En Thaïlande, les travailleuses du sexe défendent leur professionnalisme
Etudiant en anthropologie, Pimkamol Phijitsiri a réalisé une enquête de terrain au cœur des établissements de prostitution destinés aux hommes thaïlandais pour tenter de décrypter le fonctionnement et les enjeux d’un milieu qui reste fortement stigmatisé par la société. Une plongée sans a priori dans l’industrie complexe et florissante des instituts de sauna, bains et massage abritant en réalité des services sexuels qui restent à ce jour illégaux depuis l’interdiction de la prostitution en 1996 dans le pays. Pour comprendre ce phénomène, le jeune chercheur a interrogé quatre prostituées en activité qui ont « choisi » de leur plein gré cette profession et dont le parcours permet de mieux cerner comment fonctionne le secteur.
Il y a tout d’abord, Poi-sian, âgée de 40 ans. Elle était masseuse et chanteuse en discothèque avant d’intégrer les instituts de bains, sauna et massage. Elle y a été attirée par les hauts salaires proposés qui lui fournissent les fonds nécessaires pour s’occuper de ses deux frères et sœurs et de son enfant. Ensuite, nous trouvons, Khem, 37 ans, une ancienne assistante infirmière, qui a fait le choix d’intégrer cette industrie afin de pouvoir élever ses deux enfants. Egalement, Phikul, âgée de 38 ans, qui est une ancienne femme d’affaires, d’un niveau social plus élevé. Elle a commencé à travailler dans un bar karaoké à filles de Chiang Mai il y a une dizaine d’années, après la faillite de son entreprise et son divorce qui l’a laissée seule avec ses deux enfants. Enfin, Fa, 38 ans, qui travaillait au rayon textile d’un célèbre grand magasin avec un salaire insuffisant pour couvrir les besoins de ses parents, de sa jeune sœur et de son enfant.
Ces quatre femmes travaillent dans un établissement haut de gamme situé dans la province de Phitsanulok. L’institut possède 22 chambres et 30 à 40 femmes y officient chaque mois.
La prostitution, un emploi facile et non qualifié ?
Poi-sian explique que son secret pour obtenir des clients réguliers est de construire un semblant d’intimité : « Je ne prétends pas être leur petite amie, j’agis juste de façon naturelle avec eux. Je dis des choses comme : « Tu m’as tellement manqué, où étais-tu ? » Puis je les prends dans mes bras, les embrasse, les serre contre moi et les masse. Je veux que mes clients sentent à quel point je les connais, je les comprends et je me soucie d’eux. ».
Khem, de son coté, ne se fixe aucune limite car elle souhaite que le client ait le sentiment d’en avoir eu pour son argent. Cette attitude lui assure un grand nombre de clients réguliers. « Je peux faire tout ce qu’ils veulent. Pour moi, ils sont de sortie en ville et ils viennent me voir pour dépenser leur argent. C’est leur droit en tant que clients. Plus important encore, mes clients réguliers me disent qu’ils ne veulent aller nulle part ailleurs car ils ont le sentiment que je sais ce qu’ils veulent et la manière de leur donner. »
Si les prostitués savent jouer sur les sentiments de proximité et cherchent à établir des relations « naturelles » pour fidéliser, elles savent également poser des limites. « S’ils essayent de m’embrasser, je leur donne immédiatement un petit coup. Je ne supporte pas la puanteur de leur haleine ou leur odeur de cigarette. Le baiser ne fait pas partie de ma fiche de poste », raconte ainsi Poi-sian tandis que Khem, Fa ou Phikul ont exactement la même approche.
Système de notation
Il existe même un véritable système de notation en ligne couvrant toutes les facettes de l’expérience : la beauté du visage, la peau, la taille de la poitrine, la couleur des organes génitaux, les techniques sexuelles utilisées, le prix, la satisfaction générale et la volonté des prostituées de réitérer l’expérience. Bien entendu, les travailleurs du sexe consultent également ces sites afin d’avoir des retours sur leurs prestations et d’y trouver des pistes d’amélioration.
De cet ensemble de témoignages et évaluations des clients consultables par Internet, il ressort qu’en plus de la beauté physique, les prestataires doivent faire attention à donner l’impression d’un désir et d’un plaisir réciproque. Savoir bien « faire semblant » est donc quelque chose de primordial pour les professionnelles du sexe mais elles ne l’envisagent pas forcément de la même manière. Fa estime que simuler l’excitation et l’orgasme est essentiel quoi qu’il arrive : « Je dois bien sûr faire semblant d’être excitée avec le client. Il n’est pas possible de juste rester là à se tortiller et à le laisser tout faire. » De son côté, Poi-sian voit le fait de simuler plus comme un moyen de réaliser les fantasmes de son client : « Je ne vois pas le client comme mon petit ami mais j’essaie de créer une atmosphère décontractée. Je ne pense pas profondément au client mais je pense que je réponds à ses fantasmes. »
Laisser réaliser les fantasmes et donner l’impression d’une jouissance partagée seraient donc les points forts d’une vraie professionnelle.
Reste que les prostituées qui acceptent des pratiques à risques comme le sexe oral sans préservatif obtiennent de meilleures notations sur les forums et se pose donc la question des maladies sexuellement transmissibles. Savoir éviter les MST est bien entendu une chose indispensable dans l’industrie du sexe et cette question fait l’objet d’une prochaine enquête à retrouver sur Asialyst.
Source (Thaweeporn Kummetha/Prachataï) : Investigation into professionalism of Thai sex workers
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