Politique
Entretien

Sri Lanka : début de réconciliation entre Cinghalais et Tamouls ?

Photo de supporteurs du nouveau président sri-lankais Maithripala Sirisena
Des supporteurs du nouveau président sri-lankais Maithripala Sirisena célèbrent son élection dans les rues de Colombo le 9 janvier 2015. A la surprise générale, l’ancien président Mahinda Rajapakse n’a pas été reconduit au pouvoir, après une campagne où il fut accusé de corruption et surtout d’incapacité à apporter la réconciliation après la guerre civile. (Crédit : AFP PHOTO / Munir uz ZAMAN)
Si les Sri-lankais n’ont pas reconduit le très nationaliste président Rajapakse, leur nouveau leader Sirisena doit encore faire ses preuves pour concrétiser l’espoir d’une réconciliation entre les Cinghalais et les Tamouls. Après vingt-cinq ans d’une guerre civile sanglante, tout reste à faire : de l’ouverture d’une enquête à la constitution d’un tribunal international, en passant par le travail d’éducation publique pour panser les blessures des deux côtés. Les exemples sud-africains et balkaniques sont évoqués. Il est probable qu’aucune réconciliation ne soit possible sans une initiative du gouvernement. C’est ce que pense Paikiasothy Saravanamuttu, directeur du Center for Policy Alternatives, Sébastien Farcis l’a rencontré à Colombo.

 

Photo de Paikiasothy Saravanamuttu
Paikiasothy Saravanamuttu, le directeur du Center for Policy Alternatives, l'un des principaux think tank d'analyse sur le processus de réconciliation sri-lankais. (Crédit : D.R.)

Entretien

Les Sri-Lankais ont élu un nouveau Président le 8 janvier dernier. Contre toute attente, le modéré Maithripala Sirisena, ministre du gouvernement sortant, a battu l’ancien Chef d’Etat, le nationaliste cinghalais Mahinda Rajapakse. Il a pour cela reçu un très large soutien de la part de l’électorat tamoul, situé dans le Nord et l’Est du pays, qui réclame des enquêtes sur les crimes de guerre perpétrés lors des derniers mois de la guerre civile (1983-2009).

L’ONU estime qu’au moins 40 000 civils tamouls auraient été tués entre janvier et mai 2009, principalement par les bombardements de l’armée régulière sur les zones où ces populations se réfugiaient. Mahinda Rajapakse a toujours nié ces crimes, refusé toute enquête internationale et accusé la rébellion des Tigres de Libération de l’Eelam Tamoul (LTTE) d’avoir utilisé ces civils comme boucliers humains.

La minorité tamoule (11% de la population) et la communauté internationale attendent donc beaucoup de ce nouveau Chef de l’Etat. Lors de ses trois premiers mois au pouvoir, il a promis de mettre en place un nouveau « panel pour enquêter sur ces supposés crimes de guerre », ce qui a convaincu le Conseil des droits de l’homme de l’ONU de reporter la publication de son rapport à septembre prochain. Mais les Tamouls s’impatientent.

Notre correspondant dans la région, Sébastien Farcis, a rencontré, à Colombo, Paikiasothy Saravanamuttu, le directeur du Center for Policy Alternatives, l’un des principaux think tank d’analyse sur ce processus de réconciliation.

