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Chine : Xi Jinping à couteaux tirés avec son principal allié, Wang Qishan ?

Wang Qishan et Xi Jinping, le 30 septembre 2014 à Pékin. (Source : Asia News)
Wang Qishan et Xi Jinping, le 30 septembre 2014 à Pékin. (Source : Asia News)
En mars dernier, Ren Zhiqiang (任志强), désormais ex-PDG du groupe immobilier Huayuan, était interpellé par les autorités suite à ses commentaires peu flatteurs sur Xi Jinping (un « clown », selon lui) et sa gestion de la pandémie. On pensait que Ren, un membre assez influent de la « deuxième génération rouge » (红二代) et un ami de longue date de Wang Qishan, bras droit de Xi, s’en sortirait relativement indemne. Or, le 22 septembre, à Pékin, Ren a été condamné à 18 ans de prison pour corruption. Le 2 octobre, à peine plus de 2 semaines après la chute de Ren, Dong Hong (董宏), un secrétaire particulier (mishu) et assistant de Wang depuis ses premières années au Guangdong, a lui aussi été mis en examen pour violations graves. Ces deux arrestations surviennent à quelques semaines du 5e plénum du 19e Congrès prévu du 26 au 29 octobre. Elles soulèvent des doutes sur la solidité de la relation entre le président et son vice-président ces derniers mois. Wang Qishan commencerait-il à être mis à l’écart ? Et surtout, voyant ses alliés se faire emporter, qui voudra encore être associé à Wang en pleines tensions dans les hautes instances du Parti ? Retour sur la chute de Ren Zhiqiang et de Dong Hong.

Des pertes importantes

*Wang n’est plus à l’avant-scène depuis la troisième semaine de septembre. Il a manqué plusieurs rencontres entre le 21 et le 27 sans explication officielle de son absence. Il faut se souvenir que le 4 septembre, le « mishu » de Wang, Bie Bixiong (别必雄) a été arrêté. Bie, qui est aussi un associé de Yu Zhensheng (俞正声), a servi Wang Xiaodong pendant près de trois ans. Il faut aussi rappeler que Wang Xiaodong a été le « mishu » de Liu Fangren (刘方仁) durant son passage au Guizhou. L’arrestation de Liu en 2004 pour corruption a laissé une tache sur le dossier de Wang Xiaodong. Malgré son association à Li Zhanshu (栗战书), il est ainsi probable que Wang – tout comme Zhou Xianwang – ne s’en sorte pas indemne et qu’il soit sur le point d’être « emporté ». **Pour l’instant, on ne sait pas où se trouve Jiang Chaoliang.
Avant d’aborder le cas sensationnel de Ren Zhiqiang, revenons à la fin du mois de février. Les tensions entre les autorités du Hubei et le gouvernement central sont alors au plus haut : Ma Guoqiang (马国强), secrétaire du Parti de Wuhan et proches des groupes shanghaïens, a déjà été démis de ses fonctions et Jiang Chaoliang (蒋超良) est sur la sellette. Ce dernier est alors pointé du doigt, au même titre que Wang Xiaodong (王晓东)*, le gouverneur de la province, et Zhou Xianwang (周先旺), le maire de Wuhan. Cela dit, considérant les balbutiements de janvier, la mauvaise gestion des premiers jours et malgré le fait qu’en grande partie le tout s’explique par l’inefficacité systématique liée à la structure fermée) du Parti-État, Jiang Chaoliang a été écarté, sans pour autant être puni (contrairement à d’autres dans le milieu de la santé). On parlait alors d’une perte importante pour Wang Qishan, eu égard à l’âge (63 ans) et au rang de Jiang. Ce dernier est alors remplacé par Ying Yong (应勇), l’un des membres de la bande du Zhejiang de Xi**.
Environ six jours après la mise à l’écart de Jiang par l’assemblée provinciale du Hubei, un des amis de Wang Qishan, Ren Zhiqiang, a été mis en détention avec son fils par la commission disciplinaire (jiwei) du district de Xicheng à Pékin. Pour certains, la relation étroite entre Wang Qishan et Ren Zhiqiang – et plus importante encore, celle entre le beau-père de Wang, Yao Yilin (姚依林), et le père de Ren, Ren Quansheng (任泉生) – lui permettra de n’être que suspendu, comme ce fut le cas en 2016. Cependant, l’affaire se poursuit et aboutit au tribunal qui condamne Ren à 18 ans derrière les barreaux.
*En réalité, certains des commentaires de Ren étaient probablement destinés à des amis ou des connaissances.
Tout sauf ordinaire, le cas sensible de Ren a certainement été géré par Cai Qi (蔡奇), secrétaire du Parti de Pékin, et par Wang Huning (王沪宁), dans la mesure où « l’affaire Ren » devait restée dans la plus grande discrétion. Comme ce fut le cas pour beaucoup des commentaires récents de Li Keqiang – commentaires qui sont souvent à l’opposé de ceux de Xi – il y a eu volonté de rendre public les commentaires de Ren afin de le faire punir*. Les critiques dirigées envers Xi – fort probablement rapportés par Wang Huning – ont une plus grande importance pour le pouvoir en place du fait qu’elles proviennent d’un « rouge » et du fait que Ren aurait aussi des liens avec Yu Zhengsheng, membre de la clique du Shaanxi de Xi (陕西帮), et Zhou Xiaochuan (周小川), l’ex-gouverneur de la banque centrale.

