Culture
Série - L'Asie dessinée

BD : du Cachemire au Japon, le dessin envoûtant de Cosey

Au Tibet, dans "Celui qui mène les fleuves à la mer" par Cosey, éditions Le Lombard. (Crédit : Le Lombard)
Au Tibet, dans "Celui qui mène les fleuves à la mer" par Cosey, éditions Le Lombard. (Crédit : Le Lombard)
Si vous cherchez à quoi peut ressembler l’Asie dessinée dans toute sa splendeur, vous la trouverez dans l’œuvre majeure de Cosey. L’artiste suisse préside cette année le Festival de bande dessinée d’Angoulême. Pour Asialyst, il revient sur ses voyages du Cachemire au Japon, sa fascination pour l’Himalaya et la spiritualité bouddhiste, sa sympathie pour la cause tibétaine, et plus généralement son attachement aux cultures asiatiques sous toutes leurs formes.
L’édition 2018 du Festival International de la Bande dessinée d’Angoulême qui s’ouvre ce jeudi 25 janvier va être présidée par Cosey, le dessinateur suisse lauréat du Grand Prix 2017 décerné par ce même festival. Une distinction qui couronne une carrière de plus de quarante ans marquée par une œuvre singulière sous le signe de l’Asie.
Sur la trentaine d’albums signés par Cosey depuis 1975, la grande majorité se déroule en effet sur le continent asiatique. C’est vrai en particulier pour les seize aventures de son héros fétiche, Jonathan, dont toutes sauf deux se passent autour de l’Himalaya au sens large, ainsi qu’en Birmanie ou au Japon.
Comme l’explique l’artiste helvétique dans l’interview qu’il a accordée à Asialyst, l’Asie est pour lui une source d’inspiration inépuisable. Qu’il s’agisse des paysages, avec sa passion pour l’Himalaya, de la spiritualité, au cœur de sa démarche, ou encore des arts visuels qui ont profondément influencé son style inimitable marqué par une ligne épurée et une maîtrise hors norme des couleurs.
Le voyage est au cœur de l’œuvre de Cosey, comme le symbole d’une quête sans fin : quête sentimentale, quête spirituelle, quête de soi… L’aventure comme on l’entend habituellement dans la bande dessinée n’occupe finalement que peu de place – et de moins en moins au fil des années – au profit d’un récit méditatif et intimiste.
Et pourtant… Même s’il se défend vigoureusement dans notre entretien de s’intéresser à la politique ou de faire du militantisme, Cosey excelle à restituer le contexte historique et social des pays auxquels il s’intéresse. Nombre de ses lecteurs ont découvert la cause tibétaine, dont il est un infatigable sympathisant, dans les premières aventures de Jonathan. Le diptyque Celui qui mène les fleuves à la mer et La saveur du Songrong, ou le splendide récit indépendant Le Bouddha d’Azur évoquent de façon détaillée l’oppression chinoise au Tibet et le combat des résistants. De même, l’incursion de Jonathan en Birmanie, racontée dans Elle, porte un témoignage puissant sur la dictature militaire.
En Chine dans "Celui qui mène les fleuves à la mer" par Cosey, éditions Le Lombard. (Crédit : Le Lombard)
En Chine dans "Celui qui mène les fleuves à la mer" par Cosey, éditions Le Lombard. (Crédit : Le Lombard)
Surtout, les amoureux de l’Asie trouveront dans l’œuvre de Cosey une profusion inépuisable d’images envoûtantes : paysages grandioses de l’Himalaya, monastères sous la neige, merveilles architecturales, mais aussi grouillement des villes asiatiques et multiples détails de la vie quotidienne : depuis les wagons de chemin de fer jusqu’aux échoppes servant le thé… Autant d’invitations à rêver – et à voyager, encore et toujours.

Entretien

Le dessinateur suisse Cosey. (Crédits : DR)
Le dessinateur suisse Cosey. (Crédits : DR)
L’Asie est omniprésente dans vos albums depuis les tout premiers situés au Tibet, avant même vos premiers voyages sur place. D’où vient cette passion ?
