Economie
Expert - Chine, l'empire numérique

La Chine, puissance dominante du bitcoin, la crypto-monnaie libertaire

Un visiteur chinois s'arrête au stand de Chbtc.com, l'une des plateformes chinoises d'échange de bitcoins lors d'une salon à Shanghai, en Chine, le 28 juin 2014. (Crédits : Zhu lan / Imaginechina / via AFP)
Un visiteur chinois s'arrête au stand de Chbtc.com, l'une des plateformes chinoises d'échange de bitcoins lors d'une salon à Shanghai, en Chine, le 28 juin 2014. (Crédits : Zhu lan / Imaginechina / via AFP)
Étendard d’un monde nomade, le bitcoin est une « crypto-monnaie » s’affranchissant de tout régulateur ou banque centrale. Ce faisant, elle redonne une nouvelle jeunesse aux utopistes du XIXème siècle comme Proudhon, Robert Owen ou Ernest Solvay qui voyaient en la monnaie un outil de transformation sociale. Mais derrière cette expérience libertaire, se dessine l’ombre de la Chine, qui monopolise aujourd’hui la production et les échanges de bitcoins. Cette domination n’est pas sans questionner la viabilité du système.

Une monnaie sans banque centrale

La mouvance cyberpunk développe dès les années 1990 des expérimentations monétaires comme Digicash ou Bitgold, sans toutefois parvenir à atteindre une taille critique. En ce sens, la crise financière de 2008 est un tournant. La défiance généralisée envers les institutions financières devient le terreau propice à une révolution monétaire. Quelques semaines après la faillite de la banque Lehman Brothers, un (ou des) concepteur(s), sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto, conceptualise(nt) le protocole Bitcoin. Ce système de cash numérique est un véritable chef d’œuvre d’ingénierie mathématique et économique.
A la différence des mécanismes monétaires traditionnels, Bitcoin ne fait intervenir aucune autorité centrale. Pour simplifier très grandement, le système fonctionne comme une « coopérative » qui émet de la monnaie et s’assure collectivement de l’authenticité des transactions effectuées.

Une mécanique de confiance collective

Un registre comptable garde trace de l’historique de toutes les transactions effectuées en bitcoin. Ce livre de compte horodaté n’est conservé par aucune banque centrale. Il est au contraire distribué sur des milliers de serveurs informatiques autonomes. Cette architecture décentralisée rend toute falsification impossible. Chaque transaction doit être authentifiée par un « consensus » (un vote) de l’ensemble de la communauté Bitcoin. Les transactions sont regroupées en blocs (en paquets) lesquels sont additionnés les uns aux autres par un procédé cryptographique. Ce système s’appelle la « Blockchain » (pour « chaine de blocs »).
L’émission des bitcoins se fait en rémunération de la puissance de calcul cryptographique mise à disposition. Les ordinateurs affectés au réseau sont en concurrence pour authentifier en premier les « blocs » de transactions. Celui qui parvient, le plus rapidement, à certifier l’un de ces blocs et à résoudre un challenge cryptographique, se voit attribuer des bitcoins à titre de rémunération. Ce travail de collecte des preuves, appelé « minage », nécessite une puissance informatique vertigineuse.
La rareté de la monnaie est inscrite dans le « code ». Le protocole Bitcoin complexifie en effet progressivement le challenge cryptographique. L’objectif est de ralentir la production selon un rythme régulier et dégressif. Comme une mine d’or, le filon s’épuise progressivement et les coûts de production s’élèvent.