L’avertissement à la « deuxième génération de rouges »

Par la condamnation de Ren, Xi Jinping envoie un message au reste de la deuxième génération de rouges : vos fortunes et vos privilèges dépendent du Parti ; par conséquent, vous ne pouvez pas le critiquer, et encore moins ses dirigeants.
*On a voulu éviter les remarques trop évidentes de règlement de compte en traitant le cas directement au niveau district. De même, Zhao est embourbé dans « l’affaire des villas » de Qinling (Shaanxi), affaire liée en autre à Zhao Zhengyong (赵正永). **Il est bien connu que les développeurs bénéficient de traitements de faveur des gouvernements locaux, parfois au grand détriment des populations locales.
Afin de ne pas faire sensation, le cas de Ren a été directement traité dans le district pékinois de Xicheng, avec le soutien de Cai Qi et Wang Huning, et non par la commission centrale de discipline dirigée par Zhao Leji (赵乐际)*. En demeurant également à l’échelle locale, le cas de Ren a sans doute apaisé les reproches de la population contre le favoritisme – Ren fait partie de cette « classe » choyée par le Parti. D’autant que les membres de l’élite immobilière, Ren fait partie, ne sont pas très appréciés par la population de manière générale**.
Alors que la presse internationale s’est empressée de dépeindre Ren comme une victime du système et de la censure, il ne faut pas oublier que son groupe Huayuan a fleuri dans les années 1980 et 1990 et a obtenu des permis d’exploitation et de construction dans la capitale en grande partie grâce aux connexions de son PDG. Dans ce milieu, et plus particulièrement dans les grands centres urbains comme Pékin, il est quasiment impossible de se lancer dans ce secteur sans avoir de bons pistons. Cependant, sans ignorer les commentaires de Ren sur Xi, il serait risible de considérer les autres accusations contre lui comme de pures fantaisies.
L’une des différences entre le cas de Jiang et celui de Ren, c’est bien entendu le fait que Wang Qishan n’a pas « sauvé » le magnat de l’immobilier. Cependant, il faut aussi se demander si Wang était même en mesure de le sauver. Une chose est certaine : les deux hommes n’ont pas la même vision ni les mêmes objectifs en ce qui concerne le Parti. En plus, il faut se demander si le vice-président chinois – considérant son âge et bien sûr le fait que lui et sa famille étendue possèdent des intérêts liés au Parti – avait vraiment envie d’être considéré comme un soutien de Ren, et donc de partager avec lui la punition. Il faut aussi dire que pour un « rouge », se faire sauver publiquement est un signe de faiblesse, ce qui n’est pas acceptable. En ce sens, Wang n’aurait pas pu faire grand-chose pour « sauver » Ren. Cela dit, il est certain que la condamnation de Ren Zhiqiang a causé des frictions entre Xi et Wang, malgré le fait qu’ils se connaissent depuis une cinquantaine d’années.

La prise du « mishu »

La mise à l’écart de Ren a été suivie de la mise en examen de Dong Hong, l’un des « secrétaires particuliers » (mishu) les plus importants de Wang Qishan. Dong a commencé sa carrière en tant que « mishu » de Bo Yibo (薄一波), le père de Bo Xilai, alors que celui-ci était directeur adjoint de la Commission consultative centrale durant les années 1980. En 1992, Dong a été envoyé au Guangdong en tant qu’assistant du maire de Foshan, Zhong Guangchao (钟光超). En 1993, Dong fait un séjour au centre de recherche sur la Chine contemporaine de l’Académie chinoise des Sciences sociales. Cinq ans plus tard, il retourne au Guangdong en tant que directeur adjoint du centre de recherche sur le développement de la province. Et c’est à ce moment-là que Dong rencontre Wang Qishan.
*Dong avait d’ailleurs été très critique de ces compagnies en 2015. Il était accompagné, lors de la conférence de presse, d’un autre des « mishu » de Wang Qishan : soit Li Xiaohong (黎晓宏).
À partir de 1998, Dong ne lâchera plus Wang qui l’amènera avec lui au Bureau de la réforme du système économique du Conseil d’État, à Hainan, ainsi qu’à Pékin. Dong se « détachera » légèrement de Wang entre 2006 et 2013, années durant lesquelles il est directeur adjoint du Bureau central de recherche littéraire, supervisé par Leng Rong (冷溶). Dong rejoint ensuite la Commission disciplinaire sous la direction de son mentor Wang Qishan. Entre 2013 et 2017, il fait partie de plusieurs groupes d’inspections, dont celui qui a passé en revue la société Xinhua, l’Université Fudan, le groupe énergétique Shenhua, China Telecom et China Mobile, deux compagnies dans l’orbite du fils de Jiang Zemin, Jiang Mianheng 江绵恒*. Il a également accompagné Wang Qishan lors de ses rondes d’inspections au Shaanxi en 2015 ainsi qu’à Zhangjiakou (Hebei) en 2017.
*Par exemple les arrestations de Sun Lijun et de Gong Dao’an afin de continuer à encercler Meng Jianzhu.
Par conséquent, son arrestation n’augure rien de bon pour Wang Qishan. La mise en examen des mishu et des amis proches signale, dans la majorité des cas, la chute imminente du chef*. La Commission disciplinaire travaille souvent ainsi : elle encercle les figures importantes par le bas en arrêtant les « petites mains », les individus qui ont souvent le plus à dire et qui sont plus facilement influençables.
Que signifie donc cette perte pour Wang Qishan ? Vu les circonstances derrière la chute de Jiang Chaoliang et de Ren Zhiqiang, Wang n’y pouvait probablement rien, surtout qu’ils ont commis de réelles « erreurs ». Le cas de Dong Hong est cependant moins clair. « L’affaire Ren Zhiqiang » a-t-elle créé un froid entre le président et son vice-président si bien que Xi Jinping chercherait à « désarmer » Wang Qishan avant 2022 ? Difficile à dire. Néanmoins, il faut savoir que Wang et Ren ont entretenu à une époque une relation similaire à celle de Xi et de Wang durant la Révolution culturelle : Wang fut conseiller pour le groupe de lycée de Ren. Tous deux se sont ensuite croisés en 1969 à la commune de Fengzhuang. Ce faisant, Xi, qui associe Ren à Wang, a raison d’être gêné par cette situation.

