Philippines : Trente ans après, les victimes de la loi martiale témoignent de la torture
Contexte
Il y a trente ans, deux millions de personnes manifestaient à Manille, sur le boulevard périphérique EDSA, en soutien à Cory Aquino, veuve de l’opposant Benigno « Ninoy » Aquino abattu à son retour au pays. C’est également la mère du président sortant, Benigno « Nonoy » Aquino. Sans la moindre effusion de sang cette fois-ci, le mouvement populaire du 22 au 25 février 1986 aboutit dès le lendemain à l’exil du dictateur à Hawaï. Il fut remplacé par Cory Aquino, élue présidente.
Ferdinand Marcos a accédé au pouvoir par les urnes, en 1965, avec l’image – fausse – d’un héros de guerre, après avoir dénoncé les malversations passées. Durant la loi martiale (1972-1981), plus de 30 000 personnes auraient subi des exactions, selon le groupe de victimes CARMMA (Campaign Against the Return of the Marcoses to Malacañang). Le régime Marcos est également accusé d’être à l’origine du meurtre d’au moins 3 000 personnes. L’ONG Amnesty International avance des chiffres comparables : 34 000 personnes torturées, 3 240 personnes tuées et, au total, au moins 70 000 personnes emprisonnées.
2016 : retour du passé ?
Bongbong Marcos est accusé d’avoir pris part au régime de son père et de s’être en particulier enrichi : nommé en 1985 président du conseil de l’opérateur Philcomsat, Bongbong Marcos aurait, dès ses 26 ans, bénéficié d’un salaire mensuel estimé entre 9 700 et 97 000 dollars américains (entre 8 500 et 85 000 euros environ). A la chute de la dictature, un audit des autorités révélait que Philcomsat comptait parmi les nombreuses organisations utilisées par les Marcos pour détourner des fonds publics.
En tout, la fortune amassée par les Marcos est évaluée à 10 milliards de pesos, soit plus de 190 millions d’euros. Seuls 4 milliards de pesos (plus de 76 millions d’euros) ont été récupérés à ce jour par la « Commission présidentielle pour un bon gouvernement » (PCGG). A l’origine, cet argent avait été placé auprès de banques suisses et de nombreuses autres compagnies philippines. A son départ, Ferdinand Marcos aurait laissé une dette extérieure de presque 24 millions d’euros. La proportion de Philippins vivant sous le seuil de pauvreté aurait doublé sous sa présidence, de 18 à 35 millions de personnes. Le magazine américain Forbes a élu Marcos deuxième dirigeant le plus corrompu de la planète.
Bonifacio Ilagan, 64 ans : la torture militaire fréquente
« Pendant deux ans, j’ai été détenu par les militaires qui m’ont fait subir toutes sortes de torture. Quand on m’a relâché, ce fût au tour de ma soeur de disparaître en 1977, soit quarante ans aujourd’hui. On ne l’a jamais revue. »
Aujourd’hui, comme les autres victimes de la loi martiale, Bonifacio Ilagan craint l’oubli. A propos d’EDSA, l’équivalent du « périph’ parisien », théâtre de la révolution du People power, Bonifacio Ilagan déplore : « On associe désormais davantage EDSA aux embouteillages qu’à cette révolution pour la démocratie. »
Bonifacio Ilagan redoute également le retour des Marcos au pouvoir, avec l’élection possible de Bongbong, le fils du dictateur. Ce dernier a toujours refusé de s’excuser pour les actes commis par son père : « Les Philippins pardonnent facilement et c’est mal, déplore Bonifacio. Car quand vous pardonnez à ceux qui ont commis de telles injustices, comment faire la paix et réconcilier un pays ? »
Joanna Cariño, 65 ans : « Des arrestations de masse visant aussi les indigènes »
« J’ai été arrêtée en 1974, en même temps que l’une de mes jeunes soeurs, à peine sortie du lycée, raconte l’ancienne militante étudiante. Plusieurs jours durant, les militaires nous ont infligé des chocs électriques à tour de rôle, l’une face à l’autre, tout en nous empêchant de dormir. Au QG régional de la police, j’ai découvert enfermés ces gens vêtus d’un simple pagne, une centaine de membres de la tribu Ibaloi. Leur tort ? Avoir manifesté contre un projet de barrage qui allait inonder leurs terres ancestrales. »
Pour cette victime de la loi martiale aujourd’hui âgée de 65 ans, « Bongbong Marcos ne s’excusera jamais pour les actes de son père. Même s’il le fait, il ne peut s’abriter derrière : il a pris part au régime, il était en poste à l’époque. Aujourd’hui, il finance sa propre campagne électorale pour devenir vice-président avec les fonds mal-acquis par ses parents. Et jusqu’ici les Philippines n’ont toujours pas réussi à en récupérer l’intégralité. »
Jimmy Padilla*, 58 ans, agriculteur : des exactions bien après la levée de la loi martiale
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