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Chine : l'étrange "victoire sur la pauvreté" annoncée par Xi Jinping

Le président chinois Xi Jinping. (Source : Plataforma)
Le président chinois Xi Jinping. (Source : Plataforma)
Le centenaire du Parti communiste chinois sera l’un des rendez-vous politiques majeurs de 2021 pour Pékin en juillet prochain. Pour le blason du PCC et pour son pouvoir personnel, Xi Jinping a besoin de marquer le coup. Le mois dernier, le numéro un chinois proclamait ainsi la « victoire sur la pauvreté absolue », un des engagements fondamentaux du Parti fondé à Shanghai dans le plus grand secret au plus fort de l’été 1921. Or cette « éradication de la pauvreté » ne semble pas résister aux données officielles du gouvernement lui-même.
*Sur 66 au départ, sauf erreur. **Un peu avant, le Tibet, Chongqing, le Heilongjiang et le Shaanxi avaient aussi affirmé s’être « débarrassés » de la pauvreté. ***全国832个贫困县. Liste qui date de 2014. La majorité des zones pauvres se trouvaient alors au Tibet. ****Shen était co-rédacteur en chef de l’antenne du Zhejiang de Xinhua entre 2001 et 2004, co-directeur de l’antenne de Shanghai de l’agence entre 2004 et 2008. Shen connaît Xi. Alors en poste à Shanghai, il lui rapportait des nouvelles de l’économie internationale. Shen est pas la suite devenu l’un des rapporteurs de Xi sur les affaires du Parti et l’une de ses plumes favorites.
Entre le 16 et le 21 novembre, le Ningxia, le Sichuan, le Guangxi et le Gansu avaient annoncé que les districts (xian) pauvres avaient réussi à être extirpés de leur pauvreté. Le 23 novembre, le Guizhou annonçait que les 9 derniers comtés (extrêmement pauvres*) ont été ôtés des sites de pauvreté absolue**. le 3 décembre, Xi Jinping emboîtait le pas en soulignant que les « 832 districts les plus gravement touchés par la pauvreté »*** étaient à présent sortis d’affaire et donc, que l’objectif national d’éradication de la pauvreté avait été atteint. Le numéro un chinois fut en premier lieu félicité par son « rapporteur impérial »****, Shen Haixiong (慎海雄), le 1er janvier lors d’une intervention sur CCTV. Shen parla de la victoire de Xi sur le coronavirus, mais aborda aussi la thématique de la pauvreté. Selon lui, « nous avons été témoins d’un miracle dans l’histoire de l’humanité ».

