Société
Reportage

Aux Philippines, la prison hors les murs

Entrée de la prison d'Iwahig aux Philippines.
Entrée de la prison d'Iwahig aux Philippines. (Copyright : Marianne Dardard)
Face à la surpopulation carcérale, problème n°1 des prisons aux Philippines comme dans de nombreux autres pays, l’archipel a mis en place depuis plusieurs années diverses expérimentations étonnantes et originales de réinsertion avec des résultats intéressants, à défaut d’être toujours probants. Reportage dans les geôles philippines les plus célèbres, des établissements co-gérés par les gangs aux fermes pénitentiaires hors les murs, dont certaines accessibles aux touristes !

CONTEXTE

Aux Philippines, on peut distinguer trois grands types de prison. D’abord les établissements provinciaux placés sous l’autorité du Bureau of Jail Management of Penalogy (BJMP), émanation de la police, ou du gouverneur (en anglais, on parle de « jail » par contraste avec le reste des « prisons »). Puis les structures co-gérées par les détenus, et enfin les fermes pénitentiaires. Ces deux dernières catégories dépendent du Bureau of Corrections (BuCor).

L’ensemble de ces prisons sont touchées par la surpopulation, problème numéro un des prisons aux Philippines, dans des proportions variables mais toujours très élevées : jusqu’à 400% de taux de congestion en moyenne dans les prisons provinciales, soit trois fois plus de prisonniers que la capacité d’accueil, selon les dernières données publiées en septembre par le BJMP.

Trois sites sont accessibles au public dans l’archipel : la ferme pénitentiaire d’Iwahig à Palawan, celle de Sablayan à Mindoro et l’établissement provincial de Cebu. Selon le niveau de sécurisation dont ils font l’objet, les détenus portent des tee-shirts de couleur différente avec la mention « minimum » ou « medium ». Ceux des quartiers de haute sécurité sont tenus à l’écart des touristes. Mais les autres détenus croisent parfois plus souvent des étrangers que leur propre famille. Chacune de ces prisons dispose de sa propre boutique à souvenirs, à New Bilibid aussi, la grande prison implantée non loin de la capitale, Manille. Les produits fabriqués par les détenus, dont les bateaux en bouteilles, sont également disponibles dans la chaîne de magasins dédiés à l’artisanat, Kultura.
La mosquée du quartier de haute sécurité de Sablayan où sont confinés les détenus les plus dangereux.
La mosquée du quartier de haute sécurité de Sablayan où sont confinés les détenus les plus dangereux. (Copyright : Marianne Dardard)

New Bilibid : une prison co-gérée par les détenus

Situé à une trentaine de kilomètres au sud de la capitale, New Bilibid (« prison » en français) est réputé abriter les plus grands criminels du pays, avec la population carcérale la plus importante des Philippines : 26 000 détenus sur 360 hectares, dont 5 000 personnes confinées dans le quartier de haute sécurité. Ailleurs, les détenus sont autorisés à importer des matériaux de construction pour améliorer le confort rudimentaire de leur cellule collective, à travailler dans l’usine de papeterie appartenant à un Sud-Coréen, ou à monter leur propre stand de vente. Dans les dortoirs, les prisonniers ont même construit des étages intermédiaires et les couloirs accueillent à même le sol ceux qui n’ont pas d’autres endroits où dormir. Officiellement le commerce d’alcool et de téléphones portables est interdit, mais il est possible de se procurer un appareil basique pour 2 000 pesos minimum, soit presque 40 euros.
Faute de moyens, les dirigeants de la prison ont fait un pari à risque il y a plusieurs années : celui de la co-gestion avec les gangs, que l’on retrouve dans chaque prison aux Philippines. Le plus célèbre : Sigue Sigue Sputnik, reconnaissable à son tatouage. Pour intégrer le gang, gage de protection mais aussi d’une certaine fraternité au sein de la prison, les entrants doivent en général accomplir les tâches les plus ingrates pendant une période déterminée, comme récurer des toilettes souvent utilisées par plus d’une centaine de personnes au quotidien. Ils peuvent ensuite prétendre à un « kubol », un espace plus grand pour dormir sans être entassé. Si le visiteur est accueilli avec le sourire par les détenus, il suffit parfois d’une étincelle pour déclencher une émeute, proximité forcée oblige. A New Bilibid, le dernier accident mortel remonte tout juste à fin octobre : un prisonnier a été abattu dans un dortoir par un co-détenu.
Mais l’affaire qui a fait le plus de bruit est celle, l’an dernier, des cellules des seigneurs de la drogue réaménagées en confortables locaux dignes d’un hôtel de passe étoilé, dotés d’air climatisé, d’une salle de sport secrète, et mêmes de barres de strip-tease pour des prostituées entrées avec la complicité de certains gardiens. La découverte a été faite lors d’une descente surprise de la part de la police à New Bilibid. Au moment des faits, une vidéo est devenue virale : celle d’un clip tourné par l’un des détenus, dans laquelle on voit cet ex-braqueur pousser la chansonnette, précisément dans la prison, transformée en studio. Depuis quelques mois, sa balade à l’eau de rose était même disponible sur iTunes.
A voir, le clip enregistré dans l’enceinte de la prison :
Pour réduire la surpopulation, une prison encore plus grande de 500 hectares est aujourd’hui en projet à quatre heures de route de Muntilupa.

