Economie
L’Asie du Sud-Est vue par AlterAsia

 

Le triste état de l'agriculture en Malaisie

Un ouvrier se tient débout au milieu de l’usine de fabrication d’huile de palme de Sepang, à l’extèrieur de Kuala Lumpur le 20 novembre 2014. (Crédit : MOHD RASFAN / AFP).
Sur les trente dernières années, la Malaisie est devenue un pays à revenu intermédiaire, passant d’un statut de producteur de minerais et de produits de base essentiellement à une économie multisectorielle. En 1970 l’agriculture représentait 28,8 % du PIB national contre seulement 9,33 % en 2013 ; mais dans certains Etats comme Perlis, Kelantan et Sabah, l’agriculture représente encore 20 à 30 % de l’activité économique.
L’emploi dans le secteur est passé de 13 % de la population active en 2007 à seulement 9,3 % en 2014. A noter également que 66 % des personnes qui travaillent dans le secteur agricole sont âgées de plus de 50 ans tandis que les plantations emploient principalement des travailleurs étrangers qui génèrent peu de revenus pour les communautés locales.
Mais le secteur agricole du pays se caractérise surtout par une accumulation d’erreurs stratégiques qui ont coûté cher à différents niveaux : sécurité alimentaire, développement rural, communautaire et régional ou encore emploi. Ainsi, la création des Government Linked Companies (GLC), dont l’Etat est actionnaire majoritaire, n’a pratiquement pas eu de conséquences positives pour les communautés locales alors que les gouvernements des Etats de Malaisie se sont empressés de leur transférer des terres, sans aucune transparence. De plus, la promotion d’un mode de culture industrielle dans les années 1960 a également réduit la biodiversité.
Et même les organismes comme la Federal Land Development Authority (FELDA) et la Federal Land Consolidation Authority (FELCRA) ont écarté les cultures vivrières génératrices de liquidités au profit de l’huile de palme et du caoutchouc qui promettaient des retours sur investissement plus élevés, avec un moindre effort de commercialisation. Aujourd’hui, la forêt vierge continue d’être détruite pour faire de la place à des plantations de palmiers où les GLC réalisent des profits colossaux, en remplacement des cultures traditionnelles privées ou de celles des exploitations industrielles.
Ces considérations politiques ont aussi dominé l’investissement et la recherche. Les sociétés publiques ont reçu des financements généreux dans des domaines où cela n’avait souvent aucun sens, ce qui a entraîné le gaspillage de millions de dollars, notamment en « voyages d’études », et a laissé une série de programmes au point mort.
Le secteur connaît enfin plusieurs freins : de mauvaises infrastructures de base, un accès insuffisant à l’irrigation et aux routes ou encore le faible niveau d’éducation de la majorité des petits exploitants,…

Une planification qui ignore la dimension locale

Les orientations agricoles ont été définies par les autorités par une série de plans quinquennaux. Or, à chaque fois, les élites politiques et bureaucratiques ont avancé des prévisions de résultat très optimistes et organisé de véritables célébrations lors de la signature de projets pourtant plus ou moins aboutis.
Une partie du problème vient du fait que ces élites voient en générale les choses en grand et de loin. Par exemple, le ministre de l’Agriculture dresse une liste des agro-industries qui doivent constituer des priorités nationales. Puis, l’Institut de recherche et de développement agricole (MARDI) et l’Institut de recherche forestière (FRIM) limitent alors leurs activités à ces priorités, sans explorer qu’elles pourraient être les autres cultures nécessaires pour stimuler la croissance au niveau local. De ce fait, les efforts de recherche dans le secteur ne profitent qu’à peu de communautés. Les autres restent aujourd’hui encore dans une situation de pauvreté relative, surtout dans les Etats majoritairement agricoles comme Perlis, Kelantan, Sabah et le Sarawak.
La gestion économique du pays, axée sur la planification et l’intervention de l’Etat, tente d’intégrer les secteurs les plus dynamiques à l’appareil d’Etat mais la corruption liée aux concessions, à l’allocation de fonds et à la construction d’installations constitue un problème majeur qui entrave le développement rural du pays. Dans le cas des plantes et des biotechnologies par exemple, des fonds ont été massivement attribués en faveur des industries de pointe mais principalement utilisés à des postes administratifs. Ainsi, la Malaysian Herbal Corporation, créée en fanfare en 2001, devait devenir le “porte-drapeau” national de cette industrie. La société a entrepris de nombreuses initiatives axées vers l’extérieur, le personnel voyageant à grands frais dans le monde entier. Et, aujourd’hui, près de dix ans plus tard, la Malaysian Herbal Corporation n’existe plus…

Cap sur la biotechnologie?

