Culture
Photographes d’Asie

La fantastique euphorie intérieure de Wang Chien-yang

Wang Chien-yang, Enjoy yourself tonight , 2014 - 歡樂今宵. (Copyright : Wang Chien-yang)
Alice au pays des merveilles, naïades qui virevoltent sur des cornets de glace… Ainsi pétillent les images oniriques, légères et soigneusement mises en scène par le photographe taïwanais Wang Chian-yang. Un univers jubilatoire qui se fiche des étiquettes, mais qui revendique ses influences depuis le manga japonais jusqu’aux films comiques de Hong Kong. Portfolio et entretien.

Entretien

Né en 1981, Wang Chien-yang (王建揚) est un ovni dans le paysage de la photographie à Taïwan. Bardé de prix internationaux, il est exposé au Japon, en Chine, en Angleterre, au Mexique et aux Etats-Unis, et s’est imposé à la vitesse d’une comète. Ludique et acidulé, léger et ubuesque, son univers peut être lu comme l’illustration hors pair de celui dans lequel a grandi une génération de Taïwanais. Il répond aux questions d’Asialyst.

A voir, le portfolio de Wang Chien-yang :

Wang Chien-yang, Manga series : The Wicked City , 2015 - 漫畫系列 / 妖獸都市. (Copyright : Wang Chien-yang)

Wang Chien-yang, Manga series : Dessert Storm , 2015 - 漫畫系列 / 甜蜜風暴. (Copyright : Wang Chien-yang)

Studio series : Lee Chen-dao x Wang Chien-yang, Swan Lake , 2015 - 工作室系列 / 李承道 x 王建揚 : 天鵝湖. (Copyright : Wang Chien-yang)

Wang Chien-yang, Enjoy yourself tonight , 2014 - 歡樂今宵. (Copyright : Wang Chien-yang)

Wang Chien-yang, Alice in House Wonderland , 2013 - 愛麗絲夢遊宅境. (Copyright : Wang Chien-yang)

Wang Chien-yang, House series : Flying ice cream, 2010. (Copyright : Wang Chien-yang)

Wang Chien-yang, House series : I love ice cream, 2010. (Copyright : Wang Chien-yang)

Wang Chien-yang, House series : Shower Fantasy, 2010. (Copyright : Wang Chien-yang)

 
 

