L’Editorial d’Asialyst

L’Edito : l’Asie et les justices climatiques

"Human", un dessin de Tiery Le… (Crédit : Tiery Le...)
Que la COP21 accouche d’un accord contraignant ou pas, la chose paraît presque entendue. Hors d’Europe, rares seront les gouvernements qui accepteront une vraie contrainte juridique dans la réduction de leurs émissions de gaz à effets de serre. Il faudrait créer une instance supranationale capable d’évaluer et de sanctionner ceux qui ne respectent pas leurs engagements. Bref, une justice climatique au sens d’une juridiction du climat.
En Asie, difficile de se mentir. L’Inde a dit clairement « non », et la Chine veut bien dire « accord contraignant » avec François Hollande pour montrer sa bonne volonté – inédite cette année, soulignons-le. Mais qui ignore qu’à Pékin, ni Xi Jinping ni son parti communiste n’acceptent de justice au-dessus d’eux, divine ou humaine ?
Pourtant, l’expression « justice climatique » revient sur toutes les lèvres en Asie. Cette justice n’a rien de juridique. Elle a tout de l’equity à l’anglaise, la théorie de John Rawls ayant le vent en poupe dans le débat climatique. Elle veut combattre l’injustice sociale du réchauffement climatique, afin que la communauté internationale aide les faibles en faisant payer les plus riches.
Aux Philippines, Manille a rassemblé ce weekend des dizaines de milliers de « marcheurs » pour le climat, comme au Japon, en Australie, en Nouvelle-Zélande et au Bangladesh. « Justice climatique » était le slogan le plus répandu sur les banderoles des manifestants. L’urgence est d’aider les victimes directes du changement climatique : des Pakistanais aux insulaires du monde indo-malais, ceux qui voient leur vie bouleversée par la montée des eaux ou l’augmentation anormale des catastrophes naturelles. Et ces populations, trop souvent, appartiennent aux Etats les plus pauvres et les moins pollueurs. Injustice patente.

Droit à brûler du charbon

Les dirigeants asiatiques ont, quant eux, leur propre définition de l’injustice climatique. Il suffit de lire la lettre de Narendra Modi publiée ce dimanche dans le Financial Times : « La justice, invoque le Premier ministre indien, exige qu’avec le peu de carbone que nous pouvons encore brûler en toute sécurité, les pays en développement soient autorisés à croître » (Lire notre revue de presse du jour).
Justice du climat, justice du développement, justice du carbone. Ou plutôt donc, le droit à brûler du charbon. Glissement édifiant.
Le charbon, parmi les énergies fossiles, émet le plus de gaz à effets de serre. En brûler davantage empêchera donc de limiter le réchauffement climatique. Pourtant, en Asie, comme ailleurs, un trop grand nombre de pays demeurent fidèles au noir ombustible. Face à une double croissance démographique et économique insatiable, il reste une option bon marché. En 2015, sur l’ensemble du continent asiatique, plus de 500 centrales à charbon sont en construction et au moins un millier d’autres attendent le début de leur chantier.
Prenez les Philippines : le gouvernement prévoit de construire 23 nouvelles centrales à charbon. Le pays du président Aquino est pourtant l’un des plus menacés par les dérèglements du climat. Rien n’y fait : le chef de l’Etat a justifié les plans de nouvelles centrales au charbon par la nécessité de satisfaire la demande énergétique du pays.
La Chine revendique elle aussi son droit au charbon. C’est ce qu’a déclaré très directement le négociateur chinois sur le climat, Xie Zhenhua : « Nous sommes en train de fermer les centrales électriques arriérées et inefficaces, et nous les remplaçons par des centrales plus efficientes et plus propres – en sorte que le total de nos émissions de carbone augmentera à peine. » Transparence louable, le pays a tout récemment avoué avoir sous-estimé sa consommation de charbon depuis 2000. Rien qu’en 2014, la Chine aurait consommé 600 millions de tonnes supplémentaires, soit la consommation annuelle des Etats-Unis. Mais Xie Zhenhua n’en déclare pas moins que son pays atteindra son pic d’émission en 2030, un objectif « historique » fixé en novembre 2014, lorsque Barack Obama et Xi Jinping se sont recontrés à Pékin.
Comme la Chine, l’Inde et les émergents qui veulent rester dans les pays en développement, tous invoquent l’histoire. Les pays riches doivent supporter en priorité le fardeau financier de l’adaptation et de l’atténuation des dérèglements climatiques ; eux qui se sont enrichis grâce au charbon et ont pollué la planète depuis 150 ans. Musique familière du débat Nord-Sud à l’origine du fiasco de Copenhage en 2009, et toujours d’actualité. Car aux yeux de Xi Jinping comme de Narendra Modi, le Nord doit faire « davantage d’efforts » : à savoir, « transférer plus de capital et de technologie au Sud » pour l’aider à décarboner son économie, sans menacer son développement.
Le seul progrès de la part des émergents asiatiques – et non des moindres – est d’accepter leur part de responsabilité pour « protéger la maison commune ». Attention, cette responsabilité climatique doit être « commune mais différenciée ». Equitable, donc. A charge de s’entendre où placer le curseur.
Par Joris Zylberman

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A propos de l'auteur
Joris Zylberman est directeur de la publication et rédacteur en chef d'Asialyst. Il est aussi chef adjoint du service international de RFI. Ancien correspondant à Pékin et Shanghai pour RFI et France 24 (2005-2013), il est co-auteur des Nouveaux Communistes chinois (avec Mathieu Duchâtel, Armand Colin, 2012) et co-réalisateur du documentaire “La Chine et nous : 50 ans de passion” (avec Olivier Horn, France 3, 2013).
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