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Analyse

Covid-19 : la vaccination décolle en Asie mais les doutes augmentent sur les vaccins chinois

La proportion de personnes vaccinées reste encore en dessous de 10 % de la population aux Philippines, de même qu'en Inde, au Pakistan et en Indonésie. (Source : NPR)
La proportion de personnes vaccinées reste encore en dessous de 10 % de la population aux Philippines, de même qu'en Inde, au Pakistan et en Indonésie. (Source : NPR)
Du 1er juin au 15 juillet, le nombre de doses reçues par les populations asiatiques a dépassé 1,1 milliard, soit davantage que pendant les six premiers mois de l’année. L’Asie s’est mobilisée, avec trois mois de retard sur l’Occident. Elle a rattrapé la moyenne mondiale, qui est actuellement d’une dose distribuée pour deux habitants. Mais quatre problèmes demeurent : l’immunité collective est encore loin dans la quasi-totalité des pays asiatiques (sauf en Chine), la pandémie reste très active, la distribution de vaccins est inégale selon les pays et l’efficacité des vaccins chinois, majoritaires en Asie, suscite des doutes croissants.

L’immunité collective encore hors de portée, sauf en Chine

Le réveil de l’Asie sur les vaccins contre le Covid-19 est en train de changer la donne mondiale, mais nous sommes loin d’une maîtrise de la pandémie.
Les points de vue des épidémiologistes sur l’immunité collective ont été modifiés par la généralisation du variant Delta venu d’Inde. On estime aujourd’hui qu’il faudra dépasser 85 ou 90 % de taux de vaccination chez les adultes pour atteindre le seuil d’immunité. La population des plus de 20 ans en Asie est de l’ordre de 3,2 milliards d’habitants. Pour vacciner 90% de cette population adulte, il faudrait 5,8 milliards de doses, alors que nous en sommes à 2,2 milliards actuellement.
Il faut par ailleurs mettre à part la Chine, qui a déjà distribué 1,4 milliards de doses, soit une dose par habitant. Au rythme de distribution impressionnant des dernières semaines (500 millions de doses par mois), la Chine devrait atteindre l’immunité collective dès le mois de septembre. Singapour et la Mongolie pourraient également atteindre le seuil d’immunité collective à l’automne. Le reste de l’Asie est encore loin du compte.

La distribution des vaccins reste très inégale

Les pays développés d’Asie, qui avaient tardé à développer leurs programmes de vaccination, sont désormais beaucoup plus volontaristes. En Asie du Sud-Est et en Asie du Sud, la vaccination se développe aussi plus rapidement, avec quelques retardataires comme le Pakistan, le Vietnam, les Philippines ou l’Indonésie.
Tableau de la distribution des vaccins anti-Covid-19 dans différents pays d'Asie. (Source : Financial Times Vaccination Tracker)
Tableau de la distribution des vaccins anti-Covid-19 dans différents pays d'Asie. (Source : Financial Times Vaccination Tracker)
Le Vietnam illustre les retards des programmes de vaccination asiatiques. Le gouvernement de Hanoï a signé depuis le mois de juin des contrats pour un total de 170 millions de doses avec les principaux fournisseurs occidentaux et avec Covax. Ces contrats permettront à terme d’atteindre l’immunité collective dans le pays, mais la majorité des livraisons ne commencera pas avant l’automne ou la fin de l’année, si bien que le Vietnam s’est résigné à l’importation de vaccins chinois, plus rapidement disponibles.
Taïwan a pu bénéficier d’importations du Japon et des États-Unis en juin. Le gouvernement de Taipei a par ailleurs obtenu l’aide des géants de la tech taiwanaise (Foxconn et TSMC) pour contourner le contrat cadre signé par le gouvernement chinois avec Pfizer et signer un contrat privé portant sur dix millions de doses. La bataille pour les livraisons est globalement plus forte que jamais, et les vaccins chinois conservent une longueur d’avance.

La pandémie reste très active

Pendant que la vaccination progresse, la diffusion du variant Delta s’accélère. La proportion des nouveaux malades en Asie du Sud et du Sud-Est, contaminés par ce variant, se situe désormais entre 70 et 99 %. Face au variant Delta, une vaccination complète est nécessaire, alors que la proportion de la population entièrement vaccinée reste très faible en Asie (voir la dernière colonne du tableau). Elle ne se situe autour de 50 % que dans trois pays (Singapour, la Mongolie et la Chine). Elle dépasse à peine 20 % au Japon et reste en dessous de 10 % dans les pays les plus peuplés comme l’Inde, l’Indonésie, le Pakistan ou les Philippines.
Les contaminations connaissent une forte poussée en Indonésie, en Malaisie, au Bangladesh, en Thaïlande et en Corée du Sud. Ailleurs, les derniers pics de l’épidémie ont eu lieu en mai pour l’Inde, les Philippines ou le Japon, mais une recrudescence s’esquisse déjà dans l’archipel nippon. À l’origine du virus Delta, l’Inde connaît une amélioration très nette de sa situation, avec une division par dix des chiffres officiels depuis le sommet enregistré le 5 mai. Des signes de reprise de l’épidémie ont cependant été constatés dans quelques États indiens comme le Kerala, le Tamil Nadu et le Maharashtra. Les habitudes de rassemblements religieux et de déplacement reprennent, et les épidémiologistes prévoient déjà une troisième vague à l’automne, que le rythme actuel de vaccination ne pourra pas contenir.
En l’absence d’une immunité collective, les courbes de décès et de cas demeurent fortement corrélées partout en Asie. De nouvelles mesures de restriction ont été multipliées dans différents pays. La Malaisie a décrété une troisième période de confinement de deux semaines début juin, prolongée jusqu’à fin juin. Un strict couvre-feu est en vigueur à Bangkok. Singapour maintient jusqu’en août l’interdiction de dîner à plus de deux personnes dans les restaurants pour les non-vaccinés, et plus de cinq pour les vaccinés. L’Indonésie a pris depuis le 3 juillet des mesures de restrictions aux transports intérieurs et pratique des jauges réduites dans les commerces des grandes villes.

