Le paradoxe malaisien
Or, paradoxalement, moins de quatre Malaisiens sur dix approuvent l’adhésion de leur pays à la zone de libre-échange lancée par les Américains en Asie, le Partenariat transpacifique (TPP), alors que neuf Vietnamiens sur dix applaudissent l’accord. Les Malaisiens d’origine chinoise y sont favorables et ceux d’origine malaisienne, « les enfants de la terre » (Bumiputeras), redoutent ses conséquences sur le pacte qui, depuis 1970, fonde cette société pluri-ethnique.
Détricoter la « Nouvelle Economie Politique »
L’ambition de la Nouvelle Economie Politique (NEP) était de mettre un terme à l’identification entre ethnicité et activité professionnelle et de modifier la répartition des richesses au bénéfice des Bumiputeras. Au nom de cette politique, l’Etat a multiplié les entreprises d’Etat tout en exigeant des entreprises privées d’une certaine taille – hors zones franches – qu’elles s’associent avec un partenaire malaisien. Les entrepreneurs bumiputeras ont bénéficié de nombreux avantages et les jeunes de plus de facilités pour entrer à l’université. Cette politique qui devait s’achever en 2000 a été reconduite. Elle a réduit les écarts entre les différentes communautés et contribué à l’émergence d’une classe moyenne bumiputera, tout en creusant les inégalités au sein de cette communauté entre ceux qui ont le plus bénéficié de ces avantages et les autres.
L’ouverture des marchés publics
Les marchés publics (achats de biens et de services par l’Etat) d’un montant inférieur 315 millions de ringgits (63 millions d’euros) sont réservés aux entreprises bumiputeras. Le TPP prévoit de ramener ce plafond à 70 millions de ringgits. Au-dessus, les marchés seront ouverts à la concurrence et toutes les entreprises – malaisiennes ou originaires des pays adhérents au TPP – seront autorisées à répondre aux appels d’offres. Les entreprises bumiputeras perdront également leur exclusivité dans les contrats proposés par les sociétés contrôlées par la holding public Kazannah. Quant à Petronas qui occupe une position de monopole sur les activités pétrolières, elle ouvrira à la concurrence une douzaine d’activités qui représentent 10 % de son chiffre d’affaire. Prévues pour se mettre en place huit ans après la ratification de l’accord, ces mesures répondent aux attentes de ceux qui dénoncent l’opacité des contrats entre le secteur public et les sociétés « bumi ». Ils critiquent moins les réformes que le fait qu’elles soient imposées par un accord perçu comme l’imposition d’un ordre libéral à une économie qui demeure très régulée.
Le TPP remettra en cause la politique pro-entreprises des autorités malaisiennes, qui impose des restrictions aux libertés syndicales et au droit de grève. Cela affectera davantage les plantations qui emploient près de 500 000 travailleurs pour la plupart immigrés – parfois clandestins – que l’industrie électronique dominée par les entreprises étrangères (souvent américaines) qui ont créées des syndicats (maison). Le TPP demande à l’Etat malaisien de se montrer plus exigeant sur les trafics humains – la Malaisie est l’un des pays pointés du doigt par les rapports annuels du Département d’Etat sur ce sujet. Si le dernier rapport ne l’avait pas opportunément surclassé (de « Tiers 3 » à « Tiers 2 »), elle n’aurait pas été autorisée à signer le TPP.
Enfin, le TPP ouvrira davantage l’économie à la concurrence. Dominé par des entrepreneurs chinois, le secteur privé manufacturier a été ouvert à la concurrence internationale dans les années 1980 et la Fédération Manufacturière malaisienne soutient l’adhésion au TPP. Par contre, les entrepreneurs bumiputras plus présents dans les services, redoutent l’ouverture. Alors que le secteur manufacturier attire moins les investisseurs étrangers (dans l’électronique, la Malaise est talonnée par le Vietnam), les services pourraient attirer les entreprises étrangères dans les activités juridiques, la distribution, le tourisme et le transport.
Lorsque le gouvernement a adopté la NEP, les deux tiers du capital du pays appartenaient aux capitaux étrangers, un pourcentage ramené à 27 % vers 1995 qui est remonté à 39% en 2008 (selon le 10ème plan) et a plus aujourd’hui. De nombreuses personnalités malaisiennes, à commencer par l’ancien Premier ministre Mahatir qui avait mis en place la NEP, jugent que le TPP détruira ce que la NEP avait construit.
Le TPP et l’intensification des échanges avec les Etats-Unis
La constitution malaisienne n’oblige pas le gouvernement à demander au Parlement de débattre du TPP. Mais il va s’y résoudre car, jamais un projet d’accord n’avait suscité autant de débats en Malaisie. Et il s’y résoudra car ce débat est sans risque. En effet si le TPP divise l’UMNO, il divise également l’opposition. Il est violemment critiqué par le PAS, parti islamiste d’opposition (au pouvoir dans l’Etat du Trengganu) opposé à toute ingérence étrangère. Il est par contre soutenu par une fraction du DAP (parti d’opposition) au pouvoir dans les Etats les plus industrialisés (Selangor et Penang) qui devraient bénéficier des retombées de ce traité.
Eclaboussé par un scandale financier (« 1MDB ») et critiqué par une grande partie de l’opinion, le Premier ministre attend du TPP une accélération des investissements étrangers et des exportations pour rendre la croissance plus rapide et permettre de se rapprocher de l’objectif 2020 : l’entrée dans le club des économies avancées. Si le TPP peut susciter plus d’investissements étrangers, son impact sur les exportations reste incertain. La Malaisie est déjà liée par des accords de libre-échange à plusieurs pays adhérents au TPP et exception faite des Etats-Unis, les autres (Canada, Mexique, Pérou et Chili) ne représentent pas des débouchés importants. Quant aux exportations vers le marché américain (ramenées à moins de 10 % des exportations de la Malaisie), elles relèvent beaucoup de transactions intra-firmes. Aussi le TPP n’est-il pas une assurance pour leur évolution à venir. Par contre, si la Malaisie n’avait pas adhéré au TPP, son industrie électronique – un tiers des exportations – risquerait d’être plus vite marginalisée par l’industrie vietnamienne qui a le vent en poupe.
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