Ombre au tableau

*Ainsi des nouveaux foyers infectieux à Shenyang, Dalian, Shijiazhuang, ainsi qu’en plusieurs endroits au Heilongjiang.
Pourtant, il faut bien se souvenir qu’à la fin 2019, le groupe dirigeant du Conseil d’État pour la réduction de la pauvreté et le développement nous parlait encore de 52 districts toujours en état de pauvreté absolue. Et soudain, un an plus tard, on nous apprend que la situation est réglée. Vraiment ? Et la pandémie qui a paralysé l’économie chinoise pendant plusieurs semaines au début 2020 – et qui menace de paralyser à nouveau certaines régions* ? Et les graves inondations de mai à août 2020 qui ont détruit une partie importante des récoltes dans le centre de la Chine ? Et les multiples invasions de sauterelles vers la fin du mois d’août dans le sud du pays ? Et la sécheresse dans le Nord-Est ? Tout cela jette une ombre sur le discours du 3 décembre prononcé par Xi Jinping sur « l’élimination de la pauvreté absolue » ainsi que la « pauvreté régionale ».
*Car, outre la lutte anti-corruption et quelques roches lunaires, le problème de Xi demeure l’absence de « victoires » tangibles lui permettant de consolider son héritage politique.
À l’évidence, cette déclaration vient corroborer la mise en place d’une « société de moyenne aisance » (小康社会). Elle survient quelques jours seulement après que Li Keqiang, durant un symposium, a demandé aux représentants provinciaux de « dire la vérité » sur leur propre situation économique locale. En ce sens, le discours de Xi se veut une réponse directe au Conseil d’État : on ne doit plus parler de « pauvreté », mais bien de « société de moyenne aisance ». Car cette réalisation politique est d’une importante capitale à la fois pour Xi, pressé d’associer son nom à des réalisations*, mais aussi pour le Parti qui doit célébrer son centenaire le 1er juillet 2021. Pour le PCC, la question de la pauvreté remonte à ses principes fondateurs, à ses responsabilités majeures vis-à-vis de la population chinoise.
Cette victoire sur la pauvreté n’a pas été proclamée, on l’a vu, par le groupe dirigeant spécialement dédié au Conseil d’État. Ce dernier a même évité de le faire. Xia Gengsheng (夏更生), directeur adjoint du bureau de ce groupe, avait d’ailleurs dit le 25 novembre que la victoire sur la pauvreté absolue serait annoncée par le gouvernement central – et non par le Conseil d’État de Li Keqiang ni même par Hu Chunhua, le directeur de ce groupe. Xia avait aussi déclaré, et ce point sera sûrement un enjeu politique majeur au cours des prochains mois, que les provinces ayant confirmé l’élimination de la pauvreté absolue devraient accepter des contrôles et des vérifications aléatoires de la part du groupe ad hoc du Conseil d’État. Bien entendu, les inspections visent à vérifier, à valider les rapports provinciaux et à les comparer à la réalité sur le terrain. La promesse date du 25 novembre. Depuis, elle n’a plus été reprise dans les discours officiels : plus aucun mot sur ces fameuses inspections.

Fuite en avant

Examinons maintenant les propos recueillis lors de la « réunion centrale sur le travail rural » (中央农村工作会议), les 28 et 29 décembre derniers. Le Parti, conclut cette réunion, doit consolider sa victoire de lutte contre la pauvreté, faire la promotion de la revitalisation des zones rurales et accélérer la modernisation de l’agriculture. Il doit se fonder sur cette « victoire historique contre la pauvreté » – dont souffrent certaines provinces depuis des milliers d’années – afin de « construire une société de moyenne aisance globale ». Le Parti a décidé, suite à cette victoire, une période de transition de cinq ans pour les districts désormais considérés comme « sans pauvreté ». Pendant cette période, les politiques d’assistance seront maintenues et optimisées.
*C’est comme si Xi Jinping lui-même n’y croyait pas. **Ainsi des tensions entre les gouvernements sous-provinciaux et le pouvoir central, surtout en matière de communication, d’information et de flux fiscaux.
Ce message reflète-t-il une prise conscience de la part de Xi Jinping ? De fait, l’annonce d’une période de transition de cinq ans remet en cause son discours du 3 décembre, et bien sûr, la fin de la lutte contre la pauvreté. Ce recul souligne un manque de confiance* (et peut-être des regrets) de la part de Pékin qui, connaissant les problèmes persistants entre le centre et les localités**, n’a malheureusement plus d’autre choix que la fuite en avant.
*Expression empruntée à la Corée du Nord.
Bien entendu, si la définition de la pauvreté est changée et que le bureau des statistiques ajuste le tir sur quelques indicateurs, ou soumet les chiffres attendus par le pouvoir, la pauvreté « disparaîtra » assez rapidement. N’oublions pas que les gouvernements sous-provinciaux, qui cherchent toujours à plaire, sont très peu incités à communiquer les vrais chiffres. Ainsi, comme ce fut souvent le cas entre 1949 et 1976, le Parti « planifie à l’aveugle » et connaît rarement la vérité du terrain. Ainsi, pour s’assurer une « victoire », fût-elle purement rhétorique, durant une année aussi symbolique que 2021, il faudra beaucoup de travail au pouvoir central chinois, et en particulier au département de la propagande du Parti, alors qu’il peine déjà à contenir le flot d’informations sur les nouveaux foyers de Covid-19 sur son propre territoire.
Par Alex Payette

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.