Inde, féminisme et "culture en danger"
Lorsqu’une petite fille vient au monde, les parents – et particulièrement dans les milieux défavorisés – se lamentent de cet enfant qui ne pourra rester au foyer prendre soin d’eux durant leurs vieux jours. Car la jeune femme une fois mariée devra rejoindre la famille de son époux, et ses revenus, si elle en a, iront dans son nouveau foyer. Mais le plus gros sujet d’inquiétude parentale est de loin le coût de la dot, couplé à l’obligation de supporter une grande partie des dépenses lors du mariage. A l’origine, la dot devait être partagée avec le mari et assurait au couple et à son nouveau foyer, une réserve d’argent suffisante pour l’arrivée d’un enfant (voir notre dossier sur le sujet).
Contexte
Depuis le début de son mandat, le Premier ministre indien Narendra Modi semble vouloir changer l’image de la femme en Inde. Le 26 Janvier dernier, jour de la République, le gouvernement a choisi de mettre les filles à l’honneur dans l’Haryana. L’Etat, dont les naissances de filles sont bien en-dessous de la moyenne du pays, fait l’objet d’un programme national, le « Beti Bachao, Beti Padhao ». L’enjeu : supprimer les discriminations liées au genre de l’enfant, et plus précisément bannir les avortements liés au sexe.
Confusions sur la culture indienne
« Cette culture que l’on identifie comme indienne, ne l’est qu’en partie, précise A. Arulmozhi, avocate a la Haute Cour de Madras, Chennai et membre du parti Dravidar Kazhagam. Par sa taille et son histoire, l’Inde possède en réalité différentes cultures, telles que les cultures tribales, dravidienne (Sud) et indo-aryenne qui existent toujours. »
Conflit de générations
Ce discours progressiste reste encore minoritaire dans une société où le mariage arrangé représente toujours 89% des unions en Inde. Toutefois, de plus en plus de familles de classes moyennes choisissent de maquiller les mariages d’amour en mariage arrangé pour les convenances et le bien-être de leurs enfants. Ainsi les jeunes femmes peuvent-elles espérer conserver leurs libertés.
« Le problème en Inde, explique Bimla, c’est que les filles sont mariées très jeunes et que de nombreuses familles les considèrent comme un fardeau en raison de la dot. Donc on trouve un prétendant de façon précipitée et tout est organisé dans l’urgence. Les filles ne sont pas prêtes pour un tel changement, elles ont leur style de vie chez leurs parents, et les couples ne prennent jamais le temps de discuter ensemble. Ils ne se connaissent pas, même après le mariage. »
Moment heureux, le mariage est aussi une épreuve redoutée pour ces jeunes femmes. A l’image d’Anisha et Ponshruti, 18 ans, étudiantes en première année de journalisme à Madurai. Elles confient leur préoccupation : « On ne sait pas si l’on va pouvoir continuer à étudier, s’il nous sera possible de travailler. Cela dépend beaucoup de la personne que l’on épouse, et nous ne choisissons pas. Nous préférons donc ne pas trop y penser. » Dans la famille de Kayalvilzhi, 18 ans également, les choses sont claires : « Mes parents ne souhaitent pas me voir travailler. Lorsque je leur demande pourquoi m’ont-ils laissé faire des études, ils me répondent simplement que je pourrai ainsi éduquer mes enfants. Toute ma famille souhaite me voir mariée dans un an. » La jeune fille appréhende ce moment, d’autant que le prétendant qu’on lui a choisi est son aîné de dix ans. Difficile pour elle de faire infléchir cette décision lorsqu’une fille n’a pas le droit à la parole.
Comment concilier les nouvelles aspirations des jeunes femmes et l’angoisse des familles pour leur sécurité ? Aux yeux de la directrice d’ONG qu’est Bimla, « les enfants autant que les parents doivent être fermes. Il faut que ces jeunes femmes soient claires sur ce qu’elles peuvent et ne peuvent pas accepter, mais toujours en gardant la confiance des parents. Beaucoup de familles craignent que leurs filles ne s’échappent, et partent vivre loin d’elles avec un compagnon. Il faut donc les rassurer. En même temps cette nouvelle génération doit comprendre que l’on ne peut pas toujours vivre dans une zone de confort. »
Regards des hommes et féminisme
« Ce qui doit être couvert doit rester couvert. Notre culture implique que la beauté soit couverte. Les femmes ne devraient pas troubler autrui en portant des jeans. Lorsqu’elles s’habillent en jean, les hommes sont tentés de regarder au-delà [du jean] », prévient le chanteur.
Pour la directrice d’ONG qu’est Bimla, une prise de conscience est nécessaire, et elle passe par la sensibilisation des hommes. « Chacun doit tenter de comprendre l’autre. Lorsque les hommes accompagnent leur femme ou sœur, je leur demande s’ils pensent que les hommes sont respectés dans la « culture indienne ». Ils répondent en général par l’affirmative, alors je leur demande à nouveau pourquoi ressentent-ils le besoin de cacher leurs femmes. Pour les protéger ? De qui ? D’autres hommes ? Qui sont-ils ? Si les hommes sont respectés, cela signifie que nous pouvons leur faire confiance, donc pourquoi devrions-nous cacher les femmes ? Vous sentez-vous honteux de ne pas pouvoir être respecté ? Si oui, changez votre comportement ! » L’argumentaire de Bimla laisse en général les hommes déconcertés.
Défendre le droit des femmes ne va pas de soi en Inde. Le concept même de féminisme étant bien souvent considéré comme « anti-national ». Pourtant là encore, il s’agit d’une notion que l’on retrouve dans la culture populaire indienne, rappelle l’avocate Arulmozhi : « Le féminisme est un concept inventé par les élites et les femmes éduquées. Considérer ce terme comme « étranger » semblait donc la réponse la plus simple. Toutefois, les idées du féminisme se retrouvent dans la littérature populaire. A l’instar de Periyar E. V. Ramasamy au Tamil Nadu, qui a parlé de la philosophie féministe dans des discours publics et lutté contre la répression des femmes. C’est aussi aux féministes de se servir de cette littérature populaire. »
Soutenez-nous !
Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.
Faire un don