Economie
Editorial

 

Edito : L'Asie et ses défis, de 2015 à 2016

Une jeune fille thaïlandaise allume de l'encens lors du "Festival de la pleine lune et des lanternes volantes", à Chiangmai le 22 novembre 2015.
Une jeune fille thaïlandaise allume de l'encens lors du "Festival de la pleine lune et des lanternes volantes", à Chiangmai le 22 novembre 2015. (Crédit : PATIPAT JANTHONG / Bangkok Post / via AFP)
Tout peut arriver en 2016, en bien ou en mal. Ce n’est pas Asialyst qui vous le dit mais les astrologues chinois : à partir du 8 février, nous entrerons dans l’année du singe de feu, un animal dont l’influence bouleverse tout, nous prévient-on. Mais avant de tomber dans l’analyse de l’horoscope appliquée à la géopolitique de l’Asie, revenons un instant sur les événements qui ont marqué 2015.
Nous venons de vivre une année charnière pour l’identité et la stabilité du continent asiatique. De la mer du Japon à l’océan indien, en passant par le détroit de Malacca, les nations de la région ont dû faire face à des crises politiques, sociales et environnementales sans précédent. Leur point commun : les pays asiatiques se sont retrouvés devant le même choix crucial – la confrontation ou la gestion collective et responsable.
La Chine de Xi Jinping a mis l’Asie au défi. Porteur de grands projets régionaux avec la nouvelle route de la soie ou la banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, le numéro un chinois a mis son pays dans une posture inédite en Mer de Chine du Sud : « assertive », écrivent les chercheurs, « agressive », dénoncent les Philippines ou le Vietnam, « légitime », se défend Pékin. Transformant de simples récifs en îlots artificiels dotés d’aérodromes militaires et faisant craindre une menace sur la liberté de circulation maritime et commerciale, la Chine a semblé dresser contre elle toute l’Asie orientale. Certes, elle n’a pas le monopole de la mauvaise foi et les autres prétendants aux différents archipels ont su manier aussi dans le passé la politique du fait accompli. Mais elle a, malgré elle, remis en selle les Américains dans la région, appelés à la rescousse pour gérer la crise. La doctrine du « pivot » asiatique de Barack Obama en a retrouvé un peu de verdeur.
Or cette montée de la Chine, qui ne cache plus ses talents et considère son heure arrivée, coïncide avec un Japon qui s’est lui débarrassé de ses complexes historiques. Shinzo Abe en est le symbole. Il a su exploiter à merveille la levée de bouclier contre Pékin pour sceller de nouvelles alliances militaires, notamment avec les Philippines. Mais il est allé plus loin : sa réforme militaire a changé la nature purement pacifique de la constitution japonaise. Ne tombons pas cependant dans tous les pièges du mot « remilitarisation », qui agite le passé impérial de Tokyo comme un chiffon rouge dont le pire effet est d’empêcher de penser. Car on peut aussi voir la stratégie du Premier ministre nippon comme une défense consolidée (les archipels fortifiés à Okinawa), plutôt qu’un nouvel expansionnisme. Avec tous ses défauts – de mémoire, notamment – Abe n’est quand même pas le maréchal Tojo ressuscité !
Le plus frappant c’est qu’en parallèle, l’espace maritime en Asie a connu une autre crise bouleversante. L’arrivée de la junte militaire au pouvoir à Bangkok en mai 2014 a créé une onde de choc imprévue en Asie du Sud-Est : le démantèlement du trafic d’êtres humains a jeté sur des boat people des dizaines de milliers de Bangladais et Rohingyas de Birmanie, d’une même ethnie musulmane déclarée apatride depuis la fin mars par la junte birmane. Tous les pays voisins ont dû s’entendre – ce fut laborieux et largement incomplet – pour accueillir ce mélange de réfugiés et de migrants économiques. Effet de miroir morbide de la crise en Méditerranée. D’un continent à l’autre, malgré les naufrages tragiques, la prise de responsabilité collective a laissé à désirer.
