, revenue et affichant sans honte sa différence sociale et économique vis-à-vis des autres villageois, elle a eu l’audace de choisir un amoureux étranger à la petite communauté, un homme déjà marié, un musulman des environs. Aussi, un soir, les treize membres du conseil de village, ivres, frustrés, jaloux, la prennent à partie avec son amant, puis la violent, toute une nuit. Treize hommes qu’elle côtoyait au quotidien. Treize hommes, amis de ses frères, maris ou pères des femmes avec qui elle cuisinait et discutait.
Derrière le crime, logiques mafieuses et mépris social
Peu à peu, à travers un récit dense, fouillé et une enquête minutieuse au Bengale, Sonia Faleiro fait émerger les problématiques auxquelles sont confrontées les populations tribales indiennes, et, au-delà, les femmes tribales. On découvre une Inde rurale des laissés-pour-compte, où, comme le souligne l’auteur, personne n’est épargné.
Entretien
Née à Goa, Sonia Faleiro s’est fait connaître par ses reportages sur des sujets dérangeants dans des publications indiennes et américaines. En Inde, le prix Karmaveer Puraskaar pour la justice sociale lui a été attribué par un collectif d’ONG et de citoyens. Avec quelques collègues journalistes, femmes en majorité, collaborant aux plus prestigieuses publications anglo-saxonnes, Sonia Faleiro a récemment créé Déca, une coopérative d’auteurs. S’inspirant des coopératives de photos comme Magnum, Déca publie uniquement des textes de non-fiction – souvent courts – ou des reportages en profondeur. Les livres sont commercialisés sur tablette et smartphone. En 2013, Actes Sud a publié Bombay Baby, résultat d’une longue enquête et portrait d’une « bar dancer ». Cet ouvrage a été sacré meilleur livre de l’année par The Observer, The Guardian et The Economist.
Treize hommes de Sonia Faleiro est paru chez Actes en avril 2016 (traduit de l’anglais par Eric Auzoux, 108 pages).
J’ai été la première et la seule journaliste à rencontrer Baby, ainsi que sa famille et celle des treize accusés. Les médias étaient venus, bien sûr, pour couvrir l’affaire, mais à l’époque, ils ne pouvaient accéder à la victime car le procès était en cours. Et puis la plupart des journalistes ne vont pas dans ces lieux très reculés. Après une journée de train depuis Calcutta, il faut prendre une voiture pendant plusieurs heures pour accéder au village. J’ai également rencontré la famille de son amant, mais celui-ci était parti dans un autre Etat comme journalier et je n’ai pu le voir. J’ai enquêté pendant neuf mois afin d’obtenir les points de vue des villageois mais aussi d’observateurs extérieurs, comme les activistes tribaux à Calcutta, les avocats, les policiers…
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