Politique
Reportage

Elections aux Philippines : Noynoy, Bongbong et Jojo

Fils unique du dictateur Ferdinand Marcos, le sénateur "Bongbong" Marcos est candidat à la vice-présidence. Ici en plein selfie avec des institutrices après un forum à Manille, le 7 octobre 2015. (Crédit : TED ALJIBE / AFP)
« Noynoy » « Bongbong », « Jojo »… Les Philippins raffolent des surnoms dont ils affublent volontiers leurs élus. Le 9 mai 2016, le pays se choisira non seulement un nouveau président, mais ce sera aussi le renouvellement d’une grande partie de députés, de sénateurs et d’élus locaux. Pour mieux comprendre les forces en présence et l’ambiance de la campagne électorale, voici une revue des principales stars de la politique philippine. Le plus souvent une affaire de dynasties.
Digne d’une teleserye, le soap opera local, la saison électorale est réputée particulièrement mouvementée dans l’archipel. Il faut dire que le scrutin à venir est à enjeux multiples : 18 000 postes sont à pourvoir le 9 mai 2016.
Outre le successeur du président de la République Benigno Aquino III, les Philippins éliront le même jour leur vice-président (pas forcément issu du même bord), bon nombre des membres du Congrès au Sénat et à la Chambre des représentants, ainsi que les élus locaux. Pour faire face à l’affluence prévue (plus de 50 millions d’inscrits), pour la première fois il sera possible d’aller voter dans les centres commerciaux.

Contexte

Les campagnes électorales aux Philippines sont en général marquées par une violence meurtrière. Lors de la dernière campagne présidentielle, 58 personnes, dont 32 journalistes, ont été tuées dans la province de Maguindanano, à Mindanao, la grande île du Sud. Partis accompagner un opposant au gouverneur déposer sa candidature, ils sont tombés dans une embuscade le 23 novembre 2009. C’est l’attentat le plus meurtrier de l’histoire récente de l’archipel. Aucune condamnation n’a été prononcée à ce jour.

Les élections de mi-mandat ne sont pas forcément plus calmes : en 2013, les violences ont fait au moins 22 morts. Pourtant, à chaque échéance électorale, le port des armes est en principe interdit. Tout comme la consommation, la vente et l’achat d’alcool dans les endroits publics.

« Bongbong » Marcos : au nom du père

Presque trente ans après la chute de la dictature, le clan Marcos reste très impliqué dans la politique philippine, malgré les heures sombres traversées par le pays durant la loi martiale. Fils unique du dictateur Ferdinand Marcos, le sénateur « Bongbong » Marcos reconnaissable à sa coupe de cheveux Playmobil est candidat à la vice-présidence. Son meilleur atout ? Précisément l’héritage paternel selon lui. Amusés par son surnom, des internautes ont imaginé une vidéo de campagne, intitulée « Bongbong into the room », à partir de la chanson « Bang Bang » d’Ariana Grande et Nicki Minaj.
Voir la vidéo parodie de la campagne de Bongbong Marcos :
Célébrée comme une icône de la mode, notamment en raison de ses innombrables paires de chaussures, Imelda, veuve de Ferdinand Marcos et mère de Bongbong, espère décrocher un troisième mandat dans le fief familial, la province d’Ilocos nord, dont Imee, la fille aînée, est le gouverneur. Cela tombe bien : elle aussi est candidate à sa propre succession. Vantant « la beauté éternelle » de la quasi sexagénaire, la Une
d’un magazine de luxe local a suscité la polémique récemment.

« Noynoy » Aquino : l’homme qui ne voulait pas être président

La Constitution philippine interdit au président sortant Benigno Aquino III de briguer un nouveau mandat, malgré une popularité enviée à l’étranger. Fils du sénateur Benigno « Ninoy » Aquino Jr., principal opposant à Marcos assassiné à son retour des Etats-Unis, le jeune Noynoy hésite à se présenter. Jusqu’à la mort de sa mère « Cory », devenue présidente à la chute de la dictature, Noynoy a échappé à plusieurs tentatives d’attentats. Il en garde une balle logée dans la nuque, impossible à extraire son peine de mourir.
Un autre Aquino sera néanmoins en première ligne pour les élections. Son surnom : « Bam ». Cousin du président, le plus jeune sénateur du pays (38 ans) sera le directeur de campagne de Maria Leonor « Leni » Robredo, la candidate du parti au pouvoir pour la vice-présidence.

