Société
Série : Chine, puissance maritime

La Chine maritime et navale (7/7) : les touristes chinois sur tous les océans

Des touristes chinois prennent une photo souvenir sur l'île de Quanfu (préfecture de Sansha) dans l'archipel disputé des Paracels, au sud de Hainan, en mer de Chine méridionale, le 14 septembre 2014. (Source : VOA NEWS)
Des touristes chinois prennent une photo souvenir sur l'île de Quanfu (préfecture de Sansha) dans l'archipel disputé des Paracels, au sud de Hainan, en mer de Chine méridionale, le 14 septembre 2014. (Source : VOA NEWS)
Le plus étonnant dans le tourisme maritime des Chinois, ce n’est pas seulement qu’ils inondent les plages de Qingdao à Phuket. Mais c’est à quel point la hausse du niveau vie et l’émergence d’une classe de super riches en Chine populaire ont fait exploser toutes les limites des océans. Du tourisme « patriotique » sur les îles disputées de la mer de Chine du Sud au tourisme en Antarctique, seul compte le besoin d’expérience ultime mêlé à la recherche de l’air le plus pur.

Dossier spécial : La Chine de nouveau à flot

Nouvelle série au long cours d’Asialyst ! Pour marquer à notre façon le 70ème anniversaire de la Chine populaire en 2019, nous vous proposons de comprendre la puissance maritime chinoise dans toutes ses dimensions. Premier volet: « La Chine maritime et navale : hier et aujourd’hui ».

Entre les grandes expéditions africaines et moyen-orientales de Zheng He, au XVème siècle, et le 70ème anniversaire de la marine du régime communiste de Mao, en avril dernier, la Chine a dû repenser tout entier son rapport à la haute mer pour en refaire un élément constitutif de son identité millénaire. Elle s’était un temps repliée sur le continent mais constitue de nouveau une puissance maritime majeure, et même omniprésente. C’est aussi la deuxième force navale du monde en tonnage. Un retour aux sources pour ce vieux briscard des mers, qui rêve de tisser sa toile sur tous les océans.

Retrouvez ici tous les épisodes de notre série « La Chine, superpuissance maritime »

Août 2019, Qingdao. Voilà des mois que le président Xi Jinping, venu sur place en avril pour les 70 ans de la marine de l’Armée populaire de libération, est reparti à Pékin. Sur les rives orientales chinoises, la grisaille printanière a laissé place au soleil d’été. Si bien que les bouées en plastique ont remplacé les destroyers. La plage est cernée par les baigneurs à un point tel qu’à l’autre bout du monde, la chaîne française BFMTV en parle.
« Jaunes, vertes, roses, elles sont surtout… partout ! Les bouées ont envahi par milliers cette plage de Qingdao, une des stations balnéaires les plus fréquentées de la côte, relate la chaîne d’information en continu basée à Paris. Depuis plusieurs années, cette plage est prise d’assaut l’été. En 2016, jusqu’à 130 000 baigneurs par jour y ont été recensés. C’est autant que la population d’Amiens ou de Limoges. »
Nous sommes loin des provinces tropicales de l’empire du milieu ; au large de Qindao, c’est la Corée. Mais la ville est prisée. Dotée d’un climat continental de façade et sujette aux pluies de mousson, elle est célèbre pour sa bière, la Tsingtao, léguée par les colons allemands. Mao Zedong venait y passer ses vacances, dans l’ancienne résidence du gouverneur allemand justement. L’endroit est à moins de 700 km de Pékin.
À Qingdao, qui accueille des dizaines de millions de visiteurs par an, les statistiques montrent que le tourisme intérieur reste le plus gros marché, relatait en 2016 le China Daily, précisant au passage que l’intérêt extérieur pour la station ne cessait de croître aussi. Par le passé, les voyageurs d’outre-mer ont vu les conditions d’obtention de visa allégées, et ont même été autorisés à venir en transit 72 heures sans démarche.
Le gouvernement veut que les étrangers se rendent dans cette ville de voile, qui a accueilli les Jeux olympiques de 2008. Des manifestations internationales, telles que la Red Bull Extreme Sailing Series, ont été organisées sur place. Le bureau du tourisme de Qingdao participe aussi à des campagnes de promotion dans plusieurs pays. Il était notamment présent à des expositions en Allemagne, en Amérique, au Japon et en Corée du Sud.
La plage n°1 de Qingdao, sur la côte nord-est de la Chine. (Source : Mailonline)
La plage n°1 de Qingdao, sur la côte nord-est de la Chine. (Source : Mailonline)

