Environnement
Reportage

Djakarta : embouteillages et ville intelligente

Pare-choc contre pare-choc, figure imposée au quotidien à Jakarta comme ce 4 novembre 2011. (Crédit : BAY ISMOYO / AFP)
Pare-choc contre pare-choc, figure imposée au quotidien à Jakarta comme ce 4 novembre 2011. (Crédit : BAY ISMOYO / AFP)
L’agglomération de Djakarta est la plus peuplée au monde après Tokyo. On lui a accordé le nom de Jabodetabek, un acronyme composé des premières lettres des villes qui la composent (Djakarta, Bogor, Depok, Tangerang et Bekasi). Plus de 30 millions de personnes y vivent et s’y déplacent. Ou tentent de le faire. Car au contraire de la capitale nippone les services de transports publics y sont primaires. Le gouvernement local et les Djakartanais tentent d’y apporter quelques solutions. Et de s’adapter.
On peut difficilement dire que la nouvelle ait surpris les Indonésiens. Mais c’est désormais officiel depuis le mois de février dernier : Djakarta est la ville la plus embouteillée au monde. C’est le fabricant d’huiles de moteur britannique Castrol qui l’affirme dans son « Stop-start index » en mesurant le nombre moyen d’arrêts et de démarrages des véhicules dans 78 villes du monde. Les conducteurs de Djakarta en effectuent en moyenne 33 240 par an d’après l’étude. La capitale indonésienne devance Istanbul et Mexico. Pour l’anecdote, Surabaya, la deuxième ville du pays, est quatrième du classement.

D’après les données de la police indonésienne, Djakarta comptait 17,5 millions de véhicules motorisés en 2014, une augmentation de 9% par rapport à l’année précédente. Dans le même temps, la capacité des routes n’avait, elle, augmenté que de 0,01%. Ajoutez à cela quatre millions de personnes s’y rendant quotidiennement depuis les autres villes de l’agglomération et vous obtenez une ville qui pourrait se retrouver en situation d’embouteillage permanent en 2020.

Ce n’est pourtant pas le seul problème d’envergure auquel l’ancienne Batavia doit faire face. Tous les ans aux mois de janvier et février, au moment ou la saison des pluies bat traditionnellement son plein, une partie de la ville est soumise aux inondations. Les 13 rivières qui confluent vers la capitale y apportent l’eau de pluie venant des montagnes volcaniques environnantes de Java Ouest. En février 2007, les pires inondations de ces dernières décennies avaient recouvert environ 70% de la ville et tué 80 personnes.

Les coûts économiques et sociaux se chiffrent en milliards dollars. Six milliards annuels d’après la Banque Mondiale à cause de la congestion du trafic routier. Plus trois autres milliards à cause des inondations.

Contexte

Que dit le gouvernement indonésien des problèmes de Djakarta ? Ce n’est pas que les pouvoirs publics les ignorent, au contraire. Depuis 1980, plus de 25 études ont été réalisées sur le développement des transports publics dans la capitale. Mais la combinaison d’un manque de volonté politique, de la corruption endémique et de la crise financière et monétaire asiatique de 1997-98 ont toujours eu raison de ces différents projets. Jusqu’en 2012. L’actuel Président de la République Joko Widodo (Jokowi) y est élu Gouverneur de Djakarta, dans la foulée de presque deux mandats à la tête de la ville de Solo. Dans cette ville moyenne du centre de Java dont il est originaire, Jokowi se bâtit une réputation de maire incorruptible, efficace et proche des gens. Avec Basuki Tjahaja Purnama (Ahok), son Vice-gouverneur devenu Gouverneur en 2014 suite a l’élection présidentielle, ils vont enfin lancer la construction du MRT (Mass Rapid Transit), un métro en partie aérien, en partie souterrain dont la première ligne est actuellement en construction. Deux lignes (nord-sud, est-ouest) et 108 kilomètres de réseau sont prévus. Les travaux pour les quinze premiers kilomètres, dans le centre névralgique de la ville, sont en cours. Ils doivent être terminés en 2018 quand Djakarta organisera les Jeux Asiatiques.

La réponse technologique

Comment améliorer la vie des habitants de Djakarta ? Ahok, le gouverneur de l’agglomération, mise sur la technologie pour rendre la ville intelligente. Dans un pays qui compte davantage de téléphones portables que d’habitants, et au sein d’une ville qui est la plus active au monde sur Twitter, l’idée fait sens. Les Djakartanais sont hyper connectés. 61% d’entre eux passent en moyenne plus de cinq heures par jour sur leurs Smartphones d’après une étude de Google. Le Gouverneur a donc créé un site internet et deux applications mobiles, Qlue (pour les habitants) et CROP (pour les fonctionnaires de la ville). Le site internet a pour vocation principale d’informer les résidents sur l’état du trafic routier en temps réel. Il est aussi connecté aux deux applications sur lesquelles les habitants peuvent rapporter les problèmes auxquels ils font face, et les fonctionnaires y répondre dans la foulée. En principe.

