Elle attirait les inflammables
A une passeuse
Si le prénom en Chine est censé révélé un trait de caractère ou une qualité, chez Sylvie c’est le nom qui s’impose comme une évidence. Tous les correspondants de presse à Pékin qui ont eu la chance de la connaître vous diront la même chose. Avoir le bonheur de converser rien qu’une heure avec elle, c’était en apprendre plus sur les Chinois et la Chine que tous les livres réunis.
Talent, gentillesse et générosité, Sylvie Gentil avait ce don rare du partage. Sa carrière – elle n’aurait pas aimé ce mot -, disons plutôt sa vie de traductrice en témoigne. Voilà, l’une des voix qui a le mieux su transmettre la littérature chinoise aux lecteurs francophones, et introduire en France des œuvres de plusieurs figures de la nouvelle génération d’écrivains. Combien de jeunes Francais – et de moins jeunes – ont découvert le « rock-sans-roll » de la jeunesse chinoise avec les bonbons doux et amers de Mian Mian, best-seller dès sa sortie en 2001. Combien encore découvriront avec elle le truculent Mo Yan, couronné en 2012 du prix Nobel de littérature.
Xu Xing, Feng Tang, Cui Zi’en, Yan Lianke, Yang Jisheng… « Traduire un auteur, c’est passer un an et demi voire plus au cœur de son œuvre », explique Martin, son mari, qui se souvient d’un ouvrage de Mo Yan dans lequel « les communistes élevaient des enfants pour les dévorer ensuite ». Sylvie a préféré passer la main, raconte-t-il, car elle venait d’avoir sa fille Mathilde. Restituer le rythme et le souffle d’un écrivain, se mettre dans sa plume pour mieux le servir, c’est cela le métier de traducteur.
Et quand la littérature se mêle au destin, forcement la vie s’emballe. Une valse qui devient vite tourbillon dans ce pays continent : « A Pékin [dans les années 1980], la vie était devenue exaltante, la ville débordait d’enthousiasme », se souvient Brigitte Duzan dans le Monde. Dans le Pékin de l’après-Jeux Olympiques, les choses se compliquent. A l’image de nombreux Chinois, l’écrivain Yan Lianke est confronté aux démolisseurs. Sylvie prévient les journalistes : la maison de son ami écrivain, dans un bois de la périphérie de la capitale chinoises, est menacée par les pelleteuses. « Je n’ai jamais vu quelqu’un lire aussi vite, elle s’intéressait à tous les arts », confie aujourd’hui le metteur en scène Wei Xiaoping, copain depuis les années 80, qui a partagé avec elle sa passion pour Mo Yan, entre autres.
Une boulimie de lecture jusqu’au dernier souffle, qui vaut pour les auteurs français : « Elle lisait un livre par jour dans son lit d’hôpital », raconte Martin qui se souvient que pour traduire le dialecte d’une province chinoise dans l’un des ouvrages de Yan Lianke, elle s’était inspirée du patois poitevin. C’est d’ailleurs non loin de là, dans la baie de Royan, que seront dispersées ses cendres. Avant cela, celles et ceux qui l’ont connu se retrouveront ce vendredi 5 mai après-midi, dans un café près du cimetière du Père Lachaise à Paris.
Savoir transmettre : « Elle était très impliquée dans le travail des traducteurs en général, la transmission et le soutien aux jeunes traducteurs », souligne l’équipe de Faguownhua. De manière à poursuivre ce travail, Martin songe à un fond d’aide aux traducteurs. Savoir écouter : avec ses amis de toujours, comme avec ceux d’un jour, Sylvie apportait explications, conseils et parfois réconfort. Asialyst se souvient ainsi de son précieux soutien, lorsque le site a démarré. Foutue maladie ! La littérature chinoise a perdu une grande passeuse, nous avons perdu une amie.
La rédaction d’Asialyst
Recommandations
Pour nos lecteurs qui ne connaissent pas encore le travail de Sylvie Gentil, nous avons demandé à son amie Pascale Wei-Guinot de nous recommander cinq ouvrages qu’elle a traduit :
– Le clan du sorgho rouge, Mo Yan, Seuil, février 2016
– Le crabe à lunettes, Xu Xing, Julliard 1992
– Tout ce qui reste est pour toi, Xu Xing, L’Olivier, août 2003
– A la découverte du roman, Yan Lianke, Philippe Picquier, mars 2017
– Un chant céleste, Yan Lianke, Philippe Picquier, mars 2017.
Nous vous recommandons également le très complet et actualisé portrait de ce « pèlerin émérite des lettres chinoises » par Brigitte Duzan.
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