Hawaï chinois

En Chine, pays dirigé par un régime d’inspiration marxiste, la classe moyenne n’a cessé de s’agrandir pendant des années. Et avec elle le tourisme intérieur, extérieur, balnéaire ou marin. En 2018, Pékin a enregistré un total de 5,54 milliards de voyages touristiques intérieurs, soit une hausse de 10,76 % sur un an, selon les chiffres du ministère de la Culture et du Tourisme. Ce dernier parle de « nouvelle zone de croissance économique ».
Pour répondre à la demande, les responsables du ministère insistent sur l’importance de fournir des « produits culturels et touristiques de qualité » pendant les vacances de la fête du Printemps. Le Nouvel an chinois est en effet la période de congés la plus longue et la plus importante de l’année. Ils entendent aussi promouvoir les sports d’hiver et le tourisme thermal. Mais de longue date, les côtes attirent déjà les badauds.
En témoignent les chiffres de la fréquentation de Hainan, la plus grande île du pays, située juste en dessous des rivages continentaux du Guangdong, en mer de Chine méridionale. Selon le CEIC, ils ne cessent d’augmenter d’année en année. Les autorités locales évoquent plus de 76 millions de touristes nationaux et étrangers ayant visité la province insulaire en 2018. Soit une hausse de 11,8 % sur un an.
D’une superficie équivalente à la Belgique, Hainan est positionnée à une latitude proche de l’équateur, à 420 km seulement de Hong Kong. Aussi, elle connaît depuis une dizaine d’années une « profonde transformation, lui valant le qualificatif flatteur de Hawaï chinois », écrivait en janvier dernier François Lafargue, docteur en géopolitique, science politique, et professeur à Paris School of Business.
« Depuis une dizaine d’années, poursuit-il, l’île est devenue une destination de villégiature. […] Ces touristes fuient la rigueur des hivers continentaux pour bénéficier de températures plus clémentes, puisque le thermomètre n’y descend que très rarement en dessous de 16°C. Le Club Méd (qui est la propriété du groupe chinois Fosun) a ouvert l’un de ses villages de vacances à Sanya au printemps 2016. »
Touristes chinois au bord de la baie de Sanya, capitale provinciale de l'île de Hainan. (Source : Bloomberg)
Touristes chinois au bord de la baie de Sanya, capitale provinciale de l'île de Hainan. (Source : Bloomberg)

« Le plus grand marché de croisière au monde »

La Chine veut faire de Hainan un centre international de tourisme et de consommation d’ici 2025, une destination mondialement influente d’ici 2035. Mais les touristes chinois prennent également la mer, sur des croisières plus ou mois onéreuses. D’ailleurs, si la classe moyenne s’agrandit, le rang des ultra-riches aussi. Ces derniers ne vont pas sur des plages surpeuplées ; beaucoup préfèrent le bateau.
Sun Ying, directeur du département provincial de la culture, de la radio, de la télévision et des sports, relate que Hainan a enregistré en 2018 plus de 140 voyages de croisières et de yachts à l’arrivée et au départ, accueillant ainsi environ 68 000 touristes. « La Chine a le potentiel pour devenir le plus grand marché de croisières au monde » à l’horizon 2030, s’enthousiasme Chine nouvelle.
Selon l’agence de presse, l’industrie nationale du tourisme de croisière « devrait connaître un essor considérable ». « La croissance annuelle de la Chine sur ce marché dépasse 40% depuis 2006 », écrit Chine nouvelle. Le pays domine le marché des croisières en Asie : il représente plus de 70 % des 4,24 millions de passagers de la région en 2018, selon des données de la Cruise Lines International Association.
« Les voyages en croisière sont devenus de plus en plus populaires dans les zones métropolitaines comme Shanghai, Tianjin et Guangzhou, ainsi que dans les petites villes comme Chengdu, Qingdao et Xiamen », rapporte Ctrip.com, principale agence de voyages en ligne de la République populaire de Chine. Les opérateurs internationaux « conduisent la vaguent », commente Chine nouvelle.
À partir de Hainan, ajoute le China Daily, « les croisières sur les îles Xisha, dans la mer de Chine méridionale, ont représenté 106 voyages (en 2018), en hausse de 51,4 %, et 33 300 touristes nationaux, en hausse de 90,9 %. » Xisha ? Comprendre les îles Paracels, revendiquées par le Vietnam et Taïwan. La Chine les a conquises en 1974, et Pékin y a établi une préfecture en 2012. Désormais, les touristes y vont en bateau.