Cosey : C’est typique des écrivains voyageurs : la majorité des gens qui parlent de pays lointains s’y sont intéressés avant de s’y rendre ; ça n’est pas après y être allés qu’ils ont découvert que ça leur plaisait. Je fais partie de cette école-là. Mais pourquoi le Tibet ? J’aimais bien la montagne, peut-être à cause des vacances de mon enfance dans les Alpes suisses. Si j’étais né en Bretagne, je dessinerais des bateaux et des marins… Et puis à l’adolescence, je me suis intéressé à ce qu’on appelle la spiritualité orientale – pas seulement au bouddhisme qui est très à la mode ici en ce moment. Bref, cela m’a conduit à cet intérêt pour le Tibet.
J’ai fait un premier voyage au Ladakh [partie de l’Himalaya située en Inde, NDLR] en 1976 parce que c’était la seule région de culture tibétaine accessible aux voyageurs à l’époque. Je me suis posé à Delhi, puis j’ai pris l’avion pour Srinagar au Cachemire, c’était génial ! J’ai découvert que non seulement le Tibet était passionnant, mais aussi toute l’Asie. Je suis allé ensuite en Afrique, aux États-Unis, mais le plaisir, l’intérêt n’ont pas été aussi forts. J’en avais rêvé aussi mais c’est clairement l’Asie qui domine.
Cosey emmène son lecteur en Inde dans "Celle qui fut", éditions Le Lombard. (Crédit : Le Lombard)
Cosey emmène son lecteur en Inde dans "Celle qui fut", éditions Le Lombard. (Crédit : Le Lombard)
Beaucoup de lecteurs sont persuadés que vous avez vécu des années en Asie, dans l’Himalaya…
Je prends ça comme un compliment ! En fait, le maximum que j’ai fait, c’est quatre mois à New Delhi. Je suis allé sept fois en région himalayenne : deux fois au Ladakh, une fois au Népal, le Tibet central avec Lhassa, une fois dans l’Amdo [province du Nord-Est tibétain], au Kam [sud-est du Tibet], et enfin l’Uttarakhand en Inde du Nord. En dehors de l’Himalaya, je suis allé au Japon, à Taïwan, au Laos, au Vietnam, au Cambodge, en Chine chinoise [par opposition au Tibet occupé, NDLR], en Thaïlande, en Indonésie…
Il y a une omission dans la liste des « pays himalayens » que vous avez visités, le Bhoutan….
En effet, et aussi le royaume du Mustang. Celui-ci fait partie du Népal mais c’est une entité, presque un pays. Et j’irais plus facilement au Mustang qu’au Bhoutan. Ce que je crains dans ce dernier pays, c’est de voir un pays musée où tout est bien propre… Mais c’est un préjugé, j’espère y aller tout de même !
Jonathan au Népal dans "Le privilège du serpent", par Cosey, éditions Le Lombard. (Crédit : Le Lombard)
Jonathan au Népal dans "Le privilège du serpent", par Cosey, éditions Le Lombard. (Crédit : Le Lombard)
Il y a dans votre œuvre un pays que l’on ne voit presque pas, c’est la Chine « chinoise », hors Tibet. Est-ce parce que en tant que militant de la cause tibétaine vous n’avez pas envie de dessiner la Chine ?
« Sympathisant » de la cause tibétaine, sympathisant à 100% mais pas « militant ». Je ne manifeste pas dans la rue… En fait, j’aime beaucoup la culture chinoise d’avant Mao, c’est pour ça que je suis allé à Taïwan. J’aime beaucoup la Chine. Mais un album c’est au moins une année et demie de travail, parfois deux ans. Tout cela prend du temps. J’aimerais bien faire quelque chose sur la Chine, j’ai des scènes qui s’y passent mais pas d’album… Mais ça n’est pas exclu.
Outre les paysages, qu’est-ce qui vous attire dans les régions tibétaines : les philosophies et les religions ?
