Société
Les Attentats de Paris vus d’Asie

 

Débat en Indonésie : "Paris comme en Syrie et en Palestine ?"

SOLO, CENTRAL JAVA, INDONESIA - AUGUST 10: En Indonésie, la communauté musulmane s’est déjà mobilsée pour condamner le terrorisme de Daech. Sur cette photo prise le 10 août 2014, des Indonésiens lisent le Coran lors d’un rassemblement de 50 000 musulmans contre les attaques du groupe Etat Islamique en Syrie et en Irak, à Solo, qu centre de l’île de Java. (Crédit : Adem Salvarcioglu - Anadolu Agency)

Contexte

Comment l’Asie a-t-elle perçu les attentats qui ont causé 129 morts et 352 blessés à Paris, vendredi 13 novembre ? Sur un continent où la violence extrême du terrorisme est parfois le quotidien des populations, une immense vague de soutien à la France s’est manifestée immédiatement. Des débats, des différences de perceptions ont aussi émergé. Asialyst y consacre un dossier spécial, avec les témoignages et les points de vue rassemblés et traduits par nos chroniqueurs. Suite de notre dossier en Indonésie.

Anda Djoehana Wiradikarta a traduit pour Asialyst les extraits d’une tribune pour le moins polémique, parue dans le Tribun Medan le 15 novembre dernier et signée T. Agus Khaidir. Le Tribun Medan est un quotidien qui paraît à Medan, capitale de la province de Sumatra du Nord et 2ème ville d’Indonésie (3,4 millions d’habitants). Il appartient au groupe de presse Kompas Gramedia fondé par des Chinois indonésiens catholiques. Le point de vue défendu dans cette tribune reflète le débat en Indonésie sur la perception du terrorisme et des conflits politico-religieux du Moyen-Orient à l’Asie.

Peut-être est-ce devenu le caractère d’une partie des gens en Indonésie, qui ne se sentent pas satisfaits s’ils n’ont pas exprimé un point de vue différent. Ils ne se soucient pas d’avoir raison ou de dire n’importe quoi. L’important est que ce soit différent, parce qu’en étant différents, ils seront l’objet de l’attention. Tant mieux s’ils deviennent populaires et connus.
Dans un contexte un peu différent […], les bombes et les fusillades à Paris ont également eu droit à la même tendance. […] Ces effrayantes tueries de masse, ont immédiatement été comparées aux tueries de masse qui ont lieu au Moyen-Orient […].
Une célébrité, un conférencier qui passe souvent à la télévision et converse assidûment sur les médias sociaux, dit ainsi : « Nous sommes attristés par le malheur qui a eu lieu à Paris, et nous sommes plus attristés quand nous imaginons qu’en Syrie et à Gaza, cela se produit tout le temps et qu’il n’y a absolument aucune nouvelles là-dessus. »

Avec tout mon respect, je crois que cette phrase est vraiment erronée sur deux choses.

Premièrement, peut-être que Monsieur le Conférencier ne lit pas trop souvent les journaux ou les magazines, ni ne regarde la télévision. Ou peut-être qu’il lit les journaux et les magazines et regarde la télévision n’importe comment si bien qu’il s’égare dans les pages de ragots sur les artistes, de l’horoscope, des mots croisés, ou des comédies où des personnages tous beaux et toutes belles se transforment en animaux sauvages.
Si seulement il était capable de choisir et de sélectionner des journaux, magazines, télévisions, ou des médias en lignes bons et corrects, nul doute qu’il constaterait que chaque jour, il y a des nouvelles de la Syrie et de Gaza. Souvent aussi ils ont une grande part dans les pages principales ou du moins la headline dans les pages internationales. […]
Peut-être qu’il n’a pas non plus accès aux portails des agences de photographies situées en Europe et aux Etats-Unis. S’il l’avait, il verrait que Thomson Reuters, AFP, AP, Getty Images, VII, Magnum et autres, produisent chaque jour des centaines (voire des milliers) de photos qui montrent l’évolution de la situation de la guerre au Moyen-Orient. De même pour la situation en Birmanie, en Turquie, en Arabie Saoudite, au Yemen, en Egypte, en Iran, en Chine et dans d’autres régions où les musulmans sont opprimés, que ce soit par le pouvoir, les membres de la région majoritaire, ou par leurs propres semblables musulmans.
La deuxième erreur, Monsieur le Conférencier, est de regarder les tueries de masse à Paris et celles en Palestine et en Syrie avec les mêmes lunettes. En fait, il n’y a pas lieu de le faire. La différence est manifeste. Les tueries de masse à Paris sont de la terreur. Le but est de susciter l’horreur comme forme de menace. Il n’y a pas, par exemple, de corrélation ni de connexion idéologique étroite entre la terreur avec Paris et ses habitants. Il n’y a pas de conflit.
Peu avant que l’explosion des bombes et les fusillades brutales aient lieu, 80 000 personnes assistaient à un match de foot, 1 500 personnes assistaient à un concert de rock, environ 1 000 personnes savouraient des mets et des boissons dans des bars, des cafés, et des restaurants, et des milliers d’autres flânaient tranquillement sur les trottoirs de la merveilleuse ville de Paris. Alors pourquoi des gens qui assistaient à un match de foot, à un concert, mangeaient, buvaient et flânaient devaient-ils être tués ? Au nom de la religion ? Y a-t-il une religion qui rende légal le meurtre d’innocents ?
Inversement, en Palestine et en Syrie, les motifs sont des conflits politiques. Des disputes pour des territoires et pour le pouvoir qui se déroulent depuis des dizaines d’années et n’en finissent toujours pas. Les jours en Palestine et en Syrie, comme aussi en Egypte, en Irak, en Iran, sont des jours de guerre. A chaque instant ils sont sous le regard de la mort. […]
Mais voilà, Monsieur le Conférencier et ses partisans (directs comme indirects) écartent ces faits parce qu’ils sont trop convaincus de leur propre point de vue : que « l’Occident infidèle » a réussi à effectuer un contrôle des perceptions et appliquer deux poids, deux mesures pour considérer les tueries de masse. Ils sont donc plus que jamais enfermés dans une paranoïa aigüe qui s’exprime ainsi : le monde est au pouvoir des francs-maçons et des Illuminati, et l’islam sera de plus en plus mis à mal.
Par T. Agus Khaidir
Source : Medan Tribun
Traduction : Anda Djoehana Wiradikarta

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A propos de l'auteur
Anda Djoehana Wiradikarta est enseignant et chercheur en management interculturel au sein de l’équipe « Gestion et Société ». Depuis 2003, son terrain de recherche est l’Indonésie. Ingénieur de formation, il a auparavant travaillé 23 ans en entreprise, dont 6 ans expatrié par le groupe pétrolier français Total et 5 ans dans le groupe indonésien Medco.
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