Tourisme patriotique

En 2013, la RPC avait expédié vers l’île Yagong, dans les Paracels, plus de 100 tonnes de sol, 200 tonnes d’eau douce et 400 arbres. Objectif : la « transformation verte » de l’archipel, pour le rendre plus habitable. La même année a été mise en place une ligne de croisière régulière au départ de Sanya, station balnéaire et port militaire du sud de Hainan. La ligne envoie sur place des touristes, mais aussi des produits pour la toute petite communauté chinoise installée.
Le South China Morning Post raconte la scène d’une sortie patriotique, fin 2018, sur cette île d’un hectare à peine : « Plus de 100 touristes chinois ont pris part à une cérémonie de lever du drapeau sur l’une des îles contestées de l’archipel des Paracels, dans la mer de Chine méridionale. […] Le rassemblement a eu lieu ce week-end sur l’île de Yagong, située entre la côte nord-est du Vietnam et l’île de Hainan. »
Des touristes chinois assistent à une cérémonie de lever de drapeau sur l'île de Yagong. (Source : SCMP)
Des touristes chinois assistent à une cérémonie de lever de drapeau sur l'île de Yagong. (Source : SCMP)
« La séquence vidéo de la cérémonie montre un groupe de visiteurs chinois portant des drapeaux et chantant l’hymne national chinois. Ils scandent des slogans nationalistes comme « vive la Chine ». « Ici, j’ai le sentiment que nous avons l’air très digne et solennel, car c’est le point le plus méridional de la mère patrie. J’ai toujours senti dans mon cœur que j’allais venir à cet endroit », déclare un participant.
Ce touriste chinois semble l’oublier, mais Sansha, la structure administrative civile installée en 2012 dans les Paracels à Yongxing, c’est-à-dire l’île Woody des Amphitrites, connue sous le nom d’île Boisée par les Français, est chargée d’administrer des territoires bien plus au Sud en mer : les Spratleys, l’atoll de Scarborough ou encore le banc de Macclesfield, tous revendiqués par des voisins de la grande Chine. À quand des touristes à Fiery Cross ?
Dans les Paracels, la Chine rêve de surf et de plongée en eaux tropicales, commente Voice of America. En 2016, « une compagnie aérienne chinoise a ouvert des vols charters de Haikou, la capitale provinciale de Hainan, jusqu’à l’île Woody. En mars 2017, un navire de croisière en provenance de Chine a amené 300 personnes aux Paracels, et le Vietnam a protesté pour des raisons de souveraineté. »

En Antarctique, un touriste sur six est chinois

En croisière, de nos jours, les touristes chinois vont un peu partout dans le monde. L’une de leurs nouvelles lubies ? Les pôles. Dans son livre blanc consacré à l’Arctique, la Chine préconise sur place un tourisme « sobre en carbone », privilégiant « l’écotourisme et le tourisme responsable », s’engageant même à ce que cette forme de tourisme contribue à sensibiliser les Chinois à la cause environnementale.
« Le monde est maintenant ouvert et abordable pour les touristes chinois aisés, qui voyagent sans cesse, et avec enthousiasme. Après avoir coché les destinations habituelles, ils ciblent maintenant les extrêmes – Antarctique, Arctique, camp de base de l’Everest, Amazonie – mais ils voyagent toujours dans le confort et beaucoup sont largement monolingues », décrit le guide touristique Pavel Toropov dans le South China Morning Post.
Selon des initiés du secteur, ajoute-t-il, près d’un tiers des circuits touristiques dans l’Arctique et l’Antarctique sont maintenant réservés par des Chinois, malgré des prix exorbitants, et la longue liste d’attente. « Travailler occasionnellement comme guide pour de telles tournées exclusives a amené mon vocabulaire chinois dans des pistes inattendues », s’amuse Pavel Toropov.
*Lire Mikaa Mered, Les mondes polaires, PUF, 2019.
En Antarctique, la pénétration de la clientèle chinoise ces cinq dernières années témoigne de l’intérêt aigu des nouvelles élites pour ce tourisme « expérientiel » ultime. Pour eux, c’est l’aventure la plus inaccessible, la plus onéreuse et, surtout, la plus socialement « différenciante », commente Mikaa Mered, professeur de géopolitique à l’Institut libre d’étude des relations internationales (Ileri)*.
Au classement des clientèles touristiques en Antarctique, la Chine a ainsi grimpé de la quatrième à la deuxième place, derrière les États-Unis, entre 2014 et 2017. Entre les saisons 2016-2017 et 2017-2018, le nombre de visiteurs chinois en Antarctique a bondi de 57,6 %, représentant désormais un touriste antarctique sur six. Sur terre, dans les airs et sur l’eau, l’industrie touristique polaire mise grandement sur leur arrivée.
Des touristes chinois atteignent le pôle nord dans un hélicoptère russe. (Source : South China Morning Post)
Des touristes chinois atteignent le pôle nord dans un hélicoptère russe. (Source : South China Morning Post)