Non, ni les unes ni les autres. Je chipote avec les mots mais si on les utilise à bon escient, la philosophie m’intéresse assez peu, et les religions uniquement d’un point de vue artistique parce qu’elles ont produit des chefs-d’œuvre, en Asie comme en Europe. Ma recherche personnelle porte sur ce qu’on appelle la spiritualité, qui a peu de rapports avec la religion. D’ailleurs, de nombreux grands maîtres spirituels ont été excommuniés. Il ne faut donc pas confondre les deux. Mais je m’intéresse aussi bien à la spiritualité hindoue que bouddhiste, islamique, chrétienne, chamaniste…
Mais c’est bien la spiritualité bouddhiste qui domine dans votre œuvre…
Oui, un peu par la force des choses, à cause du Tibet. Parce qu’au Tibet c’est le bouddhisme. La religion traditionnelle bön n’a pas disparu mais elle est devenue très minoritaire et d’un pointe de vue visuel, il y a très peu de différences entre les deux. Elles ne sont pas en opposition, elles cohabitent dans les mêmes temples.
Cela veut-il dire que la spiritualité bouddhiste vous inspire davantage que les autres ou bien est-ce seulement un attachement aux paysages qui vous fait la mettre en avant ?
J’aime l’aspect visuel du bouddhisme, d’un bouddhisme qui est devenu une religion. Alors que le Bouddha n’est pas religieux, il n’est pas un dieu ni un demi-dieu, seulement un homme qui a atteint un état particulier et qui propose d’enseigner aux autres humains. Mais il se trouve que par inclination naturelle des peuples asiatiques, il est survenu une grande déviation : les gens prient le Bouddha comme un dieu, alors que cela n’est pas son enseignement initial.
C’est une évolution que vous déplorez ?
Non, parce qu’elle a produit des œuvres extraordinaires, des rituels, des musiques…
Le bouddhisme que l’on voit dans vos œuvres est extrêmement pacifiste, notamment dans sa lutte contre la Chine. Pour beaucoup d’occidentaux, bouddhisme égale pacifisme…
Oui, c’est l’essentiel du message, mais je vois où vous allez en venir !
De fait, quand on voit les Rohingyas en Birmanie, ou ce qui s’est passé au Sri-Lanka vis-à-vis des Tamouls, il semble bien que la spiritualité bouddhiste ne soit pas aussi intrinsèquement pacifiste que cela…
Dans les cas que vous citez, ce n’est pas la spiritualité bouddhiste qui est en cause, mais la religion bouddhiste. Et je ne peux que répondre ceci : la religion catholique a eu l’inquisition, ce qui n’est pas tout à fait en accord avec l’enseignement de Jésus-Christ !
En effet, mais dans vos albums, c’est sur la dimension pacifiste que vous mettez l’accent…
Effectivement. Je ne vais pas raconter le massacre des Rohingyas, sauf pour le dénoncer, mais ce n’est pas mon truc, je n’aime pas les messages politiques.
Il y a pourtant beaucoup de politique dans vos albums, avec plein d’histoires qui dénoncent l’occupation chinoise du Tibet !
Oui, mais ce n’est pas le contenu essentiel, c’est au deuxième plan. Le premier, c’est l’histoire d’êtres humains, qui se passe dans ce contexte d’occupation, de massacres. Ce contexte n’est jamais le thème de mes albums.
Il y a tout de même des histoires de Jonathan où le contexte politique est très fort, comme Celui qui mène les fleuves à la mer et La saveur du Songrong où le héros travaille à faire sortir de Chine des dissidents…
En effet, ce sont les plus engagés. Mais même là, le thème principal de ces deux albums, c’est une histoire d’amour entre Jonathan et cette femme chinoise qui est colonel dans l’armée. Un personnage qui m’a été inspiré par son équivalent, une femme colonel qui dirigeait les chœurs de l’armée chinoise à Lanzhou, rencontrée au bar d’un hôtel où elle chantait le soir !
Au Tibet dans "Celui qui mène les fleuves à la mer" par Cosey, éditions Le Lombard. (Crédit : Le Lombard)
Au Tibet dans "Celui qui mène les fleuves à la mer" par Cosey, éditions Le Lombard. (Crédit : Le Lombard)
Il y a une évolution intéressante de Jonathan au fil des années : au début, on le voit lutter contre l’occupant chinois en allant jusqu’à tirer des coups de feu. Mais plus ça va, plus sa résistance devient passive, non violente…
Bien sûr, mais j’étais jeune ! Quand j’ai fait ces premiers albums, j’avais 25 ou 27 ans, et prendre une arme dans une aventure de BD, c’était normal. Cela prouve que j’ai évolué, il y a un progrès ! (rires)
Dans l’album Elle, Jonathan en arrive à faire de la résistance contre la dictature birmane presque sans le vouloir : il est manipulé…
Oui, et par un moine bouddhiste en plus. C’est délibéré, cela m’amuse de montrer ce moine qui manipule Jonathan. Mais celui-ci ne demande pas mieux que de faire ce qu’on lui fait faire.
