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France-Chine : la coopération scientifique entre ombre et lumière

Le président français Emmanuel Macron lors d'un forum franco-chinois sur les applications de l'intelligence artificielle à SOHO 3Q à Pékin, le 9 janvier 2018. (Source : Reuters)
Le président français Emmanuel Macron lors d'un forum franco-chinois sur les applications de l'intelligence artificielle à SOHO 3Q à Pékin, le 9 janvier 2018. (Source : Reuters)
L’année 2018 a commencé sous les meilleurs auspices pour les intérêts français en Chine avec la visite d’Emmanuel Macron. Plusieurs séquences concernaient la coopération scientifique et technologique : débats sur l’intelligence artificielle conduits avec brio par Cédric Villani et surtout passage du président de la République sur le site d’assemblage du satellite franco-chinois CFOSAT, destiné à l’observation des océans. Mais il ne faut pas chercher beaucoup pour faire apparaître des zones d’ombre.
Avec le satellite CFOSAT, le satellite SVOM, qui détecte des sursauts gamma, est l’autre projet spatial franco-chinois d’envergure. Tous deux sont anciens : démarrage en mai 2007 pour le stellite CFOSAT, et en août 2014 pour le satellite SVOM après un accord signé en 2006 entre le CNES et l’agence spatiale chinoise. Il n’y a plus aucun projet d’envergure dans les tuyaux et il sera difficile de mettre en avant des projets nouveaux de cette ampleur pour une prochaine visite de haut niveau. Pour mémoire, rappelons que le laboratoire de haute sécurité biologique P4 de Wuhan est le fruit d’un accord ancien signé en 2004, et que le programme de recherche sur le métagénome du tube digestif humain, soutenu en 2006 par l’ANR et l’INRA, est terminé depuis longtemps ! On a là fait le tour de tous les grands projets bilatéraux. Plus rien depuis !
En matière de co-publications scientifiques avec la Chine, la France est installée durablement loin derrière les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Japon, l’Allemagne, l’Australie, et maintenant le Canada, et pratiquement à égalité avec Singapour. Le nombre de post-doctorants chinois dans nos laboratoires décline fortement, celui des doctorants est étale, dans un contexte de croissance des doctorants chinois partant à l’étranger. Les voies de la coopération bilatérale deviennent de plus en plus étroites et budgétairement contraintes alors que la demande de collaboration ne cesse de progresser.
L’absence de dialogue bilatéral depuis sept ans trahit une incapacité à définir une ligne de conduite de la part de la France pour négocier avec ses interlocuteurs chinois. Heureusement que la ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal et le nouveau PDG du CNRS, Antoine Petit, ainsi que quelques responsables de COMUE, ont fait partie de la délégation du président Macron, donnant ainsi l’illusion d’une coopération dynamique, car ces dernières années, les visites de responsables scientifiques français en Chine ont été plutôt rares.
Il faut pointer une utilisation questionnable des maigres moyens publics français en Chine. Ces moyens engagés sous forme de financements de postes ou de bourses dans des labos chinois, sur le budget du Quai d’Orsay, sont mécaniquement reconduits sans consultation ni évaluation. Notre coopération souffre certes de la faiblesse des budgets de l’ANR et des grands opérateurs de la recherche. Mais raison de plus pour que le Quai d’Orsay se cale sur des principes d’excellence scientifique et de cohérence avec nos intérêts ! Nous sommes des nains financiers en Chine face aux moyens mis sur la table par les Allemands (DFG), les Britanniques (RCUK), ou encore l’Union européenne. Mais plus grave encore est l’absence de vision stratégique de l’État français, qui se combine depuis des années à la perpétuation d’étonnants papillonnages et morcellements des actions.
Au cours des 14 dernières années, des millions d’argent public du ministère des Affaires étrangères ont été engloutis sans contrepartie pour donner du corps à l’arrangement de 2004 sur les maladies infectieuses. En 2018, on peut estimer à plus de 0,6 million d’euros le budget des 4 postes d’expatriés offerts à la Chine sans appel d’offre par le contribuable français, dont un installé dans le P4 de Wuhan. L’entière expertise de ce centre de confinement de haute sécurité a été fournie pro bono par la France sans contrepartie scientifique ou industrielle. Résultats : risque de prolifération, absence d’industriels français, désintérêt de notre communauté scientifique. Rien n’a été demandée à la Chine en retour !
En sciences sociales, le scénario est à peu près équivalent : le Quai d’Orsay finance deux postes d’expatriés au Centre Français sur la Chine (CFC), antenne du Centre français de Hong Kong installée à l’Université de Tsinghua. Outre qu’il est difficile de trouver trace de la production intellectuelle de ce centre, cette université ne fait pas figurer le CFC sur son site ! Dans un autre domaine, le ministère des Affaires étrangères vient de nommer, sans consultation ni appel à projets en direction des communautés concernées (fonds d’amorçage, incubateurs, SATT, INSERM Transfer…), un « expert innovation », qui va être parachuté dans un parc technologique chinois. Une illustration supplémentaire de la politique d’allocation de moyens qui ne répond ni à une demande chinoise, ni à un projet, ni à la mobilisation en vue de renforcer la valorisation de la recherche française !