Avec l’accent mis sur les« industries de pointe », comme la biotechnologie, par l’ancien Premier Ministre Abdullah Ahmad Badawi, des fonds conséquents ont été investis dans le secteur mais avec de très faible résultats.
Ainsi la Malaysian Biotechnology Corporation (MBC) et différentes sociétés de biotechnologie financées par l’Etat comme Melaka Biotech, J-Biotech à Johor, K-Biocorp à Kedah et Kelantan Biotech, ont été richement dotées de millions de ringgits de subventions mais n’ont quasiment rien fourni en contrepartie. La plupart des subventions accordées par la MBC à des sociétés commerciales n’ont pas produit de brevets commercialisables.
Le constat est le même dans la recherche universitaire : le Parc Technologique de Malaisie (TPM) a construit des laboratoires de biotechnologie dans tout le pays, comme dans l’Etat de Perlis, où la structure est désormais quasiment vide. Le Conseil pour le Développement Economique Régional de la Côte Est a mis en place des parcs accès sur les plantes et les biotech à Pahang et à Terengganu, qui sont aujourd’hui relativement inactifs au regard de leur objectif initial. De son côté, la FELDA avait créé la FELDA Herbal Corporation, désormais remplacée par Felda Wellness Biotropics qui ne fabrique plus que quelques produits cosmétiques à base de plantes. Au final, le ministre la Santé a même dû créer une autre structure, NINE BIO pour fabriquer des vaccins et produits à base de plantes halal.
Enfin, les accords de partenariat entre l’Université Malaisienne des Sciences et Technologies et l’Institut de Technologie du Massachussetts (MIT), salués au départ, se sont également révélés être aujourd’hui un fiasco cinq ans seulement après leurs signatures et ont coûté au contribuable pas moins de 20 millions de dollars.
Le plus tragique dans ce constat difficile, c’est l’absence totale de transparence dans la façon dont le gouvernement a déterminé les responsabilités de ces fameuses GLC. Une planification venue du sommet, sans concertation avec les industries locales, les communautés et les scientifiques, a conduit le secteur à un niveau bien inférieur à celui de ses voisins régionaux et sans aucune considération pour les réalités du marché agricole ou de l’agro-industrie. Ainsi, des plans de développement comme le programme Agropolitan à Sabah sont uniquement conceptualisés et développés par des bureaucrates. On demande aux GLC de prendre en charge de grandes étendues de terres, d’y planter de l’huile de palme et de développer de petits corridors pour les villageois du coin. Les GLC en ont ainsi retiré de très grands bénéfices mais les villageois locaux ont été floués.
En conséquence, les possibilités d’atténuer la pauvreté dans les collectivités rurales, de développer de nouvelles cultures et de créer de nouvelles industries ont été négligées. En revanche, de nombreux plans plus efficaces, comme les programmes de parrainage entrepreneurial menés par les instituts agricoles du pays, ont été privés de fonds.
Les conséquences de cette désorganisation au plus haut niveau de l’état sont graves. Le pays importe aujourd’hui jusqu’à 60 % de ses besoins alimentaires, dont du riz, du lait, du boeuf et du mouton, de la farine et des fruits. Avec le niveau actuel de la dette nationale, la faiblesse du ringgit et le ralentissement potentiel des exportations en raison d’une économie internationale morose, la sécurité alimentaire devient alors un enjeu plus important que jamais.
Pour y répondre, l’agriculture malaisienne a besoin de nouvelles pratiques, de nouveaux modèles économiques et de nouvelles infrastructures logistiques. Petite lueur d’espoir pour le secteur néanmoins, la baisse de la valeur de la monnaie locale pourrait aider les paysans du pays à bénéficier d’une compétitivité particulièrement accrue au niveau international.
Traduction : Edith Disdet
Source (Murray Hunter/Asia Sentinel) :
The Dismal State of Malaysian Agriculture

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