Il y a donc bien une évolution vers des formes de résistance de plus en plus non-violentes…
Tout à fait, il ne prend plus d’armes à feu. Mais là encore, l’essentiel de cet album n’est pas là : l’essentiel est de nouveau une histoire d’amour. C’est ce qui m’intéresse plus que la politique, je le dis clairement. C’est cette histoire d’amour entre Jonathan et une « nat », c’est-à-dire un esprit.
Jonathan est en Birmanie dans la bande dessinée "Elle", par Cosey, éditions Le Lombard. (Crédit : Le Lombard)
Jonathan est en Birmanie dans la bande dessinée "Elle", par Cosey, éditions Le Lombard. (Crédit : Le Lombard)
Au fil des albums, Jonathan tombe de fait amoureux de nombreuses asiatiques, tibétaines, chinoises ou birmanes. Mais sa seule liaison durable, qui revient dans plusieurs albums, c’est avec Kate, une Américaine. Faut-il y voir un commentaire sur l’incommunicabilité entre les Occidentaux et les Asiatiques ?
C’est vrai, mais ce n’est pas délibéré. C’est d’autant plus grave ! (rires) Mais ça raconte ma vie, en fait…
Ressentez-vous la difficulté qu’il y a à nouer des relations étroites entre personnes des deux mondes ?
Oui, en effet. C’est d’ailleurs un phénomène très intéressant. Il nous fait nous interroger sur ce qu’est la séduction, et encore plus sur ce qu’est l’attraction que l’on peut ressentir pour une personne… Et là on découvre que les codes que l’on a intégré depuis le premier jour sont hyper forts. Donc bien sûr, on peut être attiré par une personne complètement différente mais cela complique les choses. Ce n’est déjà pas facile quand on est de la même culture…
Jonathan amoureux d'une Américaine au Cachemire, dans "Kate", par Cosey, éditions Le Lombard. (Crédit : Le Lombard)
Jonathan amoureux d'une Américaine au Cachemire, dans "Kate", par Cosey, éditions Le Lombard. (Crédit : Le Lombard)
Au fil de vos nombreux voyages en Asie, vous êtes-vous fait des amis très proches ?
Non, pas vraiment.
Suivez-vous de près l’actualité asiatique ?
J’ai beaucoup de mal à m’intéresser à la politique, aux questions sociales… Je le confesse comme un point faible. Mais c’est aussi vrai pour la politique suisse et française que pour celle d’Inde ou de Chine. En revanche, je m’intéresse à la culture de ces pays. Je vais régulièrement chercher des sources, des informations sur des aspects culturels et spirituels. Je viens par exemple d’aller à Lausanne écouter un extraordinaire concert de qawwali par des musiciens pakistanais, d’une force exceptionnelle ! Voilà une expression artistique de la spiritualité soufie qui n’est pas une religion.
En tant que « sympathisant à 100% de la cause tibétaine », que pensez-vous de celle-ci aujourd’hui ? Croyez-vous encore au Tibet libre ?
La cause n’est pas perdue ! Bien sûr, le prix à payer a déjà été extrêmement élevé et ce n’est pas fini. Mais oui, je crois qu’un jour cela arrivera. Mon espoir, c’est la dissidence chinoise, qui est de plus en plus grande. Le gouvernement chinois ne pourra pas éternellement juguler Internet, la communication. A un moment donné, il sera dépassé. Je pense qu’il va y avoir des changements dans la société chinoise, dont l’un des aspects les plus positifs sera un retrait de cette occupation. Bon, « retrait » est peut-être un terme trop fort, mais on verra un net progrès. Les Tibétains seront à leur place chez eux, on pourra étudier en tibétain, il y aura des emplois pour les gens qui parlent tibétain et non pas chinois, et cela à tous les niveaux…
Une libéralisation, donc ?