Ces services n’en sont qu’a leurs balbutiements, et ne pourront seuls régler le maelström des problèmes de la ville. Mais s’il est une certitude, c’est que la technologie jouera un rôle majeur dans l’adaptation des résidents aux conditions et défis proposés par la mégapole. C’est d’ailleurs déjà le cas, et ce sont les initiatives privées et entrepreneuriales qui en montrent la voie.

L’adaptation aux embouteillages, aubaine pour l’e-commerce et le mobile

De plus en plus d’entreprises offrent une latitude sur les horaires de bureau à leurs employés, voire autorisent le télétravail. Ce n’est pas seulement de l’altruisme : les patrons évitent ainsi les coûts en perte de productivité, immanquablement provoqués par les trois à quatre heures de temps perdu quotidiennement pour aller et revenir du travail.

Cette adaptation passe aussi par le développement exponentiel du e-commerce. En même temps que la confiance dans la sécurité des moyens de paiement, les achats en ligne explosent en Indonésie. Une étude menée par MasterCard montre que 55% des utilisateurs de smartphones dans le pays ont effectue des achats en ligne en 2014, contre 46% l’année précédente. C’est plus que la moyenne des autres pays de la région Asie-Pacifique. Alors que le pays connaît sa plus faible croissance depuis plus de cinq ans, les entreprises de commerce en ligne voient leur optimisme augmenter en même temps que leur chiffre d’affaires. Cette confiance est évidente quand le groupe Lippo, un des principaux conglomérats du pays, investit 200 millions de dollars dans un site de vente en ligne qu’il a pour ambition de faire devenir le AliBaba local.

Un employé de bureau cherche un “ojek” ou moto taxi à Jakarta, le 18 août 2011. (Crédit : ADEK BERRY / AFP)
Un employé de bureau cherche un “ojek” ou moto taxi à Jakarta, le 18 août 2011. (Crédit : ADEK BERRY / AFP)

Mais l’exemple le plus marquant actuellement tient certainement à la réussite économique et médiatique de la société Go-Jek. Depuis toujours à Djakarta se tiennent a chaque coin de rue ou presque des Ojek : ces moto taxis permettent autant que possible de réduire votre temps de trajet contre un montant à négocier en fonction de la distance, du trafic routier et de l’humeur du conducteur. C’est à ce marché que Go-Jek s’est attaqué. Bien que créé des 2011 dans l’anonymat le plus total, les clés de son immense succès populaire actuel tiennent à sa nouvelle application mobile et à ses services. Les utilisateurs peuvent commander une moto taxi depuis leur téléphone et savent à l’avance combien il va leur en coûter. Mais ils peuvent aussi utiliser l’application pour un service de coursier, se faire livrer leur déjeuner ou leurs courses. Le mois dernier, c’est dans un stade de Djakarta que Go-Jek organisait une campagne de recrutement de 16 000 nouveaux employés, afin de porter sa capacité a 20 000.

Au-delà des startups à succès et de l’immense potentiel technologique de Djakarta, ceux qui construisent la ville ne sont pas en reste pour trouver des solutions permettant aux habitants de moins et mieux se déplacer. Tous les grands groupes de construction immobilière développent ainsi aux quatre coins de la ville des blocs intégrés. Ces villes dans la ville comptent tours d’appartements, tours de bureaux, centres commerciaux, hôpitaux, écoles, équipements sportifs, hôtels et espaces verts en une même unité de lieu. Nul n’a néanmoins poussé le concept aussi loin que le projet de Pluit City. Cette idée en cours de réalisation proposera selon ses promoteurs une véritable ville moderne au large du centre urbain sur un terrain artificiel de 160 hectares dans la baie de Djakarta. Quand le projet aura vu le jour, il sera peut-être temps d’envisager quelques lettres supplémentaires au doux nom de Jabodetabek.

Jean-Baptiste Chauvin à Djakarta

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A propos de l'auteur
Jean-Baptiste Chauvin est installé à Jakarta depuis 2006. Il a été correspondant pour France 24, TV5, Radio Canada, La Croix ou le Journal du Dimanche, et continue à contribuer au developpement de la Gazette de Bali, le seul journal francophone de l'archipel. Egalement consultant en intelligence économique sur Internet, il dirige Indo Web Watch, une société qui fournit de l’analyse de données et d’informations pour les entreprises.