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Jokowi à l’épreuve du "problème papou"

Photographie de manifestants papous.
Manifestants papous à Jakarta le 11 décembre 2011, lors d’un rassemblement pour le 50ème anniversaire de la revendication indépendantiste de la région de Nouvelle-Guinée occidentale dans l’Est indonésien. Les manifestations portent sur le corps le drapeau de “l’Etoile du matin” hissé sur le parlement papou le 1er décembre 1961. Les autorités indonésiennes permettent que ce drapeau soit hissé si à ses côtés, le drapeau de l’Indonésie est hissé au-dessus de lui. (Crédit : BAY ISMOYO / AFP )
A l’origine, le nom Papou désignait les populations des îles voisines de la Nouvelle-Guinée et des régions côtières de cette dernière. Des cartes portugaises du XVIe siècle montrent une île à l’est des Moluques nommée « Papoia ». Ce n’est que dans les années 1930 que les Européens « découvrent » que les hautes terres de l’intérieur de l’île sont habitées.

Le 4 juin dernier, le président indonésien Joko Widodo annonce qu’il « décide d’arrêter le programme de transmigration vers Papua ». La transmigrasi en Indonésie, est un programme de migration volontaire d’individus des îles densément peuplées de Java, Madura et Bali vers des régions de faible densité de population, essentiellement à Sumatra, Kalimantan (la partie indonésienne de Bornéo), Sulawesi (Célèbes) et la Nouvelle-Guinée occidentale. Ce programme a commencé en 1905, à l’époque coloniale.

La poursuite ou non de la transmigrasi en Nouvelle-Guinée occidentale est aujourd’hui un problème. En effet, dans les années 1940, les Papous représentaient 99% de la population du territoire. Aujourd’hui, ils seraient moins de la moitié.

De « Irian Jaya » à « Papua »

« Papua » est le nouveau nom donné en 2000 à la Nouvelle-Guinée occidentale, qui s’appelait auparavant « Irian Jaya ». « Irian » est le nom qu’utilise Soekarno pour désigner le territoire dans un discours prononcé le 1er juin 1945, alors que l’Indonésie est encore sous occupation japonaise. Ce mot signifie “brumeux” en langue biak, et décrit l’aspect de la Nouvelle-Guinée vue de l’île voisine de Biak. On attribue la création de ce nom à Frans Kaisiepo (1921-1979), un partisan de l’intégration de la Nouvelle-Guinée occidentale à l’Indonésie à l’époque où les Pays-Bas n’avaient pas encore reconnu la souveraineté de ce qu’ils considéraient toujours comme leur colonie.
Ce territoire de 420 540 km² – soit plus des ¾ de l’Hexagone – et de quelque 4,4 millions d’habitants, est le théâtre d’un mouvement indépendantiste : l’Organisasi Papua Merdeka (ou « organisation pour une Papouasie libre »). L’ OPM a été créée en 1965 pour lutter contre l’intégration de la Nouvelle-Guinée occidentale à l’Indonésie.
Il n’est pas exagéré de dire que le succès de la présidence de Jokowi dépendra de la manière dont il règlera le « problème papou ».
Inaugurée en octobre 2014, cette présidence a pourtant très mal commencé avec la mort début décembre de cinq lycéens lors d’affrontements entre des soldats et des habitants de la ville d’Enarotali, dans les hautes terres de la province de Papua.

Un « problème papou » ?

Le « problème papou » tire son origine du transfert en 1949 par les Pays-Bas de la souveraineté du territoire des ex-Indes néerlandaises à l’Indonésie, qui avait proclamé son indépendance en 1945. A l’époque, ce transfert excluait la Nouvelle-Guinée occidentale ; les deux parties étant convenues que cette dernière ferait l’objet de discussions l’année suivante.
Dans les faits, il n’en est rien car les Néerlandais considèrent que ce territoire est « politiquement et culturellement distinct ». Ils vont ainsi le mettre sur un chemin qui « mène à l’établissement d’un Etat mélanésien séparé, souverain ».
Ils promettent ainsi l’indépendance aux Papous et créent des institutions dirigées par des Papous, dont un parlement en 1961 : le Conseil de la Nouvelle-Guinée occidentale. C’est ce parlement qui hisse le 1er décembre 1961 un nouveau drapeau : l’ « Etoile du matin ». De nombreux Papous interprètent cet événement comme une déclaration d’indépendance alors qu’en réalité, le territoire est toujours sous souveraineté néerlandaise.
De son côté, l’Indonésie porte la question de la Nouvelle-Guinée occidentale devant les Nations Unies en 1954, déclarant que le territoire lui appartient et doit être débarrassé de la domination coloniale néerlandaise. Les Pays-Bas répliquent que les Papous ne sont pas indonésiens et qu’ils doivent décider par eux-mêmes de leur avenir. En réaction, l’Indonésie décide de créer une « province d’Irian Barat » avec comme capitale Soasiu, dans l’île de Tidore. Cette dernière sera administrée par un gouverneur : le sultan Zainal Abidin Sjah de Tidore.
Cette province est évidemment une fiction, puisque l’Indonésie n’en contrôle que la portion de Tidore. Pourtant, avec cette construction, le pays marque de façon symbolique la continuité avec la souveraineté historique de Tidore sur la Nouvelle-Guinée occidentale. En 1660 en effet, la Vereenigde Oostindische Compagnie ou « Compagnie unie des Indes orientales » avait reconnu la suzeraineté du sultan de Tidore sur les Papous. Tidore réaffirme par la suite son statut de vassal des Hollandais au début des années 1870, ce qui implique que la Nouvelle-Guinée occidentale fait partie des Indes néerlandaises.
Bien que la question soit régulièrement débattue à l’Assemblée générale de l’ONU jusqu’en 1961, aucune résolution n’est adoptée. Le président Soekarno décide d’agir sans son aval et décrète une mobilisation pour la « libération de l’Irian ». Il met en place un dispositif militaire de quelque deux cents cinquante navires et près de cent mille soldats et volontaires civils. Cette situation inquiète les Américains, qui voient d’un mauvais œil les sympathies de gauche de Soekarno et qui souhaitent surtout garder un équilibre des forces avec l’URSS. D’un autre côté, les Britanniques, soucieux de conserver de bonnes relations avec les pays d’Asie du Sud-Est, craignent d’apparaître comme soutenant une cause colonialiste et restent neutres. Les Néerlandais sans soutien chez leurs alliés de l’OTAN doivent finalement céder.
En 1962, à l’initiative des Nations Unies, des discussions sont entamées entre Néerlandais et Indonésiens, avec comme médiateur l’ambassadeur des Etats-Unis auprès des de l‘ONU. Un accord préliminaire est finalement signé à New York le 15 août 1962. Il prévoit le transfert de l’administration du territoire des Pays-Bas aux Nations Unies le 1er octobre 1962 et à l’Indonésie le 1er mai 1963. Il prévoit également que l’Indonésie donnera à la population du territoire la possibilité de choisir librement entre son maintien au sein de l’Indonésie ou la séparation, sous la forme d’un plébiscite qui se tiendrait au plus tard en 1969.
Cet « Act of Free Choice » se tient en 1969, lors duquel 1 026 membres de conseils désignés par le gouvernement indonésien et censés représenter la population du territoire votent à l’unanimité pour le maintien dans l’Indonésie. Par la résolution 2504 du 19 novembre 1969, l’assemblée générale des Nations Unies entérine les résultats de la consultation, la considérant conforme à l’accord de 1962 : la Nouvelle-Guinée occidentale devient donc indonésienne au regard du droit international.