Cebu et ses prisonniers danseurs

Avec plus de 45 millions de vues sur Youtube sur la chorégraphie de Thriller en 2009, les quelque 1 500 détenus de la prison du Cebu Provincial Detention and Rehabilitation Center, dans le centre des Philippines, sont les plus célèbres de l’archipel. Amoureux de la pop des années 80, c’est le directeur de la prison lui-même alors en poste, Byron Garcia, qui a pris cette initiative pour égayer ce qui n’était qu’un simple cours de gym au départ.
Depuis, quelle que soit la météo, on a pu voir les prisonniers de Cebu se trémousser en rythme dans la cour centrale subitement transformée en dancefloor sur les tubes « Gangnam Style » de Psy ou « Happy » de Pharell Williams. Inquiète de voir la danse prendre le pas sur les autres programmes de réhabilitation et recevoir plus de dons, la gouverneure de Cebu, sœur du directeur de la prison Byron Garcia, a envisagé un temps de supprimer les représentations publiques. Mais la moitié des détenus a protesté et les représentations ont repris.
A l’occasion de la visite du pape François en début d’année, les détenus ont remis ça, dans un registre plus solennel, avec une reprise de l’hymne officiel créé pour l’occasion, « We Are All God’s Children » (« Nous sommes tous les enfants de Dieu » en français). Le phénomène des prisonniers de Cebu a même donné lieu à une websérie musicale inspirée (très) librement de Glee.
A voir, la vidéo des prisonniers danseurs de Cebu :

La ferme pénitentiaire d’Iwahig, deux fois plus grande que Paris

Entrée de la prison d'Iwahig aux Philippines.

Entrée de la prison d'Iwahig aux Philippines. (Copyright : Marianne Dardard)

Les touristes sont accueillis par une danse des détenus. (Copyright : Marianne Dardard)

T-shirt de détenu en vente à la boutique de souvenirs de la prison. (Copyright : Marianne Dardard)

Maison du quartier "Libertad", où les détenus en fin de peine peuvent emménager avec leur famille. (Copyright : Marianne Dardard)

A la prison d'Iwahig, la montagne est la barrière naturelle. (Copyright : Marianne Dardard)

 
  
Une série photo sur la prison d’Iwahig aux Philippines, par Marianne Dardard.
Dans l’ouest de l’archipel, sur l’île touristique de Palawan, c’est la deuxième plus ancienne ferme pénitentiaire et la plus grande prison sans mur du pays : 26 000 hectares, soit plus de deux fois Paris. Cernés par la jungle et la montagne, nul mur ne sépare les 3 000 prisonniers du monde extérieur. Pour autant, leurs condition de vie sont loin d’être idylliques. Pour quelques pesos, les détenus en fin de peine sont autorisés à travailler dans les rizières alentours. A l’origine, certains ont été condamnés à perpétuité. Les touristes venus à moto admirer le paysage les croisent machettes à la main, occupés à extraire les mauvaises herbes ou à cultiver le potager bio.
En cas de bonne conduite, les prisonniers sont autorisés à quitter leur cellule et à emménager de l’autre côté, dans le quartier « Libertad » (« Liberté » en français), où vivent les gardiens et le reste du personnel pénitentiaire. A Iwahig, on compte près de 150 gardes pour 3 000 détenus.
Créée par les Américains en 1904, la prison était réservée aux opposants politiques et les bagnards devaient travailler enchaînés. D’après la direction du pénitencier, moins de 10% des détenus récidivent à leur libération. Une fois libérés, certains demandent même à rester sur place, comme le révèle ce passionnant documentaire d’Arte.
A voir, le documentaire d’Arte sur Iwahig :

Près de Tacloban, une prison reconstruite par ses propres détenus

La prison de Palo, endommagée par le typhon Haiyan, puis reconstruite par ses détenus.
La prison de Palo, endommagée par le typhon Haiyan, puis reconstruite par ses détenus. (Copyright : Marianne Dardard)
Sur l’île de Leyte, la prison provinciale de Palo surplombe les hauteurs près de Tacloban, la ville qui a payé le plus lourd tribu lors du passage du super typhon Haiyan, le désastre naturel le plus meurtrier de l’histoire de l’archipel (entre 7 000 et 8 000 morts). Après s’être enfui, plusieurs détenus sont ensuite revenus pour aider à la reconstruction de la prison, fortement endommagée. L’établissement a même servi un temps de refuge aux familles des détenus, venues habiter juste à côté.

Par Marianne Dardard, à Manille

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A propos de l'auteur
Marianne Dardard est correspondante à Manille pour La Croix, TV5 Monde et RFI. Hormis traquer les typhons, elle tente de comprendre l’exception philippine, avec de l’enthousiasme pour le fait interreligieux et les dernières plages secrètes de l’archipel.