Comment avez-vous construit votre univers photographique ?
Très tôt, dès l’enfance, j’ai été soumis à l’influence de la culture populaire japonaise. C’est ce qui a de particulier à Taïwan car nous avons été une de leur colonie pendant 50 ans et ils nous ont légué beaucoup de choses. A l’école, je suis entré dans l’univers des mangas et des jeux vidéo. Vient ensuite l’influence de la télévision, de la pop cantonaise et des films comiques de Hong Kong dont je me suis beaucoup imprégné durant les années de collège et lycée.
S’il faut absolument répondre à cette question, ma principale source d’influence reste le manga japonais. Mais je ne cherche pas à reproduire tel ou tel univers. Mon inspiration est naturelle et s’affirme d’elle-même. Elle ne se verbalise pas. Je cherche à créer, à installer, à mettre en scène et de ce point de vue, je me sens proche du cinéma. J’organise chacun des éléments et je les fige, à la différence de la photographie de mode qui fait évoluer ses modèles dans le mouvement.
Comment est-ce que vous travaillez ?
Chaque photo représente au moins deux à trois semaines de travail. Il faut que je rassemble d’abord tous les accessoires dont j’ai besoin. Je peins moi-même les fonds colorés, ce qui peut prendre jusqu’à une semaine. La mise en place et l’organisation de tous les éléments pour créer la logique et la cohérence de l’ensemble nécessite au moins huit heures de travail. Finalement, je consacre environ deux heures à la prise de vue. Je n’utilise pas photoshop. Parfois, j’ajuste seulement un petit détail comme par exemple le fil auquel est suspendu un objet, mais pas plus. Ce que vous voyez sur la photographie a réellement existé.
Chez moi, j’ai un paquet de jouets que je récolte en général pour construire mes prochaines photos. J’aime collectionner et exposer ces objets dans mes photos. Parfois, des magasins de jouets me prêtent leurs marchandises ; je leur rends après la prise de vue. En général, il me faut du temps pour créer une scène ; je la monte progressivement, sans idée préconçue et je teste à chaque fois.
Que veulent dire vos photos ?
J’ai commencé en 2009. Toutes ces dernières années, je n’ai rien fait d’autre que de nourrir une conversation avec moi-même. Il faut revenir à soi-même pour créer, pour assumer sa créativité. Mes photos souhaitent transmettre l’idée d’une forme de bonheur et d’insouciance et il ne faut pas y voir trop de profondeur. Elles représentent un univers imaginaire qui ne peut exister. Je passe beaucoup de temps chez moi, je n’aime pas sortir. J’utilise Internet pour regarder le monde et le comprendre. Sur Internet, il y a beaucoup de choses virtuelles dont on ne sait si elles ont jamais existé. Je cherche à recréer cet espace imaginatif et intérieur. C’est quelque chose d’irrationnel, un univers presque magique, intériorisé. Mais attention, je ne suis pas un otaku à la japonaise. On se trompe souvent sur mon cas. Cette propension à rester enfermé est en fait un phénomène mondial lié à Internet, à la téléphonie mobile, ce qui est différent de l’otaku.
Comment votre travail a-t-il évolué ?
J’ai envie de faire des choses qui ont du sens. C’est le cas pour ma nouvelle série dans laquelle je cherche à revenir à mon origine, celle du manga, pour faire des choses différentes. Le noir et blanc ouvre plus grandes encore les portes de l’imagination alors que la couleur impose un sentiment. J’ai envie de retourner à un stade où l’imagination fonctionne à plein. Par exemple, celle-ci évoque l’entremêlement des intérêts politiques qui nuisent à la sécurité sanitaire de nos aliments. Mes œuvres sont finalement un peu le miroir de ma réflexion et ont toutes un rapport avec les phénomènes de société.
Faut-il lire une influence taïwanaise dans votre travail ?
A l’Université, où j’ai suivi une filière artistique, on nous demandait de développer une logique artistique proprement taïwanaise. Je me souviendrai toujours de la réflexion d’un de mes professeurs à ce sujet : « Si vous vivez à Taïwan, si vous intégrez le système d’éducation taïwanais, vous consommez des produits taïwanais, vous êtes alors Taïwanais et ce que vous faîtes est taïwanais. Vous n’avez pas besoin de forcer le trait et d’aborder des thématiques qui renferme une illustration de l’identité pour produire des œuvres dites taïwanaises. » Mais pour être honnête, je ne me suis jamais posé la question de mes racines ou de l’identité de mon œuvre de ce point de vue.
Les étrangers qui observent mes photos leur trouvent un style très asiatique mais c’est parce que mes modèles sont asiatiques. Au Japon, les gens sont très intéressés parce qu’ils peuvent clairement lire l’influence japonaise dans mes photos mais en même temps, ils considèrent que mon travail comme très taïwanais au sens où personne ne pourrait faire ce que je fais au Japon. Nous, les artistes, avons la responsabilité de créer des œuvres. C’est aux critiques d’art de dire à quelles écoles elles appartiennent et dans quels courants elles se situent. Je n’ai donc pas de difficulté à accepter telle ou telle étiquette, ou telle ou telle catégorie. Je suis surtout incapable de m’en trouver une…
Est-ce facile d’être photographe à Taïwan ?
Tout le monde peut être photographe aujourd’hui. Mais être un artiste à Taïwan, c’est autrement plus difficile. Peu de gens à Taïwan sont capables d’accepter et de comprendre la démarche artistique ici. D’un autre côté, comme peu de photographes se dirigent dans cette voie, cela a été plus facile pour moi d’être remarqué et de ne pas être imité.
Il y a quelques temps, je discutais avec un ami photographe, plus jeune que moi. Il m’a dit que j’étais célèbre, beaucoup plus célèbre que lui, mais que finalement, tous ces efforts ne menaient à rien parce qu’il gagnait beaucoup plus d’argent que moi. Mais cela n’a pas beaucoup d’importance pour moi dans la mesure où je ne recherche pas la richesse. Ce qui est essentiel, c’est de refuser quelque chose pour obtenir quelque chose. Je n’ai aucun conseil à donner à personne parce que chacun à sa propre route et son propre destin. Le seul moyen est de se faire confiance et de faire ce qu’on aime, selon moi. Il faut énormément travailler et pour s’améliorer, il faut beaucoup de volonté car on a tendance à se satisfaire rapidement d’un niveau acceptable. J’espère pouvoir exposer dans les musées du monde entier. Je veux aussi m’investir plus encore pour que plus de gens voient et comprennent les photographes taïwanais.
Propos recueillis par Hubert Kilian à Taïwan

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A propos de l'auteur
Hubert Kilian vit à Taiwan depuis 2003 où il a travaillé comme journaliste pour des publications et des médias gouvernementaux. Il a régulièrement contribué à la revue "China Analysis". Il suit les questions de politiques étrangères et continentales à Taïwan, ainsi que certaines questions de société. Photographe, il a exposé à Paris, Taipei et Bandung.