Politique
Série - Le 19ème Congrès du Parti communiste chinois

Chine : Xi Jinping est-il un danger pour le Parti ?

"Le rêve chinois, le rêve du peuple", peut-on lire sur cette affiche du président chinois Xi Jinping, le 16 octobre 2017 à Pékin, deux jours avant l'ouverture du 19ème Congrès du Parti communiste chinois. (Crédits : AFP PHOTO / GREG BAKER)
"Le rêve chinois, le rêve du peuple", peut-on lire sur cette affiche du président chinois Xi Jinping, le 16 octobre 2017 à Pékin, deux jours avant l'ouverture du 19ème Congrès du Parti communiste chinois. (Crédits : AFP PHOTO / GREG BAKER)
Cela fait quasiment cinq ans qu’il le prépare. Le 19ème Congrès du Parti communiste chinois s’ouvre à Pékin ce mercredi 18 octobre. Pour Xi Jinping, c’est l’occasion de s’arroger la place dont il rêve depuis son accession au pouvoir fin 2012, une place centrale dans l’histoire contemporaine de la Chine, à l’égal de Mao et de Deng Xiaoping. Non seulement Xi renouvèlera sans problème son mandat de secrétaire général du PCC, mais il veut poser les bases d’un pouvoir dominant jusqu’au 20ème Congrès en 2022 – et bien au-delà. Un pouvoir personnel quand depuis vingt ans le Parti fonctionnait de manière collégiale.
Que penser de cette stratégie « impériale » de Xi Jinping ? Tout porte à croire en effet que les actions du président chinois tournent autour d’un seul objectif : imposer sa marque, nommer ses hommes et développer son « rêve chinois » : son idée-slogan de la « gouvernance » de la deuxième économie mondiale. Va-t-il transgresser les règles tacites actuellement en vigueur au sein du Parti ? Notamment le nombre de mandats – pas plus de deux quinquennats – et l’âge de la retraite à 67 ans révolus ?
En filigrane, une autre question se pose : l’aventure personnelle de Xi est-elle une bonne chose pour un Parti unique bientôt centenaire ? A Pékin, ils sont nombreux à désirer un homme fort pour longtemps, jugeant que la « collégialité » sous Hu Jintao n’a fait qu’affaiblir le PCC. D’autres y voient au contraire un dangereux retour en arrière.

le Congrès du PCC, comment ça marche ?

Réunie en Congrès tous les 5 ans, généralement au mois d’octobre, l’Assemblée représentative nationale du Parti communiste chinois [中国共产党全国代表大会] est – en théorie – l’instance dirigeante la plus importante de la République Populaire. C’est elle qui fixe la direction suprême d’un pays où le leadership du parti unique est gravé dans le marbre de la Constitution et de son préambule. C’est à elle que revient la lourde tâche de présider au destin des quelque 80 millions de membres que compte le Parti en Chine.

Fort d’environ 2200 délégués et représentants, en majorité issus des gouvernements provinciaux et de l’armée, le Congrès organise les « élections » qui permettent de désigner les membres des organes centraux du pays. Soit le Comité central pour l’inspection disciplinaire du PCC, le Comité central du Parti, la Commission militaire centrale (CMC) et enfin le bureau politique et son organe décisionnel, le comité permanent.

C’est aussi durant le Congrès que sont passés en revue les « carnets de promotion » pour un grand nombre de cadres. De même que les décisions concernant une importante partie des promotions vers les rangs provinciaux et ministériels. Enfin, c’est aussi au Congrès que revient la lourde tâche d’élire le secrétaire général du Parti – poste aujourd’hui occupé par Xi Jinping.

Objectif 2022… et 2027 ?