Une position ébranlée ?

*Il ne faut pas oublier que Chen Feng (陈峰), le président du groupe HNA (Hainan Airlines), est un allié de Wang Qishan.
La perte de ces trois alliés ébranle nécessairement la position de Wang Qishan à l’intérieur du Parti, sans parler de la tache indélébile qu’a laissée l’affaire HNA sur son dossier*. Wang, qui ne fait plus partie du Politburo, est à présent plus vulnérable aux attaques des autres factions, mais aussi plus susceptible de se voir reproché ses erreurs. Contrairement à Xi, Wang ne possède pas de base factionnelle aussi étendue, ce qui potentiellement peut faire de lui une cible de choix durant les luttes menant au XXe Congrès.
*Huang est un ami de longue date de Wang Qishan et fait partie du groupe des « 4 gentlemen de la proposition de réformes » (改革四君子), un groupe ayant conseillé Yao Yilin et même Chen Yun au tout début des réformes dans le secteur agricole. **Zhou Liang est en fait le canari dans la mine : si ce dernier se fait « emporter » par les autorités, il faudra commencer à s’inquiéter pour Wang.
Pour l’instant, « l’ombre du roi », comme certains appellent Wang Qishan, conserve une position importante dans le système financier et bancaire, système qu’il a d’ailleurs repris par le biais d’alliés. Parmi eux, son ancien mishu Tian Huiyu (田惠宇), PDG de la China Merchants Bank, Tian Guoli (田国立), patron de la China Construction Bank, Liu Liange (刘连舸), qui dirige de la Banque de Chine, Huang Jiangnan (黄江南), PDG du groupe de gestion des avoirs Xuheng de Shanghai (SunTerra Capital)*, Ma Weihua (马蔚华), directeur exécutif de la China Finance Society, sans parler des autres gouverneurs et présidents de banques qui par extension doivent beaucoup à Wang. Le vice-président a également un mishu en provenance de la Commission disciplinaire en province : Lin Duo (林铎). Lin est secrétaire du Parti pour le Gansu. Par ailleurs, Wang peut compter sur Yang Xiaochao (杨晓超), secrétaire adjoint de la Commission disciplinaire, et sur un autre de ses mishu (et probablement l’un de ses alliés les plus précieux pour la période post-2022) : Zhou Liang (周亮). Secrétaire particulier de Wang durant son poste à Pékin, est à présent directeur adjoint de la Commission chinoise de la réglementation des banques et des assurances et l’une des « étoiles » de la 7e génération**.
Il n’en reste pas moins que certains, comme Wang Huning d’ailleurs, ont sûrement envie que Wang Qishan se retire afin de monopoliser l’oreille du Secrétaire général ou de prendre le poste de vice-président de la République populaire. Cela dit, tenter d’affaiblir Wang Qishan pourrait avoir des conséquences désastreuses pour le Parti. Faire tomber ses alliés du secteur disciplinaire mettrait à mal les efforts déployés par Wang pour nettoyer le système de l’influence des alliés de Jiang Zemin. Monter une offensive contre les figures-clés du système bancaire et financier serait mettre en péril l’équilibre fragile qui existe dans ces systèmes qui font déjà face à de fortes pressions. Bref, torpiller Wang Qishan aurait des conséquences directes et indirectes sévères pour la consolidation du pouvoir de Xi Jinping – qui passe par la Commission disciplinaire – ainsi que pour la gestion des leviers économiques nationaux. Sachant que le Parti traverse depuis plusieurs mois une période de crise, il serait bon d’éviter de faire des « erreurs subversives » (不能犯颠覆性错误) à cause de quelques mots.
Par Alex Payette

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.