Culture
Entretien détox

En Corée du Sud, la cuisine des temples réconcilie le corps et l'esprit

Racine de lotus saumurée au vinaigre de laminaire affiné de 10 ans. (Copyright : Stéphane Lagarde)
Racine de lotus saumurée au vinaigre de laminaire affiné de 10 ans. (Copyright : Stéphane Lagarde)
Voilà une cuisine modeste qui tombe à point après les excès de ces derniers jours. Pratiqué par les moines bouddhistes en Corée du Sud, cet art culinaire ancestral vous aidera à vous remettre de la délicieuse et désastreuse sainte trinité du réveillon : foie gras, champagne, chocolat. Certains verront dans cette cuisine des temples l’opposé de la gastronomie et des plaisirs de la table ; d’autres ironiseront d’un « quand est-ce qu’on mange ? » dès la première racine de lotus avalée ; quand d’autres encore rappelleront que les bons vivants n’ont pas toujours raison ou, du moins, qu’ils n’ont pas toujours raison très longtemps. « Mens sana in corpore sano », écrivait le poète satirique latin. Une cuisine saine qui respecte l’environnement, c’est encore le meilleur chemin vers la méditation, assurent les moines sud-coréens. Entretien avec Maître Seonjae, experte de l’art culinaire des temples de l’ordre Jogye du bouddhisme coréen.

Contexte

L’art culinaire monastique est aussi une façon totalement démondialisée d’envisager notre assiette. Sauce de soja affinée pendant 5, 7, 10, voire même 20 ans ; ce n’est pas parce que l’on se passe de viande et de poisson que les protéines sont absentes de cette tradition culinaire développée depuis 1700 ans au cœur des temples bouddhistes en Corée du Sud. Le soja garantit l’apport en protéines, les huiles végétales fournissent les acides gras insaturés, et les légumes procurent tout ce dont le corps à besoin en termes de vitamines, de minéraux et de fibres. Au-delà de ces considérations diététiques, la cuisine des temples de Corée est avant tout une cuisine de proximité qui respecte l’environnement, rappelle maître Seonjae dans l’entretien qu’elle nous a accordé ci-après. Pour cette vénérable experte de l’art culinaire monastique, cette cuisine des alentours est aussi une façon totalement démondialisée d’envisager notre assiette.

Bouillie aux racines de lotus. (Copyright : Stéphane Lagarde)
Bouillie aux racines de lotus. (Copyright : Stéphane Lagarde)

Le « Barugongyang » ou le repas monastique traditionnel est en effet préparé avec ce qu’on trouve sous la main. Racines, légumes et fruits sont forcément de saison. Ramassés par les moines dans les montagnes aux abords du temple, ces ingrédients ont pour objectif final d’entretenir le corps et l’esprit de celui ou de celle qui pratique la méditation. « L’art culinaire de la diététique monastique est un chemin de pratique, affirme ainsi Lee Kyung-sic, alias maître Jaesung. On absorbe puis on digère les éléments les plus naturels qui donnent la force de méditer,poursuit le président de l’ordre Jogye du Bouddhisme coréen. La cuisine monastique est donc un chemin vers la pratique. »

Bardane et champignons mijotés à la sauce de soja affinée de 7 ans et tofu grillé. (Copyright : Stéphane Lagarde)
Bardane et champignons mijotés à la sauce de soja affinée de 7 ans et tofu grillé. (Copyright : Stéphane Lagarde)

Manger non plus par plaisir, mais pour méditer, ce qui n’enlève rien à la saveur de ces plats sortis des temples. La tambouille des moines pourrait même être goûteuse à en croire le toqué français Philippe Groult : « La cuisine des temples est une cuisine pour des gens qui ne bougent pas beaucoup, qui se consacrent à la prière, c’est donc une cuisine peu calorique, rappelle le responsable du département cuisine de l’école du Cordon Bleu à Paris. En même temps, c’est une cuisine avec beaucoup d’arômes et de couleurs et qui transmet toute la gaité de la cuisine bouddhiste. » Ah bon, et comment relève-t-on un plat à base de racines ? « Allez donc faire un tour dans le Languedoc-Roussillon, poursuit le même Philippe Groult. Vous verrez qu’on utilise aussi les racines dans la cuisine en France. Il y a des racines au goût piquant, d’autres qui sentent la betterave ou la carotte. »

Epinards avec algues à la sauce de soja affinée de 5 ans. (Copyright : Stéphane Lagarde)
Epinards avec algues à la sauce de soja affinée de 5 ans. (Copyright : Stéphane Lagarde)

Voilà donc une cuisine proche de la nature et qui ne manque pas de piment à en croire certains chefs français, même si les moines coréens ont proscrit le « kochujang » à tous les repas, la célèbre « sauce de piment amère » présente sur de nombreuses tables en Corée, serait là aussi impropre à la méditation.