Oui, une libéralisation, grâce aux dissidents qui découvrent à quel point la Chine est endoctrinée. C’est ce que j’espère, en tout cas. Les dissidents seront déterminants. De toute façon, on ne peut pas compter sur les gouvernements occidentaux, qui sont tous à genoux devant Pékin et le grand marché chinois… Ce n’est pas beau à voir mais on peut le comprendre. Sauf qu’on n’est même pas sûr que ce marché tiendra ses promesses. Car il y a d’énormes inégalités en Chine et il n’est pas dit que cela n’explosera pas au sein même de la Chine à un moment donné. Ce grand marché, c’est peut-être un rêve…
Au Tibet dans "Celui qui mène les fleuves à la mer" par Cosey, éditions Le Lombard. (Crédit : Le Lombard)
Au Tibet dans "Celui qui mène les fleuves à la mer" par Cosey, éditions Le Lombard. (Crédit : Le Lombard)
Que pensez-vous de l’idée répandue selon laquelle le XXIème siècle sera le siècle de l’Asie ?
Je parlerai de ce que je connais : dans l’art contemporain, il y a en Chine en ce moment une pépinière de grands artistes conceptuels complètement à l’avant-garde. C’est là que ça se passe, et pas à New York, à Berlin ou à Tokyo. Pendant longtemps, l’art contemporain chinois, c’était des supputations. Mais maintenant ils ont sauté le pas, ils se sont libérés, il y a des créateurs extraordinaires. Et cela commence aussi en Inde.
Vous vous êtes rendu deux fois au Ladakh à quarante ans d’intervalle. Quelle vision avez-vous des transformations sur cette période ?
Ce qui est frappant, c’est que certains endroits ont été complètement chamboulés, internationalisés, et d’autres, à trois kilomètres de là, n’ont pas changé du tout. Leh, la capitale, est méconnaissable. Certains monastères comme celui d’Alchi sont devenus des shopping centers avec les boutiques agglutinées autour, les cafés-restaurants, les guest-houses… Et les touristes – dont je fais partie ! – défilent toute la journée dans le temple avec leur appareil photo… Leh, je l’ai connue en 1976 : la rue centrale était en terre battue, il y avait des yacks et une voiture toutes les dix minutes. Aujourd’hui, c’est plein de restaurants italiens et de boutiques vendant des bouddhas et des moulins à prière en toc.
Jonathan est au Ladakh dans "Le berceau du Bodhisattva", par Cosey, éditions Le Lombard. (Crédit : Le Lombard)
Jonathan est au Ladakh dans "Le berceau du Bodhisattva", par Cosey, éditions Le Lombard. (Crédit : Le Lombard)
Lors de mon deuxième voyage en 2017, j’ai loué une moto et je me suis promené dans les montagnes. C’est drôle parce que la plupart des auteurs de BD font des repérages, et après leur retour, ils racontent ce qu’ils ont vu. Moi ça m’est souvent arrivé de faire le contraire. J’ai d’abord dessiné Jonathan à moto dans l’Himalaya, avant même d’y avoir mis les pieds, et c’est quarante ans plus tard que j’ai loué une vieille Royal Enfield et j’ai roulé comme ça, en allant dans des vallées perdues… J’ai séjourné aussi dans un monastère, celui de Chemrey. J’ai adoré loger dans une petite cellule de moine. A midi, je mangeais avec tous les moines dans le dining hall et j’allais aux prières… J’ai eu exactement ce que je voulais : tout ce côté quotidien, le petit-déj’, les prières de 9 heures du matin à une heure de l’après-midi, avec le thé salé au beurre servi au milieu, puis le thé au lait et au sucre… Et les prières, les prières, les prières… Ca c’est la religion, c’est sûr, mais ça m’amusait de voir ça. Le soir, il y avait les copains moines qui venaient boire une tasse de thé dans la cellule. Peut-être en ferai-je un album, on verra…
Sur le plan artistique, dans quelle mesure l’Asie est-elle une source d’inspiration graphique ? Vous parlez souvent de la couleur jaune comme étant très caractéristique de l’Asie ?
