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Indonésie : les premières années de l’indépendance

Des Balinais agitent des drapeaux indonésien lors de la célébration de l'anniversaire de l’indépendance sur une plage de Kuta
Des Balinais agitent des drapeaux indonésien lors de la célébration de l'anniversaire de l’indépendance sur une plage de Kuta. (Crédit : AFP PHOTO/SONNY TUMBELAKA)
L’Indonésie vient de fêter ses 70 ans d’indépendance. Le 17 août 1945 en effet, Soekarno, qui allait devenir le premier président du pays, lisait la très succincte proclamation suivante : « Nous, nation indonésienne, déclarons par la présente l’Indépendance de l’Indonésie. Les choses concernant le transfert du pouvoir etc… [sic] seront organisées de manière attentive et dans les plus brefs délais. »
La journaliste et médecin américaine Elizabeth Pisani a publié en 2014 un livre dont le titre, Indonesia Etc. : Exploring the Improbable Nation, fait une référence volontaire à cet « etc. ».
Le Japon occupait alors les Indes néerlandaises depuis la capitulation des troupes coloniales le 8 mars 1942. En septembre 1944, se rendant compte qu’il est en train de perdre la guerre et confronté à un mouvement de résistance grandissant à son occupation, le Japon promet l’indépendance de ce qu’il appelle « les Indes de l’Est » (Tô Indo). En avril 1945, les autorités d’occupation créent un comité chargé de préparer l’indépendance. Le 15 août, le Japon capitule. Le projet d’indépendance est le cadet des soucis des Japonais. Dans la nuit du 16 au 17, de jeunes nationalistes, craignant que l’indépendance ne soit considérée par les Alliés vainqueurs comme une initiative des Japonais vaincus, enlèvent Soekarno et Hatta (qui allait devenir vice-président). Ils les convainquent de proclamer l’indépendance pour prendre les Alliés de court.
Et en effet en septembre, des troupes britanniques commencent à débarquer à Java et à Sumatra. Pour Lord Mountbatten (1900-1979), le commandant en chef des forces alliées, leur mission doit se limiter à libérer les Européens détenus dans les camps d’internement japonais, et accepter la reddition des troupes japonaises. Des affrontements éclatent entre des groupes de jeunes Indonésiens et des Européens qui avaient quitté les camps. En octobre, des combats de rue opposent de jeunes Indonésiens à des civils européens, métis et chinois, et à des soldats japonais ainsi que des troupes de l’ex-armée coloniale des Indes néerlandaises.
A l’époque coloniale, on distingue les métis et les Vreemde Osterlingen (« Orientaux étrangers »), une catégorie créée en 1907 pour les Arabes, les Chinois et les Indiens. Ces derniers avaient un statut supérieur à celui des indigènes.
Les Britanniques négocient un cessez-le-feu avec Soekarno, reconnaissant ainsi de facto le gouvernement de la jeune république. Mais à Surabaya dans l’est de Java, de jeunes miliciens indonésiens assassinent le général britannique responsable du secteur. En novembre, commence une bataille qui oppose trente mille hommes aguerris de la British Indian Army, appuyés par des dizaines de blindés et d’avions et des navires de guerre, à vingt mille soldats de la toute jeune armée indonésiennes et quelque cent mille miliciens, peu et mal armés. Six mille Indonésiens trouveront la mort dans cette bataille et deux cent mille devront fuir Surabaya. Militairement défaite, la jeune république a néanmoins démontré au monde l’importance du soutien populaire et la détermination des Indonésiens à défendre leur indépendance. Les Britanniques en prennent acte et feront désormais pression sur les Néerlandais pour qu’ils négocient avec ceux qui se désignent désormais eux-mêmes par le terme de « Républicains ». Les troupes britanniques quitteront l’Indonésie au bout d’un an.
Les Néerlandais, de leur côté, entendent récupérer leur colonie. Dès novembre, ils réoccupent l’archipel. Un conflit à la fois politique, militaire et diplomatique va opposer l’administration qu’ils mettent en place, la NICA (Nederlands Indië Civil Administratie, « administration civile des Indes néerlandaises »), aux autorités de la jeune république d’Indonésie.
Ce conflit, que les Indonésiens appellent Revolusi, prend fin en 1949 avec la « Conférence de la Table Ronde » qui se tient à La Haye. Le 27 décembre, le royaume des Pays-Bas transfère formellement la souveraineté sur les anciennes Indes néerlandaises à une « République des Etats-Unis d’Indonésie » composée de la République d’Indonésie proprement dite, réduite à une partie de Java et de Sumatra, plus une douzaine « d’Etats » et « territoires » fantoches. Toutefois, ce transfert exclut la Nouvelle-Guinée occidentale, dont il est convenu que la question sera discutée ultérieurement.
En 2009, vingt-deux écrivains, historiens et juristes néerlandais publient une lettre dans le quotidien NRC Handelsblad dans laquelle ils demandent que leur gouvernement reconnaissent la proclamation de 1945. La réponse du ministère des Affaires étrangères est que « l’indépendance n’est devenue officielle qu’après que la souveraineté a été transférée [le 27 décembre 1949] ».
Jusqu’en 2005, l’ambassadeur des Pays-Bas s’abstenait de se rendre au palais présidentiel pour la cérémonie de la fête de l’indépendance indonésienne. Ce geste est interprété comme une reconnaissance de fait de la proclamation de 1945. Ainsi, comme l’écrit l’historien australien M. C. Ricklefs, « [l]a Révolution par laquelle l’indépendance a été gagnée n’est pas seulement un épisode central de l’histoire indonésienne mais un élément puissant dans la perception de la nation indonésienne d’elle-même ».

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A propos de l'auteur
Anda Djoehana Wiradikarta est enseignant et chercheur en management interculturel au sein de l’équipe « Gestion et Société ». Depuis 2003, son terrain de recherche est l’Indonésie. Ingénieur de formation, il a auparavant travaillé 23 ans en entreprise, dont 6 ans expatrié par le groupe pétrolier français Total et 5 ans dans le groupe indonésien Medco.
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