S’accrochera-t-il au pouvoir au-delà des dix années réglementaires ? C’est la question qui hante les observateurs attentifs de la Chine. Pour Choi Chi-yuk et Viola Zhou dans le South China Morning Post, il suffit de constater les faits : le nombre de successeurs potentiels de l’actuel président chinois a brusquement décru ces derniers mois (lire notre article sur la déchéance de Sun Zhengcai, l’ex-futur Premier ministre). En ce sens, la tenue du Congrès est cruciale pour Xi qui a minutieusement préparé l’échéance. « Si après le Congrès, écrivent les deux journalistes hongkongais, aucun héritier présumé n’est élevé au comité permanent du Politburo, le plus haut organe décisionnel du Parti, ce sera le signe le plus clair que Xi envisage un troisième mandat comme secrétaire général du Parti ou sous un autre titre, qui commencerait en 2022. » Un troisième mandat pour Xi Jinping ? C’est bien sûr « l’éléphant de la pièce » qui se joue au Congrès. Et cela pour deux raisons.
Primo, aucun arrangement sur le leadership au-delà de 2022 n’est à l’ordre du jour officiel du Congrès. Secundo, – et c’est là le plus important – « au cours de ces cinq dernières années, Xi a souligné à plusieurs reprises la nécessité de briser les « règles cachées » du Parti et d’établir de nouvelles lignes directrices », rappelle le South China Morning Post. Autrement dit, non content d’avoir été canonisé de son vivant sous le statut de « noyau dur » du Parti communiste chinois, Xi entend bien y imposer une marque plus durable.
En cela, il aurait le soutien de l’ensemble de l’intelligentsia du Parti qui souhaite le rétablissement d’un pouvoir fort. Car nombreux sont les « déçus de la règle de gestion collective, jugée inefficace sous la direction précédente ». La présidence de Hu Jintao est aujourd’hui blâmée pour avoir permis « l’émergence de centres de pouvoir rivaux avec la corruption qui en résulte ».
C’est l’avis de Chen Daoyin, professeur à l’Université des Sciences politiques et du droit à Shanghai, cité par le quotidien de Hong Kong : « Xi a décidé de faire des changements. Il a accumulé le pouvoir sur cinq ans en raison de l’inefficacité de la gouvernance précédente, lorsque le pouvoir central a été divisé entre neuf membres du Comité permanent du bureau politique. » Et si le premier de ces changements annoncés était de maintenir Wang Qishan au comité permanent ? Surnommé « le Diable » ou « le Parrain », le patron de la « lutte anti-corruption » voulue par Xi Jinping est à la fois responsable des basses œuvres du président et son principal allié de circonstances. Or il vient de souffler ses 69 bougies en juillet dernier. Il devrait donc partir à la retraite. Ou pas.

La « clé » Wang Qishan

Maintenir Wang Qishan coûte que coûte serait un acte fondateur pour l’avenir de Xi. Soit le « précédent » dont il aurait besoin pour rendre possible un troisième mandat à la tête du Parti en 2022, alors qu’il aura 69 ans à son tour. Dans l’immédiat, cela permettrait aussi au numéro un chinois de ne pas changer la tête d’une commission clé – la commission d’inspection et de discipline du Parti – plutôt « efficace » dans sa lutte contre la corruption. D’autant plus utile qu’elle permet aussi d’éliminer les factions rivales.
Wang Qishan restera-t-il à son poste actuel ? Ou sera-t-il même nommé Premier ministre ? Ce n’est pas la lubie des seuls pékinologues. Ce genre d’hypothèse a été relancée avec vigueur après la rencontre entre Wang et Steve Bannon, l’ancien conseiller stratégique de Trump à la Maison Blanche. L’entrevue « secrète » aurait eu lieu en à Pékin la deuxième semaine de septembre. Elle a envoyé de « signaux mixtes » sur le prolongement de Wang Qishan au Comité permanent, pense le South China Morning Post dans un autre article.
Pour le professeur Chen Daoyin, cette visite a été tenue secrète – et tue dans les journaux chinois du continent – car « il y a eu des spéculations selon lesquelles Wang remplacerait [le Premier ministre] Li Keqiang après le Congrès du parti. Et Pékin voudrait éviter d’alimenter ces rumeurs. » Pour autant, l’hypothèse prend corps si l’on considère Wang Qishan comme l’un des responsables les mieux informés de la Chine en matière d’économie. Il a notamment supervisé « les réformes du marché et des banques publiques depuis les années 1980, ainsi que les questions commerciales sino-américaines », souligne le quotidien hongkongais. Son maintien ravirait les déçus de la gouvernance économique de Xi Jinping. Et Xi lui-même.
Mais justement, n’est-ce pas là un trop lourd fardeau pour le système politique chinois ? Autrement dit, est-ce une « bonne » chose si Wang est maintenu à son poste ? Le Parti ne risque-t-il pas de « glisser » vers une « poutinisation » du pouvoir suprême, quand tout repose sur les épaules d’un seul homme ? La question est posée en ces termes par l’un des grands spécialistes de la Chine contemporaine, David Shambaugh, professeur à la Georges Washington University.

Le PCC en voie de « poutinisation » ?