Oui, par comparaison avec notre culture dans laquelle elle est en grande carence. D’une part, il y a la simplicité des arts visuels asiatiques, particulièrement au Japon, et d’autre part, on trouve l’opposé avec les motifs tibétains ou indiens surchargés. Mais c’est un foisonnement organisé qui au fond donne une impression d’unicité. C’est tellement chargé que cela devient une surface, comme un motif imprimé sur un tissu. Et le point le plus important pour moi, c’est la stylisation. Dans la culture occidentale classique jusqu’au XXème siècle, l’art est très travaillé, très élaboré. Regardez Michel-Ange, chaque muscle est à sa place. Alors qu’en Asie, comme dans nos anciennes cultures, l’art crétois par exemple, il y a une stylisation, une simplification, une beauté de la ligne… On n’est pas obligé de tout montrer, on peut symboliser par la courbe parfaite qui remplace dix mille petits traits. J’adore ça, bien sûr !
On le retrouve d’ailleurs dans votre style…
J’essaye de m’en approcher un petit peu, c’est ce que j’aime. Mais c’est ardu. Parce que quand un dessin est très chargé, cela permet de cacher des faiblesses. Quand il y a une seule ligne, il faut qu’elle soit parfaite. C’est hyper exigeant.
Jonathan au Japon dans "Atsuko", par Cosey, éditions Le Lombard. (Crédit : Le Lombard)
Jonathan au Japon dans "Atsuko", par Cosey, éditions Le Lombard. (Crédit : Le Lombard)
On peut donc dire que les arts visuels asiatiques vous influencent beaucoup ?
Ah oui, on peut même dire qu’ils me comblent !
Le Festival d’Angoulême que vous présidez met le Japon à l’honneur. Les mangas constituent-ils une source d’inspiration pour vous, dont le style en semble très éloigné ?
En fait, on connaît mal les mangas japonais. On connaît essentiellement les grosses ventes mais il y a toute une école d’auteurs jeunes ou moins jeunes qui font des mangas qui se rapprochent davantage de nos BD, dans l’esprit « graphic novels ». Je les ai découverts au Japon, il y en a de plus en plus et ça m’intéresse. Les histoires de kung-fu, ça m’ennuie… Donc, je suis content qu’il y ait cette exposition japonaise à Angoulême, je vais faire croire que c’est moi qui ai eu l’idée !
L’Asie est-elle appelée à rester centrale dans votre œuvre dans les années qui viennent ?
Ah oui ! J’aimerais aller y vivre. Au Japon peut-être ou dans une petite ville du sud de l’Inde, au bord de l’océan.
Propos recueillis par Patrick de Jacquelot

A lire

Les seize aventures de Jonathan sont éditées au Lombard. Elles sont également regroupées en six Intégrales.

En fonction des pays auxquels on s’intéresse, on peut commencer par :
Tibet : Celui qui mène les fleuves à la mer, La saveur du Songrong (Lombard), Le Bouddha d’Azur (Dupuis)
Ladakh : Le berceau du Bodhisattva (Lombard)
Cachemire : L’espace bleu entre les nuages, Kate (Lombard)
Népal : Le privilège du serpent (Lombard)
Inde : Celle qui fut (Lombard)
Birmanie : Elle (Lombard)
Japon : Atsuko (Lombard)
Vietnam : Saigon-Hanoï (Dupuis)

Extrait de "Saïgon-Hanoï", par Cosey, éditions Dupuis. (Crédit : Dupuis)
Extrait de "Saïgon-Hanoï", par Cosey, éditions Dupuis. (Crédit : Dupuis)
L'auteur et dessinateur suisse Cosey dans son atelier. (Crédits : DR)
L'auteur et dessinateur suisse Cosey dans son atelier. (Crédits : DR)

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A propos de l'auteur
Patrick de Jacquelot est journaliste. De 2008 à l’été 2015, il a été correspondant à New Delhi des quotidiens économiques La Tribune (pendant deux ans) et Les Echos (pendant cinq ans), couvrant des sujets comme l’économie, le business, la stratégie des entreprises françaises en Inde, la vie politique et diplomatique, etc. Il a également réalisé de nombreux reportages en Inde et dans les pays voisins comme le Bangladesh, le Sri Lanka ou le Bhoutan pour ces deux quotidiens ainsi que pour le trimestriel Chine Plus. Pour Asialyst, il écrit sur l’Inde et sa région, et tient une chronique ​​"L'Asie dessinée" consacrée aux bandes dessinées parlant de l’Asie.