Maître Seonjae, experte de l’art culinaire des temples de l’ordre Jogye du bouddhisme coréen. (Copyright : Stéphane Lagarde)
Maître Seonjae, experte de l’art culinaire des temples de l’ordre Jogye du bouddhisme coréen. (Copyright : Stéphane Lagarde)
« La diététique monastique relève d’une cuisine de proximité. »
Comment définir la cuisine des temples de Corée ?
Maître Seonjae : L’art culinaire de la diététique monastique, c’est l’art de travailler à partir de la vie de la nature pour purifier à la fois son corps et son cœur, autrement dit c’est aussi une cuisine de l’esprit.
Quels sont les principaux ingrédients de la cuisine monastique ?
Les ingrédients qui sont utilisés dans l’art culinaire de la diététique monastique relèvent vraiment d’une culture de la proximité, avec cette idée de se soucier de la nature pour en obtenir les produits de saison qui sont dans la meilleure terre, dans la meilleure eau et qui reçoivent le meilleur ensoleillement. Il s’agit aussi bien entendu de les préparer, de les consommer au moment opportun, sans que cela prenne trop de temps. Tout se passe sur le même lieu, à savoir le monastère et ses environs. C’est vraiment une cuisine de la proximité, encore une fois.
Kimchi à base de concombre et kimchi avec kakis murs à la sauce de soja affinée de 5 ans. (Copyright : Stéphane Lagarde)
Kimchi à base de concombre et kimchi avec kakis murs à la sauce de soja affinée de 5 ans. (Copyright : Stéphane Lagarde)
Pouvez-vous nous citer quelques-uns de ces ingrédients ?
Si vous me l’autorisez, j’aimerais reposer votre question et d’abord insister sur tous les produits qui sont bannis de la cuisine des temples. On n’utilise pas tout ce qui est viande, poisson ou coquillage. Tout ce qui est alcool aussi évidemment. Et parmi les végétaux, certains sont également interdits dans nos temples. Je pense notamment à l’ail, au poireau, à la ciboulette et à l’oignon, tous les légumes qui dégagent des saveurs fortes.
Les Japonais appellent les Coréens les « mangeurs d’ail ». Comment faire pour que la cuisine des temples ne soit pas sans saveur ?
Je vous confirme que nous n’utilisons pas d’ail, alors que ce condiment accompagne de nombreux plat dans la cuisine coréenne en générale. Cela étant dit, en Corée du Sud comme dans de nombreux pays, il existe des particularités régionales en matière culinaire. Je connais des Coréens qui mangent très salé, d’autres très pimenté, d’autres encore qui préfèrent des recettes plus douces. Cela dépend des gens et des caractères. C’est la cuisine qui construit le cœur des gens, l’esprit des gens. Il existe des aliments forts pour des caractère forts, mais cela n’est pas bon pour la pratique monastique. Tout ce qui échauffe l’esprit et le cœur comme l’alcool, tout ce qui vous met dans un état d’excitation voire de colère n’est pas propice à la méditation. Les aliments qui produisent ce genre d’effets ne sont donc pas recherchés, car ils sont contraires à la pratique spirituelle dans les temples, à la vie monastique en général.
Riz en feuilles de lotus. (Copyright : Stéphane Lagarde)
Riz en feuilles de lotus. (Copyright : Stéphane Lagarde)
Parmi les aliments que vous proscrivez, on trouve le piment. Là encore, c’est en raison du bouillonnement intérieur qu’il provoque ?
Effectivement, le piment peut être utilisé si vous ne pratiquez pas d’exercices spirituels. Comme le poireau et l’ail, le piment n’est pas bon pour la méditation. Cuit ou cru, cela ne change rien d’ailleurs. C’est le goût qui est trop fort et impropre à la méditation. On y perd un peu en saveur, mais en échange on fait plus jeune que notre âge. Le corps s’habitue à une plus grande neutralité de goût. En fait, on essaie de s’éloigner de l’envie de manger. Moi j’ai 61 ans par exemple, et on m’a dit que je ne les faisais pas. Le fait de ne pas profiter d’une nourriture qui peut être assez plaisante au goût, permet de conserver la santé. Ce qui fait que les moines pratiquants ont l’air plus jeunes que des non pratiquants.
Ravioli coréen aux noix. (Copyright : Stéphane Lagarde)
Ravioli coréen aux noix. (Copyright : Stéphane Lagarde)
Quelle est la différence entre la cuisine monastique au Japon, en Chine et en Corée ?
Il y a trois formes de cuisine des temples dans le Nord-Est asiatique. Au Japon, la cuisine bouddhiste est une cuisine d’application et de persévérance. En Chine, c’est une cuisine uniquement végétarienne. En Corée, la cuisine doit aider à la méditation. C’est ce qu’on appelle la cuisine « Sunsik », la cuisine pour aider à la prière. En Corée, il s’agit vraiment de nourriture liée à l’esprit.
Gâteau de riz demi-lune, accompagné de sauce au pignon de pin et de miel affinée de 3 ans. (Copyright : Stéphane Lagarde)
Gâteau de riz demi-lune, accompagné de sauce au pignon de pin et de miel affinée de 3 ans. (Copyright : Stéphane Lagarde)
Manger comme les moines est devenu tendance en Corée, comment cette cuisine est-elle sortie du temple ?
Cette diététique monastique est aussi une culture du partage, parce qu’elle est partagée par celles et ceux qui la consomment. Mais c’est aussi une culture de la préservation de la nature et du bien-être de tous les vivants. C’est une mise en pratique d’un état d’esprit. Ce n’est pas simplement une sorte de végétarisme pour la bonne santé ; cela incarne vraiment cette idée qu’on partage tous cette terre et cette vie. Les animaux, les plantes, l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons… tout est lié ! Si l’eau n’est pas bonne, les animaux sont malades et nous pouvons être malades à notre tour. Pour les plantes c’est la même chose. Tout est lié et tout est interdépendant. On doit donc mettre en pratique le souci des uns et des autres et le souci de la vie à l’échelle de la planète pour arrêter de polluer ce monde qui se trouve maintenant dans un état très dégradé.
Propos recueillis par Stéphane Lagarde
Cérémonie Yebul d'hommage au Bouddha, par les moines de l'ordre Jogye de passage à Paris. (Copyright : Stéphane Lagarde)
Cérémonie Yebul d'hommage au Bouddha, par les moines de l'ordre Jogye de passage à Paris. (Copyright : Stéphane Lagarde)