70% de la production de Bitcoin est chinoise

L’activité de minage des Bitcoins se fait désormais à une échelle industrielle. D’immenses fermes de serveurs informatiques codent des chaînes de blocs en continu. L’énergie nécessaire pour faire fonctionner et refroidir les milliers de processeurs constitue le principal centre de coût. D’ici à 2020, le réseau bitcoin devrait consommer autant d’énergie qu’un pays de la taille du Danemark.
Profitant d’un prix du kilowatt/heure subventionné et d’un leadership dans l’électronique, la Chine concentre plus de 70% de la production de bitcoins. Cinq des dix premières sociétés de minages dans le monde sont chinoises. L’un des leaders, le Chinois Bitmain contrôle plus de 30% de la puissance informatique du réseau Bitcoin (via deux pôles de minages : Antpool et BTC.com). Une bonne part des mines se situe dans la province du Sichuan, au plus près des centrales hydrauliques (pour bénéficier des surplus électriques).
Cette concentration industrielle, induite par la complexification du minage et la recherche d’économies d’échelle, n’est pas sans risque pour la neutralité de l’infrastructure. La maîtrise de plus de 51% de la puissance de calcul revient en effet à contrôler le consensus (droit de vote). Il serait alors théoriquement possible au pool des mineurs dominants de modifier, d’ajouter ou supprimer des transactions. Comme si un banquier pouvait décider de son propre fait de changer les avoirs de ses clients. On soupçonne déjà Bitmain, et son fondateur Jihan Wu, d’être l’instigateur du récent schisme de la Blockchain Bitcoin. De cette scission est née « Bitcash », une crypto-monnaie concurrente.

90% des échanges de bitcoins sont chinois

Outre la production, la Chine monopolise également les transactions en bitcoin. Plus de 90% des flux financiers de cette devise transitent sur les plateformes d’échange chinoises (Btcchina, OkCoin et Huobi). Il faut chercher les raisons de cet engouement dans les conditions de la vie économique chinoise : le surplus massif d’épargne et la faible rémunération des placements bancaires poussent à la recherche de placements alternatifs. Ce qui plait aux Chinois c’est la spectaculaire volatilité des cours qui en fait un parfait outil spéculatif. Bitcoin est également un véhicule financier strictement anonyme, permettant d’échapper aux taxes et de contourner le strict contrôle des sorties de capitaux hors de Chine.
Particulièrement soucieux de contrôler les flux financiers, le gouvernement a entrepris de mieux encadrer les crypto-monnaies pour limiter tout risque de bulle spéculative. Il est désormais interdit aux places de marché d’encourager la spéculation en permettant aux investisseurs d’acheter à crédit des bitcoins (« opérations de marge »). Le financement des start-ups en crypto-monnaies est également proscrit. Ces levées de fonds (ICO pour « Initial Coin Offering ») permettaient aux entrepreneurs d’échapper aux taxes et autres obligations de publication des comptes. Enfin, la Banque Centrale Chinoise envisage de créer sa propre crypto-monnaie pour réduire la fraude et la corruption fragilisant l’économie chinoise.

Utopie libertaire ou dystopie ?

*Lire Ronald Coase, prix Nobel d’économie.
En assurant une certification des transactions de manière décentralisée, Blockchain permet de se passer des tiers de confiance. Les îlots de pouvoir que sont les États ou les entreprises perdent potentiellement leur raison d’être*. Plus besoin de « tour de contrôle » scrutant la bonne foi des échanges, le code informatique se charge d’orchestrer et d’automatiser les transactions. Déjà en Chine, Wallmart, JD.com ou encore Alibaba utilisent la Blockchain pour garantir la traçabilité des produits alimentaires et lutter contre les contrefaçons. Chaque produit se voit attribuer une « carte d’identité » infalsifiable retraçant l’historique des transactions.
*Lire Trebor Scholz.
A long terme, Blockchain pourrait devenir la base de « coopératives de production automatisées »*. Des travailleurs indépendants pourraient se regrouper sans intervention d’un patron ou d’une structure de contrôle. La valeur créée par leur contribution serait alors partagée sur la base du consensus de la communauté des membres.
Mais la frontière entre utopie et dystopie est ténue. A l’âge du cyberespace, le code informatique devient progressivement le régulateur de la vie économique et sociale. Or nous n’avons que peu de contrôle citoyen sur cette nouvelle source de droit. La Chine à travers sa domination du bitcoin et de Blockchain contrôle une grande partie du futur de cette expérience libertaire.

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A propos de l'auteur
Directeur marketing basé à Pékin, spécialiste du management de l’innovation, Bertrand Hartemann se passionne pour les nouveaux modèles économiques induits par la disruption numérique. Diplômé de la Sorbonne et du CNAM en droit, finances et économie, il a plus de dix ans d’expérience professionnelle partagée entre la France et la Chine.