Selon Shambaugh, ce qui se joue au 19ème Congrès, c’est le projet affiché par Xi de « démanteler les anciennes bases du pouvoir, ce qui affaiblit gravement les institutions bureaucratiques construites justement pour empêcher la sur-concentration des pouvoirs chez un seul homme ». Dans ce petit théâtre de guignols, avec Xi en « personnage tout-puissant », le système politique chinois est revenu à un « système patriarcal-patrimonial », écrit le sinologue américain. Soit une « forme de gouvernance où le pouvoir appartient au chef impérial et non aux institutions. »
De là à parler de « poutinisation » du pouvoir il n’y a qu’un pas. Allègrement franchi par Alexander Gabuev dans une discussion à plusieurs voix rassemblées par le Carnegie Endowment, un think tank de Washington. Selon Grabuev, chercheur au bureau de Moscou du Carnegie, l’affaire est limpide : « On ne sait pas si Xi Jinping étudie Poutine, avec qui il a des liens personnels chaleureux, en tant que modèle, mais leurs styles de leadership ont de plus en plus de similitudes. » Ce rapprochement de style, Xi ne doit en aucun cas, estime le chercheur russe, se laisser enfermer dans le modèle du maître du Kremlin : après deux mandats de président, échanger les postes avec son affidé Medvedev en devenant son Premier ministre, puis reprendre la présidence. Car Xi doit éviter les « failles du Poutinisme », qui ont placé la Russie dans une « trajectoire de stagnation à long terme ». Si un long séjour au pouvoir peut être « bénéfique pour la consolidation des ressources », le dépassement de la durée de vie politique peut créer un « système totalement fragile qui ne peut pas survivre sans son noyau ».
La quasi-omnipotence de Xi, même fantasmée par le président, son appétence pour le pouvoir, ne peuvent masquer ni effacer les choix qui s’opèrent en coulisse – dont l’éventuel remplacement du Premier ministre par Wang Qishan. En effet, pour David Shambaugh, « la contradiction existante entre une direction du Parti apparemment peu sûre dans sa politique intérieure et un pouvoir très sûr de sa politique extérieure » interroge sur l’avenir de la Chine. Notamment sur les nécessaires réformes économiques à mener. Sans oublier bien sûr la question nord-coréenne qui obsède littéralement tous les acteurs de la zone et sur laquelle la Chine se doit de réagir.

Le Congrès et la question nord-coréenne

Avec le départ annoncé de Zhang Dejiang du Comité permanent du bureau politique, c’est l’un des plus puissants alliés du régime de Pyongyang qui s’efface. Or, en ces temps de graves tensions avec l’Amérique de Trump, le soutien sans faille du « grand frère chinois » était une aubaine pour le régime jusqu’au-boutiste des Kim. Pour autant, realpolitik oblige, le soutien de Pékin envers le royaume ermite ne devrait pas faiblir malgré le départ de Zhang, selon Paul Haenle, chercheur basé à Pékin pour le Carnegie
Deux choses semblent préoccuper les dirigeants de Pékin : d’une part, le risque « que les essais nucléaires de Pyongyang libèrent des matières radioactives importantes en Chine » ; d’autre part, « que le Nord poursuive ses menaces d’arrimer une ogive nucléaire à un missile et de le faire exploser dans l’océan Pacifique ». Ces deux actions menaceraient de « semer le chaos et miner ainsi la longévité du Parti ». Par extension, elles pourraient « remettre directement en question les intérêts nationaux de la Chine ». Telles sont les deux seules situations de crise susceptible de provoquer une réponse de Pékin, prévient Paul Haenle qui exhorte donc Kim Jong-un à ne pas commettre d’impair.
La Chine a un rôle à jouer, Congrès ou non, présence de soutiens au régime de Pyongyang au comité permanent ou non. Elle se doit de tenir son rang, notamment dans le désamorçage de la crise actuelle dans la péninsule coréenne. Non pas en jouant les arbitres, précise James M. Acton, un autre chercheur du Carnegie, mais plutôt en étant facilitateur d’une reprise du dialogue entre Pyongyang et Washington. La Chine détient les clés de ce dossier et Xi Jinping, s’il veut s’imposer sur le long terme, devra réussir à imposer ses vues aux différents acteurs du dossier.
A n’en pas douter, ce sera l’un des tests majeurs pour Xi. Il aura l’occasion de prouver qu’il détient le pouvoir suprême pour l’exercer, et non pour en jouir comme une rente en attendant 2027. Le Parti verra alors son homme à l’œuvre et décidera s’il doit ou non rejoindre ses « glorieux aînés » au panthéon des « héros » de la Chine communiste. Ou s’il n’est qu’un Empereur nu.
Par Antoine Richard

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A propos de l'auteur
Antoine Richard est rédacteur en chef adjoint d'Asialyst, en charge du participatif. Collaborateur du Petit Futé, ancien secrétaire général de l’Antenne des sciences sociales et des Ateliers doctoraux à Pékin, voyage et écrit sur la Chine et l’Asie depuis 10 ans.