Séjour au temple

Si la cuisine monastique est largement sortie des temples en Corée du Sud, le meilleur moyen d’en faire l’expérience est encore de séjourner dans un monastère. Au total, 24 temples sud-coréens proposent aux étrangers de vivre l’expérience monastique. Le programme s’étale généralement sur deux jours et une nuit et il n’est pas nécessaire d’être bouddhiste pour participer. C’est l’occasion de découvrir le fameux « barugongyang », le repas monastique, le baru désignant ici l’ensemble des bols utilisés par les moines. Mais aussi le « Samul » ou les quatre instruments bouddhistes que sont le tambour de Dharma qui protège les animaux, la cloche de Brahma qui sauve les êtres de l’enfer, la cloche de bois en forme de poisson pour le salut des êtres vivants dans les eaux, et le gong en forme de nuage qui protège les êtres vivants dans le ciel. Les invités apprendront également le « 108-bae » ou les 108 prosternations, véritable leçon d’humilité devant l’univers. Ils savoureront le « Dado » ou la cérémonie du thé et pratiqueront le « Chamseon », la méditation Seon (équivalent du Zen japonais) qui consiste à éclairer son véritable moi et forme la base du bouddhisme de l’ordre Jogye en Corée du Sud. Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site officiel Templestay.

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A propos de l'auteur
Stéphane Lagarde est l'envoyé spécial permanent de Radio France Internationale à Pékin. Co-fondateur d'Asialyst, ancien correspondant en Corée du Sud, il est tombé dans la potion nord-est asiatique il y a une vingtaine d’années.