"Femmes de réconfort" : la polémique Park Yu-ha
Entretien
Park Yu-ha est une universitaire coréenne, professeur à l’université Sejong de Séoul et spécialiste de la question des « femmes de réconfort ». Elle est l’auteur d’un ouvrage intitulé Comfort Women of the Empire, the battle over colonial rule and memory. Suite à sa parution en coréen en 2013 puis en japonais en novembre 2014, Park fut accusée de diffamation par un collectif de soutien aux « femmes de réconfort » coréennes et par le parquet sud-coréen.
Le 13 janvier dernier, elle a été jugée, reconnue coupable et condamnée à verser 90 millions de wons pour « préjudice moral » au collectif rassemblant neuf anciennes « femmes de réconfort ». Elle a fait appel de la décision.
Cet entretien a été réalisé avant le jour de la condamnation de Park Yu-ha. Notons que les thèses qu’elles avancent plus bas ne reflètent que sa pensée. Ses propos permettent cependant de saisir l’acuité du débat à l’intérieur même de la société sud-coréenne.
Par conséquence, il y a peu, très peu de recherches historiques sur ce sujet en Corée du Sud ! Cela fait plus de vingt ans qu’on en discute ouvertement, mais seule une dizaine de chercheurs travaillent sur le sujet. Et, on peut même compter sur les doigts d’une main le nombre de personnes qui se sont vraiment spécialisées sur cette question.
Officiellement, ces femmes étaient engagées par contrat. Les femmes – trompées ou non – signaient, de gré ou de force, un petit bout de papier. Elles jouissaient également d’un salaire, payé souvent en monnaie spéciale pour soldats. Mais attention, tout cela ne veut pas dire qu’elles étaient payées correctement, ni même que leurs conditions de vie étaient décentes ! Les viols étaient fréquents notamment lors des déplacements, et les agents ne résistaient pas à la tentation de faire valoir la position d’intermédiaire pour s’emparer de l’émolument des femmes.
Et concernant les « femmes de réconfort » ? Bien sûr, hors de question pour l’armée de Hirohito de mobiliser publiquement les femmes puisque cela serait revenu à officialiser – ni plus ni moins – le statut des « femmes de réconfort » ! Personne non plus n’a pensé à faire des lois sur l’indemnisation, alors même qu’elles étaient dans des situations au moins aussi périlleuses que celles des soldats.
On ignore également la part des Coréennes à proprement parler au sein de la cohorte de ces « femmes de réconfort ». Il ne serait pourtant pas faux de dire qu’elles étaient le contingent le plus nombreux puisque le pays était une colonie du Japon et qu’il était loin d’être riche à l’époque. Mais la pauvreté n’explique pas tout : cela tient aussi de la structure de cette « pseudo-industrie » où chacun prenait des « femmes de réconfort » selon son rang. Ainsi, les officiers prenaient des Japonaises et les soldats sans classe les Coréennes. Comme ces derniers étaient plus nombreux, on peut dire sans se tromper que la part des femmes coréennes aura été plus importante, et également que la situation vécue par ces dernières était de loin la plus épouvantable.
Or, comme je l’explique dans mon livre [Comfort Women of the Empire, the battle over colonial rule and memory, NDLR], il existe une disparité abyssale entre l’image avancée par les négationnistes et celle soutenue par les défenseurs des « femmes de réconfort ».
En effet, on ne peut bien sûr pas donner raison aux négationnistes japonais qui les considèrent comme des prostituées volontaires. Mais, l’image de jeunes vierges innocentes chez les Coréens est au moins tout aussi fausse, car elle est due à une confusion avec un corps de jeunes travailleuses mobilisées par l’Empire japonais. L’âge moyen des femmes de réconfort était d’environ vingt ans, tandis que des jeunes filles de douze ans figuraient dans ce corps.
C’est pour cela qu’une espèce de camaraderie était possible entre elles et les soldats, car eux aussi se battaient pour leur pays. En ce sens, le cas des Coréennes doit être étudié dans un cadre tout à fait différent de celui des autres « femmes de réconfort » [à savoir différent de celles enrôlées en Chine, aux Philippines, en ancienne Indochine, en Birmanie, en Indonésie – à l’époque les Indes néérlandaises – et à Singapour, NDLR).
Ainsi, l’exemple des « femmes de réconfort » en Indonésie, indiqué souvent comme la preuve de l’enrôlement de force par l’armée japonaise, est différent de nature. Aux yeux des soldats de Hirohiro, ces « Européennes » étaient perçues comme des femmes de l’ennemi. La relation entre les deux ressemble alors plus à celle ayant cours entre un conquérant et une conquise.
Au contraire, les Coréennes n’étaient pas des femmes de l’ennemi mais de la colonie. Cette proximité n’empêchait en rien la discrimination, mais la guerre ne permettait pas vraiment d’avoir des ennemis intérieurs.
Donc, des relations amicales voire amoureuses entre ces « femmes de réconfort » coréennes et des soldats japonais étaient possibles. J’en cite d’ailleurs des exemples dans mon livre. Pour autant, notons bien que cette intimité n’a en rien amélioré la situation affreuse de ces femmes.
Or, les groupes comme le conseil s’auto-proclament en mouvement pour la reconnaissance des droits des femmes, mais sans remettre en cause la question de l’Empire. Ils ont réussi à obtenir des soutiens au-delà même de la Corée du Sud, mais ont échoué à devenir un vrai mouvement de fond pour les femmes ; un de ceux qui s’attaquerait à la structure même de ce que fût l’Empire colonialiste et patriarcal.
Ils tiennent de façon excessive à la reconnaissance des droits des « jeunes filles enrôlées de force » et à accuser le Japon. Mais leur discours devrait aller plus loin.
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