Société
Les Attentats de Paris vus d’Asie

 

Au Vietnam : #ParisAttacks et "ville lumière"

Une femme vietnamienne écrit sur le livre de condoléances au mémorial des victimes des attentats de Paris à l’amabassade de France à Hanoi, le 15 novembre 2015. (Crédit : AFP PHOTO / STR)

Contexte

Comment l’Asie a-t-elle perçu les attentats qui ont causé 129 morts et 352 blessés à Paris, vendredi 13 novembre ? Sur un continent où la violence extrême du terrorisme est parfois le quotidien des populations, une immense vague de soutien à la France s’est manifestée immédiatement. Des débats, des différences de perceptions ont aussi émergé. Asialyst y consacre un dossier spécial, avec les témoignages et les points de vue rassemblés et traduits par nos chroniqueurs. Suite de notre dossier au Vietnam.

Hanoi. Cela a commencé samedi. Puis dimanche. A peine deux jours après les attaques terroristes de vendredi 13 qui ont ensanglanté Paris. Le « 11-septembre » français. Ils arrivent là. Devant l’ambassade de France. Fleurs, bougies, dessins d’enfant, quelques mots partageant la douleur de l’Hexagone. On y trouve presque tous les Français expatriés de la capitale vietnamienne, quelques Français de passage et beaucoup de Vietnamiens. Certains sont francophones ou ayant une histoire personnelle avec la France, des intellectuels. Mais les plus nombreux sont ces anonymes qui n’ont jamais mis les pieds en Europe, ne connaissent la tour Eiffel qu’en photo.
Saigon. Même jour, même foule, mêmes bouquets de fleurs, mêmes mots de sympathie. Des Vietnamiens qui pleurent les victimes françaises tuées à 12 000 kilomètres de cette avenue du centre-ville. Ici comme à Hanoi, ils y viennent jusqu’à la tombée de la nuit. La lumière des bougies donne un éclat quasi irréel dans l’atmosphère tropical saturé par les gaz d’échappement des scooters. Les gens arrivent encore. Plus tôt dans l’après-midi, le consul général Emmanuel Ly-Battalan a donné l’ordre d’ouvrir le portail du jardin pour mieux les accueillir.
« L’image idyllique de Paris suscite un grand intérêt chez les Vietnam par sa portée symbolique, affirme M. Hoa, le rédacteur en chef d’une chaîne de télé nationale. C’est un cliché peut-être, mais Paris, ville de lumière, des arts, de la tolérance, attire les regards. Si c’était Bruxelles, il n’y aurait pas eu cet engouement phénoménal ! » Toutes les chaînes, les radios consacrent des émissions et flashs d’info, réalisent des directs – par téléphone sur fond d’images d’agence de presse – avec des correspondants basés à Paris et à Bruxelles, dépêchés exprès sur les lieux dès le matin suivant.
Les journaux imprimés et en ligne ne sont pas en reste. Les pure players alimentent des « live » sur leurs sites. Les imprimés, en raison du décalage d’horaire défavorable, placent Paris en Une dès l’édition de dimanche. Le premier quotidien du pays, Tuổi Trẻ, frappe le premier avec le récit de la nuit du 13 au 14 devant le Bataclan, de son journaliste qui se trouve en voyage à Paris. La Une superpose le drapeau « bleu blanc rouge » en transparence sur l’image des familles des victimes en pleurs. Les Unes se poursuivent les jours suivants, ensuite, trois pages par jours avec reportages, commentaires et analyses.
La Une du quotidien viétnamien Tuổi Trẻ, le 15 novembre 2015.
Cependant, le plus grand « journal » du Vietnam demeure Facebook. La moitié de la population du pays s’y retrouve. Les internautes relaient quasiment en temps réel les fils des médias nationaux et internationaux, y écrivent des condoléances au peuple français, commentent et posent des questions sur la raison des attaques… Et dès que le réseau social phare sort une petite application permettant une superposition du drapeau tricolore sur l’image du profil, ça y va fort. On n’a jamais vu autant de drapeau français dans le cyberespace vietnamienne !
Pour les Vietnamiens de la rue, les attentats terroristes du 13 Novembre résultent du laxisme de la politique française – voire européenne – en matière de l’immigration. Et aussi la pratique « trop démocratique » de la police et de l’appareil judiciaire français. Il est vrai, ici, les citoyens vietnamiens vivent une autre pratique… L’un d’eux, très remonté, cigarette entre les dents, marmonne : « Il faut faire comme le Vietnam. Il suffit d’avoir l’intention de commettre un crime, et c’est direct en préventive. Comme ça, plus de terroriste ! »
En même temps qu’une « critique » plutôt radicale, les Vietnamiens, dans leur grande majorité, saluent le courage, la solidarité et la dignité des Français après l’attentat. Une jeune femme, les yeux rougis par l’émotion et aussi par la fumée des bougies : « Je les adore ! Des milliers de gens bravent le risque du terrorisme en allant se recueillir sur les lieux de tuerie. Ils rendent hommage aux victimes qu’ils ne connaissent pas. C’est beau ! »
*L’homme fait référence à la série d’attentats aux voitures et motocyclettes piégées opérés par la guérilla communiste. Les véhicules explosèrent devant l’Opéra, juste à côté du mythique hôtel Continental, à l’hôtel Métropole, à l’hôtel Brinks ou près du restaurant flottant My-Canh sur la rivière de Saigon.
Une semaine après le 13. Les bouquets fleurissent encore en bas des murs des bâtiments diplomatiques français. Quelques très vieux messieurs les regardent. Songeurs. L’un d’eux : « Tout cela me fait quelque chose. Je repense aux attentats meurtriers commis à Saigon* dans les années 1950-60 par la résistance anti-française et anti-américaine. C’était plutôt contre les militaires. Certes. Mais ç’a tué des innocents aussi… » Son voisin de trottoir intervient : « D’accord mais c’était pour la bonne cause. Un prix à payer non ? Tout faire pour libérer son pays, c’est noble ! » Le premier revient : « Pas sûr, pas sûr… » Le petit groupe s’éloigne dans un débat qui commence à s’animer.
Peace and Love, Messieurs !
Par Vo Trung Dung à Hô-Chi-Minh-Ville, avec Ngoc Vân à Hanoi

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A propos de l'auteur
Journaliste francophone free-lance et multimédia, Vo Trung Dung est un basé à Ho-Chi-Minh-Ville. Il travaille pour les médias français (lemonde.fr, France Télévisions, entre autres) et vietnamiens (Tuôi Tre, VietnamNet et HTV-9). Il a cofondé en 2005 Orizon Photography Group. Il a participé à l’aventure du magazine Asies. De 1989 à 2006, il avait travaillé pour Gamma, Cosmos, Sygma et Corbis.
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