L’affreux « Jojo » Binay

Autre lignée célèbre aux Philippines : celle des Binay, depuis trente ans à la tête de Makati, l’une des villes les plus fortunées du pays. En lice pour prendre la tête de l’Etat, « Jojo », le père et actuel vice-président, a été élu maire plusieurs fois. Un poste également jadis occupé par sa propre épouse. « Junjun », le fils, leur a succédé mais des déboires judiciaires ont conduit à sa récente suspension. Il y est notamment question de détournements de fonds par le biais de gâteaux d’anniversaire surfacturés destinés aux personnes âgées, ou encore de la construction d’un parking présenté comme le plus cher au monde… Qu’à cela ne tienne, sa soeur Abby se présente pour prendre le relais ! Son époux, un novice en politique, se verrait bien récupérer son siège à la Chambre des représentants. De quoi maintenir la présence familiale au Congrès, où Nancy, la fille aînée, est sénatrice…

Roxas, y en a « Mar »

Fils de sénateur, et surtout petit-fils du président Manuel Roxas, « Mar » est le candidat investi par le président sortant Benigno Aquino. Marié à une présentatrice TV, il se met volontiers en scène sur les réseaux sociaux, souvent accompagné de ses trois chiens Goya, Chelsea et Kolette. Le problème, c’est qu’il accumule les bourdes dans les médias, en particulier cette interview devenue virale et qu’il traîne depuis comme une casserole. Nous sommes en novembre 2013, quelques jours après le passage de Haiyan, l’un des typhons les plus meurtriers enregistrés. Interrogé par le journaliste de CNN Andrew Stevens, Mar Roxas, à l’époque ministre de l’Intérieur, en vient à épiloguer sur l’identité des cadavres alors nombreux à joncher les rues…
Voir l’interview de Mar Roxas sur CNN :

L’incroyable destin de Grace

Abandonnée à sa naissance avant d’être adoptée par l’acteur Ferdinand Poe, jadis lui-même candidat malheureux à la plus haute fonction de l’Etat, le destin de la sénatrice Grace Poe – l’une des seules non issues d’une dynastie – passionnent les médias. Mais ses années passées aux Etats-Unis – elle a renoncé à la nationalité américaine il y a peu – interrogent sur la légitimité ou non de sa candidature. En guise de soutien, son mari vient à son tour de proposer de faire de même.

Duterte : « Si je deviens président, je vous tue »

Roi de la provocation, Rodrigo « Rody » Duterte, l’inoxydable maire de la tentaculaire Davao n’a pas déposé de candidature pour un autre poste. Et pourtant des millions de gens rêvent de le voir président : ils ont signé une pétition pour qu’il revienne sur sa décision. Techniquement, l’édile peut encore changer d’avis jusqu’à décembre. A 70 ans, chauffeur de taxi à ses heures perdues, « le Punisseur » se targue d’être à la tête de l’une des villes les plus sûres au monde, malgré les soupçons d’exactions. Des organismes de défense des droits de l’homme l’accusent d’être à l’origine d’un « escadron de la mort », responsable de l’exécution d’un millier de personnes, y compris des enfants des rues. Voilà ce qu’il réplique à ce sujet, s’adressant à tous ceux qu’il considère comme des criminels (et ils sont nombreux) : « Si jamais je deviens un jour président, vous feriez mieux de vous cacher. Car je vous tuerai vous aussi. »

Voir l’interview vidéo de Duterte :

« Pacman », champion du cumul

Manny Pacquiao, président : à chaque échéance, l’idée est avancée à propos du boxeur superstar. Surnommé le « Poing de la Nation », le deuxième athlète le plus riche du monde, est vénéré comme un demi-dieu en son pays. Egalement basketteur (il s’auto-sélectionne pour jouer dans sa propre équipe), à l’occasion acteur et chanteur guimauve, Manny Pacquiao a été élu en 2010 à la Chambre des représentants, avec la promesse d’être encore « plus efficace en politique que sur le ring ».
Voir la vidéo de Manny Pacquiao chanteur :
A 36 ans, « Pacman » ambitionne désormais de devenir sénateur, à défaut de se présenter à la prochaine élection présidentielle, (l’âge minimum légal requis est 40 ans). Problème : son absentéisme record au Congrès en raison de ses multiples activités. L’an dernier par exemple, Manny Pacquiao ne s’est présenté que sept fois seulement.
Pour faire taire les critiques, Pacman envisage de raccrocher les gants définitivement juste avant le scrutin. Ancienne employée d’un salon de beauté, sa femme Jinkee est déjà vice-gouverneur. Son jeune frère Roel, lui, convoite son siège de député.
Marianne Dardard à Manille

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A propos de l'auteur
Marianne Dardard est correspondante à Manille pour La Croix, TV5 Monde et RFI. Hormis traquer les typhons, elle tente de comprendre l’exception philippine, avec de l’enthousiasme pour le fait interreligieux et les dernières plages secrètes de l’archipel.