Comme une accumulation d’urgences débordantes, la nécessité d’une gestion collective s’est posée à nouveau, mais cette fois en matière d’environnement. Lorsque les feux de forêts en Indonésie ont repris leur ampleur catastrophique, comme les années précédentes, la persistance d’un nuage de pollution jusqu’à Singapour et Kuala Lumpur a provoqué plus qu’un simple tollé. C’est en fait le modèle de développement en Asie qui a été remis en cause. Car la pollution a refait parler d’elle à Pékin (une nouveauté, me direz-vous ?) à coup d’airpocalypse et d’alerte rouge inédite dans la capitale. Et cela l’année de la COP21, de ses beaux discours et de son accord « historique ». L’Asie peut-elle continuer en 2016 à brûler du charbon et du bois de forêt pour produire son électricité et son huile de palme ? Oui, répondent en choeur Narendra Modi, Xi Jinping et Joko Widodo. Ne faudrait-il pas une approche collective pour changer de concert le mode de création d’énergie ? Ce n’est malheureusement pas la Communauté de l’ASEAN lancée le 31 décembre qui donnera dans l’immédiat un poids nouveau à la gouvernance régionale en Asie (lire notre article).
Malgré toutes les forces d’inerties, l’année 2016 promet des échéances qui peuvent changer la donne. Ce sera d’abord une période d’élections présidentielles et législatives à Taïwan et aux Philippines, alors que la campagne électorale en Corée du Sud pour la succession ou non de Park Geun-hye fin 2017 devrait décoller lentement à partir des élections générales d’avril prochain. L’Asie de Taipei à Rangoun devrait connaître une vague de changement politique. Et ce seront des femmes qui l’incarneront. Sauf coup de théâtre, Tsai Ing-wen devrait ramener les indépendantistes taïwanais au pouvoir le 16 janvier ; reste à savoir s’ils gagneront facilement le parlement. Aung San Suu Kyi, dejà « victorieuse » aux élections de novembre, devra batailler avec l’armée pour devenir la présidente de son pays.
En parallèle, l’Asie continuera sa schizophrénie politique avec une société civile toujours plus en danger en Thaïlande et en Chine. Comment les pouvoirs absolus traverseront-ils 2016 ? En particulier Xi Jinping, dont chacun se demande jusqu’où ira sa « lutte anti-corruption » alors que le congrès du PC chinois aura lieu à l’automne.
Il ne faut pas oublier l’autre crise qui met l’Asie au pied du mur. Les attentats du 13 novembre ont eux aussi créé leur onde de choc dans la région qui nous occupe. Au lendemain de « l’attaque des terrasses » et du Stade de France, une faction de Daech s’est déclarée en Malaisie puis une autre au Bangladesh. L’Inde, qui se radicalise toujours plus contre ses musulmans, peut aussi servir de terreau aux germes de l’Etat islamique. Le Pakistan se demande si les Taliban et l’EI vont fusionner. La Chine se trouve empêtrée dans les conséquences de sa répression contre les Ouïghours, dont les plus radicaux oscillent entre violence séparatiste et allégeance aux terrorisme international.
C’est l’ensemble de ces questions qu’Asialyst voudra partager avec vous, avec nos outils pour comprendre, nuancer, éviter les diatribes. En attendant, nous vous souhaitons tout le bonheur pour ces fêtes de fin d’année et le meilleur pour l’année 2016 !
Asialystement vôtre !
Joris Zylberman

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A propos de l'auteur
Joris Zylberman est directeur de la publication et rédacteur en chef d'Asialyst. Il est aussi chef adjoint du service international de RFI. Ancien correspondant à Pékin et Shanghai pour RFI et France 24 (2005-2013), il est co-auteur des Nouveaux Communistes chinois (avec Mathieu Duchâtel, Armand Colin, 2012) et co-réalisateur du documentaire “La Chine et nous : 50 ans de passion” (avec Olivier Horn, France 3, 2013).
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