Comment est-ce que le nouveau gouvernement aborde la question de la réconciliation ?
Ce qui est important de noter, c’est que lors de sa campagne pour l’élection présidentielle, Maithripala Sirisena n’a pas directement parlé des problèmes du Nord et de l’Est. Et cela n’apparaît pas non plus dans le programme des cent premiers jours de son gouvernement. Ce dernier ressemble donc à une « coalition du silence » concernant les principaux problèmes de la population de cette région, à savoir la responsabilité des crimes de guerre, la réconciliation et un accord politique sur les problèmes ethniques. L’une des raisons peut être que ce gouvernement est formé sur une coalition très disparate, comprenant des nationalistes tamouls et cinghalais, et que s’il s’exprime de manière spécifique sur ce contentieux, cette coalition peut rompre.
Mais ce manque d’action crée une aigreur et une certaine colère dans ces régions. Et l’expression de celles-ci est la résolution adoptée par le Conseil de la Province du Nord, qui vient de dénoncer le « génocide » du peuple tamoul.
Est-ce que le Président a vraiment l’intention de lancer ce processus ?
Je ne doute pas de son désir ni de son engagement à lancer ce processus. Mais que veut-il exactement ? A-til une vision de ce que signifie la réconciliation dans ce pays ? Une délégation sud-africaine est venue pour en parler. Était-ce avec une idée précise, ou juste pour savoir à quoi peut ressembler une réconciliation en général ?
Photo de manifestation au Sri Lanka
Plus de six mois avant l’élection présidentielle, des activistes pro-gouvernementaux défilent devant le Haut-Commissariat britannique au Sri Lanka, le 20 mars 2014. Ils protestent contre le projet de résolution américaine appelant à l’ouverture d’une enquête internationale sur les 40 000 personnes tués à la fin de la guerre civile entre le gouvernement et les Tigres Tamouls en mai 2009. (Crédit : AFP PHOTO/ Ishara S. KODIKARA)
Et selon vous, à quoi peut ressembler cette réconciliation ?
Les positions des Cinghalais et des Tamouls sont très différentes, mais les deux se rejoignent sur un point : ils veulent une punition. Les Cinghalais veulent punir les responsables de la corruption massive [survenue du temps de Rajapakse, NDLR] et les Tamouls souhaitent punir les auteurs des crimes de guerre. Dans ce contexte, on ne peut donc pas imaginer que les coupables admettent leurs crimes, car personne ne leur offrira une amnestie.
La réconciliation ne prendra donc pas cette forme de la confession. Elle sera plutôt certainement initiée par une déclaration du gouvernement qui admettra que certains événements n’auraient pas dû avoir lieu et qu’ils ont entrainé des crimes de guerre et contre l’humanité. Ouvrant ainsi la voie à la création d’un tribunal. Et qu’en parrallèle, ils condamneront sérieusement les responsables de la corruption.
Quelles étapes sont nécessaires pour arriver à la mise en place d’un tribunal sur les crimes de guerre?
Nous devons d’abord engager des réformes législatives : certains actes, comme les disparitions forcées sont reconnus comme des crimes par le droit international et ne le sont pas au Sri Lanka. Ensuite, il faut décider si ce tribunal sera totalement sri-lankais ou avec une assistance technique internationale, avec des juges étrangers. Mais pour être accepté par les populations du Nord et de l’Est, il devra avoir une certaine dimension internationale. Une forme hybride, similaire aux tribunaux de la Sierra Leone et de certains établis dans les Balkans. La création de ce tribunal international doit être approuvé par le Conseil de Sécurité, où les Chinois et Russes peuvent opposer leur véto.
Photo de manifestion à Londres
Manifestation de la communauté tamoule à Londres près du bureau du Premier ministre anglais, pour soutenir l’enquête officielle du Haut commissariat de l’ONU pour les réfugiés sur les crimes de guerre commis au Sri Lanka à la fin de la guerre civile. (Crédit : CITIZENSIDE/PHILIP ROBINS)

Le rapport très attendu du Conseil des droits de l’homme de l’ONU sera publié en septembre. A quoi peut-on s’attendre ?

Une nouvelle résolution du Conseil peut être adoptée, appelant à poursuivre le contrôle de ce processus national. Si le mécanisme local d’enquête est mis en place d’ici à septembre, la résolution demandera donc de le surveiller. Cette résolution serait alors le premier document international concernant ces crimes de guerre. A partir de là, la juridiction internationale pourra être utilisée et toute personne accusée de ces crimes pourra alors être arrêtée.
Est-ce que Mahinda Rajapakse peut être inquiété ?
Je ne pense pas qu’il s’attende à être arrêté. Il se peut que les procureurs cherchent à démontrer sa responsabilité dans la chaine de commandement. Cependant, il est difficile de trouver l’information qui peut prouver l’existence de ces ordres incriminants.
Le problème de fond demeure : les Tamouls continuent à se plaindre d’importantes discriminations. Comment résoudre ce problème ?
En effet, il y a encore des problèmes linguistiques, par exemple. Le cinghalais et le tamoul sont considérés comme les langues officielles, mais certains documents officiels en cinghalais ne sont pas traduits. Il existe une discrimination tacite au moment d’engager les Tamouls dans les services publics. Enfin, dans le contexte d’après-guerre civile, il perdure un certain degré de suspicion envers les Tamouls, parfois assimilés à la rébellion.
Le régime de Mahinda Rajapakse a utilisé énormément de propagande. Des idées qui sont maintenant ancrées dans les esprits : il a insisté sur le sentiment de supériorité des Cinghalais qui sont majoritaires et ont triomphé sur la rébellion, face à une communauté internationale qui voudrait changer le régime, influencée par la diaspora tamoule. Alors que les Cinghalais, contrairement aux Tamouls, n’ont pas d’autre terre où aller. Tout cela a donné l’impression aux Cinghalais d’avoir été assiégés. Vous avez donc aujourd’hui une majorité avec le complexe d’une minorité.
Le gouvernement va devoir réaliser un important travail d’éducation pour expliquer les mesures qu’il prendra en faveur des Tamouls.
Propos recueilli par Sébastien Farcis à New Delhi

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A propos de l'auteur
Correspondant pour Radio France Internationale (RFI) depuis dix ans en Asie, d’abord aux Philippines puis en Inde, il couvre aujourd’hui l’Asie du Sud (Inde, Sri Lanka, Bangladesh et Népal) pour RFI, Radio France et Libération. Avide de voyages et de découvertes, il a également vécu au Laos.