Tourisme « expérientiel » versus tourisme de masse

L’intérêt pour l’Antarctique n’est qu’un phénomène très récent en Chine, mais les attentes des consommateurs tendent déjà à se diversifier. L’an dernier, 90 % d’entre eux ont rejoint le continent blanc au moyen d’un bateau de croisière, quand les 10 % restants y ont atterri sur l’un des cinq aérodromes ouverts aux avions privés sur la terre ferme et dans les îles adjacentes, aux écosystèmes locaux particulièrement fragiles.
Aujourd’hui, les touristes chinois alimentent la croissance rapide de l’ensemble des sous-marchés antarctiques : croisière d’expédition avec ou sans débarquement, tourisme terrestre d’aventure ou sportif (individuel ou en groupe), tourisme terrestre de luxe en hospitalité (hôtels éphémères saisonniers) et, enfin, le tourisme aérien : des boucles de survol à basse altitude de l’Antarctique.
Trois raisons principales expliquent ce nouvel intérêt pour l’Antarctique : une base de marché plus importante à mesure que la classe moyenne chinoise grandit, un attrait de plus en plus marqué pour le tourisme expérientiel plutôt que le tourisme de masse, et enfin, un intérêt marqué pour les enjeux de la détérioration de l’environnement. Ce dernier point peut paraître paradoxal à première vue.
Élite dans l’élite, on observe qu’environ 80 Chinois ont ainsi volé l’an dernier directement jusqu’au Pôle Sud. Ce ne sont pas les images montrant la fonte des glaces, diffusées par les artistes et les médias, qui poussent les Chinois à parcourir l’Antarctique ; mais plutôt l’insupportable pollution des grandes métropoles du pays. Les élites chinoises choisissent des destinations où l’air est vu comme pur.
C’est désormais possible, notamment grâce aux offres créées en 2018 par l’opérateur chinois de jets privés Deer Jet. On peut ainsi parier que ce marché ultra-haut-de-gamme du jet en Antarctique progresse rapidement dans les années à venir. Cela ressemble pourtant au tourisme le plus polluant possible : il impacte directement l’air que cette clientèle sans limite vient justement chercher.

Déclin du tourisme chinois en Asie du Sud-Est

Gare néanmoins au retour de bâton. Guerre commerciale oblige, le malaise économique chinois et l’affaiblissement historique du yuan se ressentent partout en Asie du Sud-Est. Le boom des voyages chinois avait stimulé le tourisme dans la région, mais le déclin brutal des voyageurs chinois est devenu une douloureuse leçon pour des pays tels que la Thaïlande et l’Indonésie, devenus trop dépendants de ces revenus.
Selon un rapport de McKinsey paru en 2017, « l’Asie du Sud-Est est généralement la première destination des voyageurs chinois lorsqu’ils optent pour des destinations plus éloignées ». Des visites en mandarin, des restaurants chinois et des services de paiement mobile chinois se sont multipliés à Danang, au Vietnam, comme à Yogyakarta, en Indonésie.
Le repli menace maintenant l’industrie du tourisme de surcapacité dans ces endroits. « Sur l’île de Phuket, un lieu de prédilection pour les mariages en bord de mer et la plongée sous-marine, il y aura 18 % de chambres supplémentaires d’ici 2024 », selon le conseil C9 Hotelworks Ltd cité par le Japan Times. Or, précise le journal, les arrivées internationales en Thaïlande cette année n’ont augmenté que de 2 %.
Ce boom chinois, qui a également modifié l’environnement des plages philippines ou de Singapour, ou encore l’île de Redang en Malaisie, théâtre d’une comédie romantique chinoise dans les années 2000, Summer Holiday, a commencé à se dissiper au cours du premier semestre de cette année avec le ralentissement de l’économie de RPC.
Et puis, les touristes chinois sont comme leurs homologues français. Ils suivent l’actualité et évitent une destination s’ils ont peur, ou s’ils y voient des contraintes. Aussi, un accident de bateau survenu l’année dernière, et qui a tué 47 touristes chinois au large de l’île de Phuket, en Thaïlande, a par exemple porté atteinte à la confiance du client. Et les embouteillages de Bali, le touriste chinois n’en veut plus !
Par Igor Gauquelin

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A propos de l'auteur
Journaliste et responsable d'édition multimédia pour le site internet de Radio France internationale, en charge de la rubrique Chine maritime et navale à Asialyst.