Culture
Note de lecture

Livre : "Le dernier maharaja d’Indore" ou l'inépuisable fascination pour les souverains indiens

Couverture du livre "Le dernier Maharja d'Indore" de Géraldine Lenain, éditions Seuil.
Couverture du livre "Le dernier Maharja d'Indore" de Géraldine Lenain, éditions Seuil.
Cette biographie de l’un des derniers grands maharajas du XXème siècle dresse le portrait d’un homme déchiré entre deux cultures, plus à la aise dans les clubs de jazz californiens que dans ses palais du Madhya Pradesh, et au train de vie effarant.
Parmi les sujets de fascination que suscite fréquemment l’Inde, les maharajas occupent une place de premier plan. Ces figures majeures de la période d’avant l’indépendance, qui combinaient richesse extravagante et toute-puissance – dans les limites fixées par les autorités coloniales – font encore rêver de nos jours, comme en témoignent les innombrables livres ou expositions qui leur sont consacrés.
Dernière parution en date, Le dernier maharaja d’Indore constitue un bon exemple de cette célébration d’un monde disparu. Dû à la plume de Géraldine Lenain, qui se trouve être l’épouse de l’actuel ambassadeur de France à New Delhi, l’ouvrage est consacré à Yeshwant Rao Holkar, né en 1908 et décédé en 1961, qui fut le dernier souverain d’Indore, l’un des États les plus riches de l’Inde coloniale – situé dans le Madhya Pradesh d’aujourd’hui.
Le personnage dont Géraldine Lenain, spécialiste de l’histoire de l’art, brosse le portrait, sort de l’ordinaire. Jouissant de moyens financiers illimités, vénéré par son peuple à l’égal d’un dieu, Yeshwant semble avoir passé la majeure partie de sa vie à fuir son statut de souverain et même son pays. Ayant découvert très tôt l’Occident – il était parti dès l’âge de treize ans étudier en Angleterre -, il n’aura de cesse, sa vie durant, de résider en Europe ou aux États-Unis. Un choix qui semble résulter paradoxalement au moins en partie de son hostilité envers le pouvoir colonial. Le jeune maharaja a en effet rapidement compris que l’Empire britannique ne lui laisserait guère de marge de manœuvre dans la direction de ses États. Simultanément, ses années d’études en Occident lui ont fait découvrir l’agrément d’une vie où l’on peut être un individu (presque) comme les autres, loin de l’étiquette étouffante de la cour d’Indore et des incessantes intrigues familiales et politiques qui s’y déploient en permanence.
L'auteure française Geraldine Lenain. (Copyright : Astrid di Crollalanza)
L'auteure française Geraldine Lenain. (Copyright : Astrid di Crollalanza)
Recevant une éducation occidentale suivie de près par les autorités britanniques, le jeune prince devient en fait le type même du dirigeant indien souhaité par ces dernières : des personnes « indiennes par le sang et la couleur de peau mais Anglaises par leurs goûts, leurs opinions, leur morale et leur intellect », comme l’avait prescrit le haut fonctionnaire de l’Empire Thomas Macaulay au XIXème siècle. À ceci près que Yeshwant n’est pas devenu de ce fait un serviteur zélé de l’Empire, bien au contraire : sa personnalité, ses goûts et, bien sûr, les moyens dont il disposait l’ont plutôt incité à se mettre en retrait – pour ne pas dire à prendre la fuite.
Tout juste la vingtaine, le jeune maharaja choisit donc de devenir un membre éminent de la jet set, comme on ne disait pas encore, internationale. Ce richissime dandy fréquente les milieux artistiques et culturels occidentaux, se lie avec des artistes comme Man Ray ou Brancusi. Il constitue des collections d’œuvres d’art, pratique le mécénat à grande échelle. Une de ses principales entreprises sera l’édification d’un palais Art déco près d’Indore. Une aventure un peu folle du fait des conditions climatiques locales, qui obligent architectes et artistes occidentaux venus sur place à adapter leurs techniques aux températures extrêmes et à l’humidité du Madhya Pradesh. Yeshwant ne se refuse rien et son train de vie est tout bonnement effarant. Un exemple parmi d’autres : il collectionne les voitures de luxe, ce qui ne saurait surprendre de la part d’un maharaja épris de modernité. Mais, raffinement suprême, « les plus fragiles sont renvoyées en été en Europe pour éviter la mousson et la chaleur excessive » ! Yeshwant collectionne aussi les résidences somptueuses, de la France aux États-Unis. Plus à l’aise dans les clubs de jazz que dans les temples hindous, il séjourne au fil des années de plus en plus longtemps en Occident.
Tourmenté, affecté par des problèmes de santé, écartelé entre ses deux cultures, Yeshwant finirait presque par inspirer un peu de pitié… Sauf que la personnalité qui se dégage de cette biographie n’est au final pas très sympathique. Le maharaja est clairement plus intéressé par ses collections artistiques que par ses États et son peuple. Géraldine Lenain évoque son intérêt pour les techniques agricoles modernes et pour l’amélioration du sort des paysans mais il ne semble pas y avoir consacré beaucoup d’efforts. Et en définitive, sa « passion pour la liberté », c’est-à-dire la sienne, que souligne l’auteure, semble bien égoïste.
Écrit d’une plume alerte, avec de multiples anecdotes, Le dernier maharaja d’Indore a en tout cas le mérite de faire revivre un personnalité hors du commun et une époque, celle des mythiques maharajas, qui n’a pas fini de faire fantasmer.
Par Patrick de Jacquelot

À lire

Géraldine Lenain, Le dernier maharaja d’Indore, 288 pages, Seuil, 18,50 euros.

A propos de l'auteur
Patrick de Jacquelot est journaliste. De 2008 à l’été 2015, il a été correspondant à New Delhi des quotidiens économiques La Tribune (pendant deux ans) et Les Echos (pendant cinq ans), couvrant des sujets comme l’économie, le business, la stratégie des entreprises françaises en Inde, la vie politique et diplomatique, etc. Il a également réalisé de nombreux reportages en Inde et dans les pays voisins comme le Bangladesh, le Sri Lanka ou le Bhoutan pour ces deux quotidiens ainsi que pour le trimestriel Chine Plus. Pour Asialyst, il écrit sur l’Inde et sa région, et tient une chronique ​​"L'Asie dessinée" consacrée aux bandes dessinées parlant de l’Asie.