Société
Témoin - Chine, hors-piste

 

En Chine, nouvel an au village Zhuang de Longwang

L’entrée du village de Longwang dans la province du Guangxi.
L’entrée du village de Longwang dans la province du Guangxi. (Crédit : D.R.).
Aujourd’hui j’ai décidé de tracer le portrait de Longwang, un village “perdu” dans les montagnes du Guangxi (province au sud de la Chine) où j’ai passé le nouvel an lunaire dans une famille de l’ethnie Zhuang qui peuple cette région autonome.

Un seul nom de famille pour l’ensemble du village de 40 âmes : Wei ; à l’exception d’un petit orphelin qu’on me montre du doigt – mère décédée, le père l’a abandonné à ses grands parents maternels, des paysans d’ici. Il est connu pour avoir harcelé une petite de sa classe pendant 2 ans, il a maintenant 11 ans et déclare à sa camarade de classe son amour éternel au travers de son blog QQ, le site chinois de conversation en ligne.

Ce matin, tout le village se réunit dans la petite école qui comptait jadis 200 élèves et n’en compte plus que 10. Le gouvernement local incite en effet depuis quelques années à l’exode rural vers la petite bourgade à 2 vallées d’ici. Pour attirer la population à cet événement, le chef du village a fait annoncer par le bouche à oreille qu’il y aura de la lessive gratuite à l’issue de jeux improvisés dans la cour de récréation. Fléchettes, cerceaux à jeter sur des bouteilles, balle au panier, tir à la corde… Du chef du village point de traces pourtant : il paraît qu’il a été surpris la nuit dernière à voler des tuyaux d’un voisin qui construit sa maison.
Je suis présenté au directeur d’école qui est très heureux car sa femme est revenue après avoir disparue pendant six ans. Il ne lui a pas demandé où elle était, elle est revenue, c’est tout ce qui compte. Elle était partie à cause des jeux d’argent dont son mari raffole.

Le soir, l’animation se partage entre un barbecue devant une maison nouvellement construite du type garage avec des lits en lieu et place des voitures et le “tripot”.

Une femme isolée se place derrière la table de jeu d’argent. On me raconte qu’elle s’est prostituée pour rembourser ses dettes de jeu, puis qu’elle a finalement trouvé un protecteur de trente ans de plus qu’elle mais qu’il est décédé récemment. Cette année ses deux fils ont accepté de revenir au village pour passer le nouvel an avec elle. Discrètement, elle glisse un billet sur la table, elle le perd aussitôt. C’est un jeu de chance d’une extrême simplicité du type bataille.

Tout le village se réunit le soir dans la maison “de la morte” une vieille femme décédée à 94 ans qui attend sa crémation dans le jardin. Il y a un guet devant la porte au cas où la police viendrait : tout ce petit monde s’est déjà fait embarquer au poste, les jeux d’argents étant officiellement interdits dans tout le pays.
Les mises commencent bas, quelques dizaines de RMB, puis avec l’excitation générale montent à plusieurs centaines. Un cousin Wei très calme enchaîne les mises : sa mère désespérée me dit qu’il a déjà perdu huit mille RMB – c’est à dire deux mois de salaire – il essaie de les regagner mais perd encore plus.

La sorcière : tout village se doit d’avoir une sorcière. On l’appelle monkey ici à cause de son physique simiesque, sa maigreur et sa petite taille. Il faut lui faire des offrandes d’argent, de riz, de têtes de porcs et autres poulets en sacrifice pour avoir droit à ses prédictions mais aussi communiquer avec les esprits pour donner un nom à un nouveau né, définir une date de mariage, trouver un mari, avoir une bonne saison agricole, etc.

Elle habite dans une “grande” maison – encore une sorte de garage en parpaings mais avec une porte rouge somptueuse et très haute indiquant sa fortune. Une table est installée avec encens, bougies et grigris. J’ai pu assister à une communication avec les morts. Elle se recouvre la tête d’un foulard, a un éventail et une carapace de tortue à portée de main et commence à s’endormir à force de bâillements… Soudain s’élève de dessous le foulard une chansonnette ésotérique en zhuang – elle ne parle pas mandarin.
On me traduit. Elle évoque la famille de celui qui consulte, donne le nombre de frères et sœurs ; et surtout annonce un accident qui peut être évité si un poisson, deux poules et un porc sont sacrifiés le soir même.

Ça se bouscule dans sa maison, tout le village est là et y va de son commentaire : ceux qui n’y croient pas l’accusent d’être trop gourmande, d’autres proposent d’aller chercher les bêtes à sacrifier.
On y va aussi de son cancan à son sujet : il paraît qu’elle a caché l’argent familial pour que son mari ne puisse pas en disposer et comme elle l’a caché dans la nourriture des porcs ce dernier leur aurait par mégarde donner à manger. La sorcière furieuse décida alors de le priver de viande pour faire des économies, et il se serait effondré de fatigue dans son champ se blessant gravement.

Les fêtes du nouvel an se déroulent autour de grandes tables conviviales mais où l’on parle très peu de la vie des uns et des autres qui pourtant sont revenus d’un peu partout en Chine pour se retrouver. Il m’arrive de poser des questions sur les cousins, les frères et sœurs présents à table, ce qu’ils font comme métier, où ils habitent ; et, à ma grande surprise, personne ne sait vraiment.

Combien de repas vont ils partager sans pour autant savoir quoi que se soit les uns des autres ?

Etonnante différence culturelle où l’on se croise depuis l’enfance sans se connaître, les conversations ne tournent qu’autour du moment présent, ce que l’on mange, le temps… Même les activités pour les fêtes sont connues à la dernière minute. Suivront les feux d’artifices, les jeux de cartes jusqu’au matin, puis chacun repart de son côté avec la certitude de se retrouver au village l’an prochain. On espère qu’une route remplacera la piste qui mène ici en trois heures de routes difficiles depuis la ville la plus proche.

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A propos de l'auteur
Gerald Kane travaille en Chine depuis 10 ans. Son métier l'amène à côtoyer toutes les tranches de la société des plus populaires aux élites. Il sillonne le pays des grandes villes aux régions les plus reculées. Sinophone, il s'est créé un vaste réseau d'amis lui permettant de rencontrer des parcours de vie hors des sentiers battus, qu'il souhaite partager dans son blog.
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