Les vaccins chinois suscitent des doutes croissants

Le dernier sérieux problème de l’Asie est la fiabilité des vaccins chinois qui constituent la grande majorité des vaccins distribués dans une partie de la région. Outre la Chine elle-même, l’Indonésie, les Philippines, la Mongolie, le Pakistan, pour partie la Thaïlande, la Malaisie, le Népal sont dépendants des vaccins Sinovac et Sinopharm pour la poursuite de leurs campagnes de vaccination.
L’ancien directeur adjoint du centre chinois de contrôle des épidémies, le docteur Feng Zijian, admettait le 24 juin dernier sur CCTV que les anticorps créés par les vaccins chinois étaient moins efficaces contre le variant Delta. Selon une étude de l’Université de Hong Kong publiée dans la revue scientifique The Lancet début juillet, les anticorps générés par le vaccin de Pfizer/BioNTech étaient dix fois supérieurs à ceux créés par le vaccin Sinovac.
Un autre signal d’alarme vient du décès d’un médecin en Thaïlande et de plusieurs dizaines de médecins en Indonésie qui avaient été vaccinés avec Sinovac. Les gouvernements d’Asie du Sud-Est ont déjà pris différentes mesures pour faire face aux doutes sur l’efficacité des vaccins chinois. En Indonésie les professionnels de santé recevront une dose du vaccin Moderna en complément de Sinovac. En Thaïlande, le mixage se fera avec AstraZénéca dont le pays est un producteur régional. En Malaisie, le gouvernement a annoncé qu’il cesserait d’administrer le vaccin Sinovac après utilisation des 15 millions de doses commandées, pour passer à Pfizer/BioNTech, tout en indiquant qu’il ne s’agissait pas d’un acte de défiance à l’égard de la Chine.
Manifestement, les vaccins chinois ont une efficacité limitée pour empêcher les contaminations provoquées par le variant Delta – de même, semble-t-il, qu’AstraZénéca si l’on en juge par la situation de la Grande-Bretagne. La question de savoir s’ils restent efficaces pour éviter les formes graves de la maladie reste ouverte. La Chine ne peut pas servir de cas d’école puisque le Covid-19 n’y circule que très faiblement.
Prenons deux pays où les vaccinations ont atteint un seuil élevé, et sont fondées sur les vaccins chinois : le Chili et la Mongolie. La mesure de l’efficacité d’une campagne vaccinale tient à l’évolution du rapport entre le nombre de cas et le nombre de décès, en prenant en compte un décalage de l’ordre de deux semaines.
Dans le cas de la Grande-Bretagne, le ratio cas/décès était de l’ordre de 50 en janvier dernier (8 janvier pour les cas et 23 janvier pour les décès). Ce ratio passe à 640 en juillet (2 juillet pour les cas et 17 juillet pour les décès), alors que 54 % de la population britannique est entièrement vaccinée.
Au Chili, le ratio cas/décès était de l’ordre de 56 en janvier, soit comparable à celui de la Grande-Bretagne. Il s’améliore un peu en avril, passant à 72, mais régresse en juillet pour retomber à 44. Au total, la campagne de vaccination chilienne – importante avec 62 % de la population vaccinée actuellement – ne semble avoir aucun impact notable sur la proportion de décès.
En Mongolie, le premier pic n’apparaît qu’en avril dernier. Le ratio cas/décès est relativement favorable à 170. Il monte à 275 en juillet. Une amélioration insuffisante pour démontrer le niveau de protection de Sinopharm, qui est le vaccin principalement diffusé dans le pays.
Les doutes sur l’efficacité des vaccins chinois peuvent, s’ils se confirment, remettre en cause une bonne partie du programme vaccinal de l’Asie, et plus généralement des pays en développement. Ce qui serait une très mauvaise nouvelle pour le monde entier. À ce stade, la doxa officielle est qu’ils sont moins efficaces dans la lutte contre le variant Delta, mais néanmoins utiles pour éviter les formes graves de la maladie.
Par Hubert Testard

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A propos de l'auteur
Hubert Testard est un spécialiste de l’Asie et des enjeux économiques internationaux. Il a été conseiller économique et financier pendant 20 ans dans les ambassades de France au Japon, en Chine, en Corée et à Singapour pour l’Asean. Il a également participé à l’élaboration des politiques européennes et en particulier de la politique commerciale, qu’il s’agisse de l’OMC ou des négociations avec les pays d’Asie. Il enseigne depuis huit ans au collège des affaires internationales de Sciences Po sur l’analyse prospective de l’Asie. Il est l’auteur d’un livre intitulé "Pandémie, le basculement du monde", paru en mars 2021 aux éditions de l’Aube, et il a contribué au numéro de décembre 2022 de la "Revue économique et financière" consacré aux conséquences économiques et financières de la guerre en Ukraine.