Notons enfin que depuis presque 10 ans, les programmes de mobilité scientifique du Quai d’Orsay s’appuient sur les mêmes cahiers de charges, sans évaluation ni concertation avec la recherche française. Une situation anachronique quand on sait que les grands opérateurs français privilégient les projets intégrés et structurants.
Bien qu’elle ne soit pas un acteur de la recherche, notre ambassade est devenue de facto l’interlocuteur quasi exclusif des autorités chinoises, le juge et partie de la coopération bilatérale et parfois un concepteur de programmes (« Emergence », « Talents franco-chinois », par exemple) définis sans souci de cohérence. La Stratégie nationale de recherche, validée par le gouvernement français, et que les acteurs français sont censés décliner en tant qu’opérateurs publics, n’est pas reprise comme référence. Avec le temps, le risque n’est plus négligeable que certains programmes, décalés des intérêts français finissent par ne traduire que des priorités chinoises ! Dans ce contexte, le trouble de nos partenaires chinois est grand et ils sont tentés de contourner le dialogue institutionnel.
Bref, alors que la Chine a largement réussi son décollage scientifique, nous sommes en quelque sorte restés cloués au sol en train de regarder la fusée partir. Et avec elle s’envoler les opportunités fantastiques que ce décollage pourrait nous apporter. Nous avons contribué à aider la Chine à décoller, et le retour se fait ailleurs, avec d’autres pays qui eux-mêmes nous taillent des croupières dans l’impitoyable compétition internationale pour le savoir.
Pourtant les choses pourraient être améliorées, à budget constant. Mais cela passe au moins par un partage, sinon un cantonnement de la tutelle du Quai d’Orsay à une mission de médiation, d’analyse et d’incitation, là où la valeur ajoutée des postes est la plus grande tout en répondant à un besoin criant. Car c’est chez les acteurs de cette coopération, organismes de recherche, universités, grandes écoles, que se trouvent les compétences scientifiques et les moyens humains. Quant à la stratégie, elle relève de la responsabilité du ministère en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche. Le rôle de notre diplomatie dans ces conditions devrait simplement être de vérifier que tout cela est en phase avec les orientations générales de la politique étrangère de la France, et ne pas se substituer aux opérateurs français. Tous les pays fonctionnent ainsi, sauf nous.
Des outils existent qui pourraient améliorer l’efficacité de la coopération scientifique franco-chinoise. La réflexion du CNRS est peut-être là plus avancée que chez d’autres acteurs. Par exemple, le concept d’unité mixte internationale (UMI), créé et mis en œuvre dans quelques pays pourrait être systématiquement décliné en Chine comme l’ossature de notre coopération. Côté français, les UMI peuvent accueillir tout partenaire, même des entreprises. Mais encore faudrait-il que le ministère des Affaires étrangères soutienne cet instrument de coopération. Par ailleurs, la coopération scientifique devrait bien sûr systématiquement s’appuyer sur les grands regroupements créés depuis la loi de 2013 ainsi que les IDEX des investissements d’avenir et les universités de la CURIF (Conférence des universités de recherche intensive françaises).
Le ministère des Affaires étrangères devrait sans état d’âme mettre en avant ces structures auprès des partenaires étrangers. Ce devrait être le principe directeur de la coopération avec la Chine et d’autres pays. Il est par exemple curieux de noter qu’un établissement membre de Paris Sciences et lettres (PSL) ait signé en son nom propre, pendant la récente visite présidentielle en Chine, une coopération avec un établissement chinois. C’était une occasion en or pour inaugurer la visibilité de la nouvelle organisation académique française et mettre en avant Paris Sciences et Lettres (PSL) qui devrait être un futur champion français ! On organise ainsi la confusion car bien entendu dans le même temps on se démène pour expliquer à nos amis chinois que c’est avec ces COMUE et ces regroupements qu’il faut désormais travailler, alors que nous-mêmes nous ne les mettons pas en avant.
Une stratégie nationale de recherche a été élaborée et validée par le gouvernement français. Pourquoi ne pas en faire aussi la référence pour notre action internationale ? Epargnons-nous la réinvention de la roue à chaque visite officielle, ne créons plus des programmes coupés de cette stratégie nationale ! Il n’est pas étonnant que les opérateurs nationaux de la recherche, exclus de facto de tout dialogue soient un peu las de ce grand écart permanent. Nos partenaires chinois ne comprennent pas. L’effritement de notre position scientifique en Chine en est la conséquence inévitable.
La possible tenue au printemps 2018 de la commission mixte franco-chinoise pour la science et la technologie pourrait être une excellente opportunité. Ce sera première réunion depuis 7 ans ! Voilà une occasion à saisir pour affirmer une nouvelle organisation, de nouveaux objectifs, et rééquilibrer une coopération qui doit profiter aux deux parties pour être pérenne.

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A propos de l'auteur
Ancien professeur d’Économie à l’Université de Toulouse 1 qu’il a présidée de 1998 à 2003, Bernard Belloc en est aujourd'hui président honoraire. Président de la CPU (Conférence des présidents d'universités) en 2001 et 2002, il a ensuite été conseiller pour la science et la technologie près l’Ambassade de France en Chine de 2005 à 2007, puis conseiller du président Nicolas Sarkozy pour l’enseignement supérieur et la recherche de 2007 à 2012. Membre du conseil d’administration de Toulouse School of Economics, il est consultant de diverses institutions françaises et chinoises dans le domaine de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.