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Analyse

Débat sur la PMA en Chine : "Le ventre des femmes est un outil de reproduction au service du pays"

Mme XU devant le tribunal à l’issue de l’audience le 17 septembre 2021 à Pékin. (Source : Chinadaily.com)
Mme XU devant le tribunal à l’issue de l’audience le 17 septembre 2021 à Pékin. (Source : Chinadaily.com)
Le 17 septembre dernier, Mme Xu a assisté à la deuxième audience de son procès au tribunal du district de Chaoyang à Pékin en tant que plaignante. La première audience remontait à deux ans, le 23 décembre 2019. Cette jeune femme a saisi la justice pour contester le refus de sa demande de conservation de ses gamètes hors raisons médicales. Un procès sans précédent qui a déclenché un débat sur le contrôle de leur corps par les femmes, sur fond de relance gouvernementale de la natalité.
En novembre 2018, âgée de 30 ans, célibataire et cadre salariée, Mme Xu souhaite se donner encore quelques années pour se consacrer à sa carrière professionnelle. Comme beaucoup d’autres femmes chinoises, elle s’efforce de ne pas céder à la pression du mariage de la part de son entourage après ses 26 ans. Mais poussée par l’horloge biologique et animée par le désir maternel, elle se rend au service d’obstétrique d’un hôpital public de la capitale pour une consultation sur la conservation de ses ovocytes.

Être mariée avant d’être mère

Cette première consultation ne dure pas très longtemps. Lorsque le médecin du service lui demande son statut marital, Mme Xu répond : « Célibataire. » Le mot sonne comme un coup de marteau, les yeux du docteur se lèvent de sa feuille et se tournent vers la jeune femme. Il lui explique patiemment que la loi actuelle interdit la pratique de l’autoconservation de gamètes hors raisons médicales, et lui conseille de dégager un peu de temps pour trouver un mari et fonder une famille.
Mme Xu retourne voir ce médecin après avoir passé quelques examens et tests biologiques. Il lui confirme qu’elle est en très bonne santé et en état de procréation, mais lui refuse toujours de faire le prélèvement des ovocytes.
Avec l’aide de son avocate, Mme Xu décide alors de traîner en justice cet hôpital pour atteinte au droit de la personne. Après plus de six mois de bataille judiciaire, la partie civile obtient la première audience le 23 décembre 2019. Elle dure à peine une heure. Les jours suivants, Mme Xu voit son nom sur les réseaux sociaux, et son combat individuel devient un sujet public. Elle commence à participer aux différentes rencontres-débats et cherche à comprendre où en est la société sur les questions liées aux femmes de son âge.
Dans un reportage publié sur le site Initium.com, basé à Hong Kong, Mme Xu explique qu’elle ne souhaite aller ni aux États-Unis ni à Hong Kong pour l’autoconservation, et est plus déterminée que jamais à tenter de faire valoir ses droits. Elle enchaîne les différentes sollicitations des médias pour faire entendre sa voix et le soutien public dont elle bénéficie. Sa lutte intervient alors que les autorités chinoises ont décidé d’assouplir leur politique familiale afin de freiner le déclin démographique. Le 31 mai dernier, elles autorisent ainsi les couples à avoir un troisième enfant, après l’abolition en 2015 de la politique de l’enfant unique mise en place en 1979.
« Le ventre de femmes chinoises est un outil de reproduction au service du pays, il sert à répondre au besoin du gouvernement, souligne-t-elle dans le reportage d’Initium.com. Enfanter moins quand on a trop d’enfants, forcer à stériliser quand la contraception ne marche pas, et maintenant, on veut le faire engrosser plus souvent par tous les moyens quand la population diminue. Mais quand pourrai-je décider de ce que je fais de mon ventre ? »
La principale défense de l’hôpital public se trouve dans les « Règlements sur l’administration des techniques de procréation assistée », promulgués en 2001 et amendés en 2003. Ils stipulent qu’il est interdit de pratiquer des techniques de procréation assistée humaine sur des couples et des femmes célibataires qui ne respectent pas les dispositions des lois et règlements nationaux en matière de population et de planification familiale. Un couple bénéficiaire du dispositif l’est uniquement en raison de problème de fertilité et de maladie. Il faut alors produire deux certificats : celui de mariage et celui de l’autorisation d’avoir l’enfant. Cette pratique est strictement interdite pour une femme célibataire.
En revanche, selon « les Règlements sur les spécifications techniques pour les banques de sperme humain », les hommes, qu’ils soient mariés ou non, peuvent demander la conservation du sperme pour une fertilité future. Selon la Commission nationale de la Santé, le traitement différencié entre homme et femme est une question purement technique, puisque la technologie appliquée chez l’homme est beaucoup plus avancée. Et surtout bien plus simple.
En 2015, l’actrice chinoise XU Jinglei (徐静蕾)annonce sur son blog avoir fait conserver ses gamètes aux États-Unis deux ans auparavant. Elle fait l’éloge de cette pratique comme un remède contre le temps, un recours ultime. Les internautes s’emparent du sujet et les femmes célibataires y trouvent une piste à exploiter pour outrepasser l’étape du mariage. En 2018, à l’instar des géants numériques américains, le plus grand site de voyage touristique chinois Trip (携程) propose un service sur mesure à ses employées-cadres célibataires pour partir aux États-Unis afin de bénéficier de cette technologie, à partir d’environ 30 000 euros tout compris pour un voyage de 7 jours minimum.