L’épineuse question des gisements de l’Ertsberg et du Grasberg

Quelques années plus tard, en 1967, la compagnie minière américaine Freeport Sulphur signe un contrat minier avec le régime de Soeharto. Elle entreprend des forages en Nouvelle-Guinée occidentale qui confirment l’existence d’un gisement de cuivre, l’Ertsberg, dont un géologue néerlandais de Shell, Jean-Jacques Dozy (1908-2004), avait soupçonné l’existence lors de son exploration du centre du territoire en 1936. Le site était alors inaccessible. La Seconde Guerre mondiale avait plongé le rapport de Dozy dans l’oubli. En 1959, un géologue de Freeport avait entendu parler de ce rapport et la compagnie l’avait envoyé en Nouvelle-Guinée occidentale l’année suivante.
En 1988, Freeport découvre l’énorme gisement du Grasberg, dont les réserves sont estimées comme les troisièmes les plus importantes au monde pour le cuivre et les deuxièmes pour l’or. Les revenus colossaux de l’exploitation de cette mine sont partagés entre le gouvernement central et la compagnie américaine. La population locale n’en bénéficie guère ; Freeport faisant par ailleurs essentiellement appel à du personnel non autochtone. Tous les mouvements de protestation sont réprimés, qu’ils soient en faveur de la défense des populations locales ou de l’environnement durement touché par l’exploitation de cette mine géante.
L’armée et la police indonésiennes sont ainsi responsables de violences et de tueries à grande échelle en Nouvelle-Guinée occidentale, comme notamment le massacre par bombardement aérien de milliers de civils dans le kabupaten (département) de Jayawijaya en 1977 ; l’utilisation de napalm et d’armes chimiques contre des villageois en 1981 et le meurtre de trente deux personnes à Wamena en octobre 2000. Les autorités indonésiennes sont également responsables de nombreux actes de torture et meurtres extrajudiciaires : assassinats de détenus, de personnalités politiques et culturelles, de chefs de village et de civils en général, y compris de femmes et d’enfants.
Une des conséquences de ces violences continues en Papua est l’émergence du sentiment chez les Papous d’être traités différemment des autres citoyens et de ne pas appartenir à la population indonésienne.
Pourtant, des années 1930 aux années 1950, de nombreux Papous avaient été présents dans le mouvement national indonésien. En 1945, un bataillon papou s’était rebellé contre les Néerlandais. Silas Papare, le dirigeant de la rébellion, avait fondé le Partij Kemerdekaan Irian Indonesia (« parti pour l’indépendance d’un Irian indonésien »). Frans Kaisiepo, qui représentait la Nouvelle-Guinée occidentale à une conférence organisée par les Néerlandais en 1946, considérait d’ailleurs que ce territoire faisait partie du « Grand Est » indonésien, avec Célèbes, les Moluques et les Petites îles de la Sonde ; soit l’ensemble des îles qui va de Bali à Timor.
Les situations de domination peuvent mener à l’émergence d’une identité commune. Le mouvement national indonésien des années 1920, né du sentiment d’un sort commun sous la colonisation néerlandaise, en est l’illustration. Bien qu’on parle plus de deux cent cinquante langues en Nouvelle-Guinée occidentale, les violences de l’Etat indonésien se sont traduites par le fait qu’ « une identité « papoue » a émergé qui distingue les diverses tribus d’Irian Jaya des autres groupes ethniques en Indonésie ».
Le défi pour Jokowi sera de convaincre les Papous de rester au sein de la République d’Indonésie.

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A propos de l'auteur
Anda Djoehana Wiradikarta est enseignant et chercheur en management interculturel au sein de l’équipe « Gestion et Société ». Depuis 2003, son terrain de recherche est l’Indonésie. Ingénieur de formation, il a auparavant travaillé 23 ans en entreprise, dont 6 ans expatrié par le groupe pétrolier français Total et 5 ans dans le groupe indonésien Medco.
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