Image de la femme et droit des femmes

Se marier avant 26 ans pour ne pas être considérée comme vieille fille, et avoir un enfant avant 35 ans pour ne pas être catégorisée en « âge maternel avancé », ces normes demeurent inébranlables dans la société chinoise. Dès lors que fonder une famille et procréer en restent deux valeurs fondamentales, faire des enfants ne peut qu’être accepté dans le cadre du mariage légal. Il n’est pas difficile d’établir un lien direct entre le déclin démographique, la baisse du taux de mariages et l’augmentation des mariages tardifs.
Selon le dernier rapport publié en 2021 par le Bureau national des Statistiques et le ministère chinois des Affaires civiles, en 2020, le nombre total de mariages enregistrés s’est élevé à 8,143 millions de couples, soit une diminution d’1,13 million par rapport à 2019. C’est à la fois la septième année consécutive de baisse depuis 2013 et un plus bas record sur les 17 dernières années.
Le phénomène des mariages tardifs se confirme en Chine. Selon les chiffres publiés en février 2021, les personnes âgées de 25 à 29 ans prennent le relais des 20-24 ans comme nouvelle « tendance dominante » du mariage. De 2005 à 2019, le taux de mariage des 20-24 ans a chuté de 47,0 % à 19,7 % (-27 points), tandis que la tranche des 25-29 ans reste stable autour de 34,6 %. Quant aux 30-34, 35-39 et 40 ans et plus, ils représentent 17,7 %, 8,1 % et 19,9 % respectivement. Autrement dit, le taux de mariage des personnes de 40 ans et plus est égal à celui des 20-24 ans.
Les mariages tardifs entraînent systématiquement une procréation tardive et moindre. L’âge moyen du premier enfant pour les femmes chinoises a été retardé de 24,1 à 26,3 ans entre 1990 et 2015. L’étude montre qu’en 2015, l’âge moyen de la première naissance a été repoussé de 22 à 29 ans, et que le taux de naissances d’un seul enfant est tombé à 66,7 %. Or, si l’âge du premier enfantement a été repoussé d’un an en général, de 23 à 30 ans, le taux de naissance est significativement tombé à 59,1 % (-7 points). Par ailleurs, le taux d’enfants nés d’une mère âgée de 30 ans ou plus est passé de 4,2 % à près de 19,2 % entre 1990 et 2015.
À quoi les femmes chinoises aspirent-elles aujourd’hui ? Fonder une famille ou chercher à s’épanouir dans une carrière ? Le droit de la procréation relève-t-il de la liberté des femmes ou est-il uniquement autorisé dans le cadre conjugal encadré par la loi ? Si le devoir de la procréation repose uniquement sur le couple marié, et que le taux de mariage diminue au fil du temps, comment résoudre le problème démographique ? Il est difficile de chiffrer le nombre de femmes qui se trouvent dans le cas de Mme Xu, qui semble être prise au piège entre le désir de poursuivre sa carrière et l’instinct maternel.
À la question de la conservation des gamètes de femmes célibataires, la Commission nationale de la Santé a répondu en trois points : la conservation comporte un risque pour la santé de la femme en retardant l’âge de la grossesse ; la technique appliquée reste controversée au sein des scientifiques ; et enfin, la défense contre la commercialisation et la sauvegarde de l’intérêt social sont deux principes éthiques dans la mise en œuvre de la procréation médicalement assistée.

L’espoir d’un changement

La deuxième audience du procès se déroule dans une salle où il n’y a que des femmes. La juge laisse les deux parties se défendre pendant deux heures, alors que les journalistes attendent à l’extérieur. La médecin cheffe du service, représentante de l’hôpital, soutient devant la cour que son établissement applique la loi actuelle et que l’autoconservation des gamètes pour une jeune femme célibataire augmenterait la possibilité de sa grossesse tardive, ce qui accroit les risques pour la mère et pour l’enfant. Autrement dit, derrière son acte, la plaignante dissimule une volonté de la procréation tardive.
Cette audience signifie la fin d’une étape de la procédure judiciaire, sans verdict. Il faut encore attendre. Il est long, ce parcours : trois ans déjà. Mme Xu regrette ce temps passé sans avoir pu faire le moindre geste pour conserver ses ovocytes pendant son âge d’or, alors qu’elle va bientôt entrer dans la catégorie des « femmes en âge maternel avancé ».
En sortant de la salle d’audience, accueillie par les journalistes, Mme Xu réaffirme l’objectif de son combat judiciaire : pouvoir bénéficier de l’avancée technologique qui devrait être partagée sans distinction. Elle cherche à récupérer la clé – le contrôle de son corps – qui lui appartient. Et quel que soit le verdict, elle souhaite que la société change le regard sur le ventre de la femme et que diminue l’indifférence aux inégalités homme-femme.
Autour de ce procès, une question demeure : l’autoconservation des gamètes permettrait-elle aux femmes chinoises de se libérer à la fois de la pression familiale, professionnelle et sociale et enfin de réconcilier le désir maternel et l’ambition personnelle ? Ne faudrait-il pas avant tout que la société chinoise change son regard sur le rôle de la femme et surtout sur la femme-mère célibataire ? Les droits des femmes en Chine ont encore un long chemin à parcourir, comme partout ailleurs. Il faut rappeler qu’en France, un décret d’application de la loi sur la bioéthique ainsi qu’un arrêté viennent de paraître, le 29 septembre dernier, au Journal officiel. Ils autorisent les femmes seules à pouvoir bénéficier d’une assistance médicale à la procréation (AMP) ou d’une conservation de leurs gamètes sans motif médical.
Par Tamara Lui

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A propos de l'auteur
Originaire de Hongkong, ancienne journaliste pour deux grands médias hongkongais, Tamara s'est reconvertie dans le documentaire. Spécialisée dans les études sur l'immigration chinoise en France, elle mène actuellement des projets d'économie sociale et solidaire.